Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, l’examen de la contribution française au budget de l’Union européenne est un moment fort du débat consacré à l’Europe.
Il est l’occasion de porter un regard d’ensemble sur la construction européenne, sur son fonctionnement et ses orientations, ainsi que sur le rôle joué par la France dans l’évolution de notre projet commun.
Néanmoins, le débat de ce jour nous conduit une nouvelle fois à souligner les déficiences du budget communautaire, et du processus institutionnel et politique sur lequel celui-ci se fonde.
Nous avons récemment adopté ici même, au Sénat, le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne. Ce vote était indispensable pour confirmer les moyens alloués à l’Union européenne jusqu’en 2020.
Il a toutefois mis en lumière les profondes imperfections d’un système aujourd’hui à bout de souffle qui, bien que récemment révisé, n’a nullement remis en cause la part exorbitante conférée aux contributions nationales assises sur le revenu national brut, au détriment des autres types de recettes. Il a au contraire confirmé, voire amplifié, les multiples mécanismes compensatoires consentis au fil des ans, qui portent atteinte à la clarté et à l’équité du budget européen.
Ce faisant, il semble toujours aussi difficile de sortir de l’obsession du « juste retour », qui caractérise toute discussion budgétaire au niveau européen. Comme il est de notre devoir de veiller aux intérêts financiers de l’État, cette situation nous conduit à constater, année après année, l’augmentation continue de la contribution de la France, ainsi que la dégradation tendancielle de son solde net.
Les chiffres précis ont été cités, je n’y reviendrai pas.
Le moment est donc largement venu de mettre un terme à un système à la fois illisible et mortifère pour l’esprit européen. Il faut à l’Union européenne des ressources que l’on pourrait véritablement qualifier de « propres ».
Le contexte actuel ne permettra probablement pas de concrétiser une réforme d’envergure du budget communautaire lors de la révision du cadre financier pluriannuel prévue en 2016. Néanmoins, les recommandations à venir du groupe à haut niveau, présidé par Mario Monti, devront constituer un point d’appui décisif pour nos réflexions sur le financement de l’Union européenne après 2020.
Cette réflexion devra par ailleurs se pencher sur le niveau adéquat du budget européen. Nous le savons tous, les ressources financières de l’Union européenne sont aujourd’hui trop faibles pour lui permettre de répondre aux multiples défis qui ne peuvent être efficacement gérés qu’en commun.
La réponse aux crises extrêmement graves qui se succèdent depuis quelques années – la crise financière, la crise économique et sociale, la crise grecque, la crise ukrainienne, la crise migratoire et, aujourd'hui, la crise sécuritaire - a effectivement de profondes implications financières, au niveau européen comme au niveau national.
La flexibilité accordée à la prise en compte de certaines dépenses dans le calcul des déficits fait ainsi l’objet de débats récurrents, qu’il s’agisse, par exemple, de l’accueil des migrants, de la participation aux opérations maritimes de Frontex ou encore des dépenses indispensables à notre sécurité, sur le plan tant intérieur qu’extérieur.
Sur ce dernier point, la sanglante tragédie qui a endeuillé Paris et la France tout entière nous a funestement rappelé que la guerre contre Daech et l’ensemble des groupes terroristes sévissant à l’étranger comme sur notre territoire sera longue et difficile. Elle sera donc coûteuse.
La France doit être prête à assumer les dépenses en découlant, qui sont plus que jamais vitales. Les annonces du Président de la République devant le Congrès, qui vont dans ce sens, recevront donc naturellement notre soutien.
Le recrutement de 8 500 fonctionnaires dans la police, la gendarmerie, l’administration pénitentiaire, les services judiciaires et les douanes, ajouté à l’annulation de la suppression de 9 218 postes dans l’armée, concourent à renforcer le dispositif français de lutte contre le terrorisme. Nous y souscrivons donc pleinement.
Toutefois, le Président de la République a également déclaré à cette occasion que le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité. Permettez-moi ici, mes chers collègues, de marquer une certaine distance par rapport à ces propos, car je ne crois pas qu’il faille opposer les deux.
Le surcoût engendré par ces nouvelles dépenses devrait, après une analyse sommaire, se chiffrer en centaines de millions d’euros, non en milliards d’euros. Or, à titre d’exemple et de comparaison, un dérapage de 0, 1 % de notre déficit public correspond à des dépenses additionnelles d’environ 2 milliards d’euros.
Dans ses premières déclarations, la Commission européenne semble vouloir faire preuve, une nouvelle fois, de clémence envers la France. Veillons toutefois à ne pas nous réfugier artificiellement derrière ces créations ou maintiens de postes, par ailleurs légitimes, pour ne pas tenir nos engagements européens.
En effet, les sommes en jeu devraient être compensées, au moins en partie, par des économies sur d’autres postes. Cette responsabilité budgétaire éviterait ainsi à la France de financer son effort de sécurité par l’emprunt, donc d’augmenter encore sa dette, ce qui, à terme, l’affaiblirait plutôt que de la renforcer.
Dans cette entreprise de longue haleine, viser un équilibre de nos finances publiques me semble ainsi de meilleure méthode que de laisser filer notre déficit public ou de vouloir exclure nos dépenses militaires dans le calcul de ce déficit.
Pour autant, le fardeau assumé par la France est lourd, sans doute trop lourd. Il l’est d’autant plus que notre pays joue, dans la lutte contre le terrorisme islamiste, un rôle que peu de capitales européennes ont la capacité ou la volonté de tenir.
L’absence de nos partenaires européens n’est plus acceptable. L’ennemi qui nous a frappés vendredi dernier n’est pas seulement celui de la France, il est aussi celui de tous les Européens. On ne le répétera jamais assez !
Son éradication ne pourra passer que par une lutte commune, acharnée, car nul, sur notre continent, ne peut aujourd’hui se prétendre à l’abri de sa barbarie. Or, sur le terrain, la France se retrouve parfois bien seule, en particulier en Afrique.
Le Président de la République a évoqué devant le Congrès l’activation de l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne, qui permet la mise en œuvre d’une solidarité de défense effective. Il s’agit d’une première dans l’histoire de l’Union européenne : nous ne pouvons que soutenir sans réserve cette démarche et attendre de nos partenaires qu’ils sachent y répondre avec la célérité que la situation exige.
Monsieur le secrétaire d’État, nous devons aujourd’hui donner corps à la politique de défense européenne, qui demeure, hélas ! trop largement incantatoire ; je l’ai rappelé de nouveau à M. le président de la commission des affaires étrangères et de la défense. À défaut de créer une véritable armée européenne, nous ne pouvons plus attendre pour avancer sur la voie d’une meilleure intégration de nos capacités militaires.
La construction d’un véritable pilier européen de l’OTAN pourrait en être un préalable adapté. Nombre d’outils existent, il faut aujourd’hui s’en saisir et les faire monter en puissance avant d’en créer de nouveaux.
Mais c’est avant tout en faveur d’une véritable ambition commune en la matière qu’il faut œuvrer. Pour reprendre les mots du général Perruche, ancien chef de l’état-major de l’Union européenne, « seule l’Europe de la défense peut élever l’ambition et les capacités militaires de l’Union européenne à un niveau supérieur à la somme des capacités nationales de ses États membres ». Nos collègues Jacques Gautier et Yves Pozzo di Borgo, membres de la commission des affaires étrangères et de la défense ici présents, le savent parfaitement. Je souhaiterais que nous puissions organiser ensemble des auditions et une action sur ce point.
Cette ambition commune fait aujourd’hui cruellement défaut, et la France devra inlassablement remettre l’ouvrage sur le métier pour convaincre ses partenaires et faire progresser l’Union dans un sens conforme à l’intérêt général européen.
Notre détermination devra être tout aussi forte en ce qui concerne les outils de sécurité intérieure, que le Président de la République a également évoqués devant le Congrès. Le PNR européen est entré dans la phase finale de négociation, mais il ne peut plus rester en attente et le Parlement européen doit maintenant prendre ses responsabilités ; Yves Pozzo di Borgo vient de le rappeler, Simon Sutour fera sans doute de même dans un instant, comme il l’a souligné ce matin au sein de la commission des affaires européennes.
De même, la lutte contre le trafic d’armes et le financement du terrorisme doivent urgemment disposer de cadres mieux adaptés et plus robustes.
En effet, la coopération policière et judiciaire entre les États membres est évidemment fondamentale. Elle est pourtant loin d’être optimale. C’est un fait, certains États membres coopèrent trop peu, ne disposent pas des effectifs adéquats ou accordent une importance trop faible à la lutte contre le terrorisme.
Or nous avons bien vu lors des attaques qui ont meurtri la capitale combien la dimension transfrontalière intra-européenne était présente dans le phénomène djihadiste. Pour combattre cette hydre qu’est le terrorisme islamiste, les polices et les appareils judiciaires européens doivent dès aujourd’hui se hisser à la hauteur de l’enjeu, que ce soit par un échange automatique et obligatoire d’informations ou par la création de structures communes permettant d’assurer une coopération effective et efficace.
À ce propos, je tiens à saluer le changement d’orientation du Président de la République en matière de politique étrangère, qui a notamment permis à la Russie de rejoindre certains pays de l’Union engagés dans la lutte contre le djihadisme. Cette orientation vers une certaine forme de pragmatisme est notre dernier rempart contre ce drame du terrorisme.
Sur l’ensemble de ces sujets, le Gouvernement peut, monsieur le secrétaire d’État, compter sur notre appui le plus total.
Si, comme il est coutume de l’affirmer, l’Union européenne avance et se transforme dans les crises, alors nous nous trouvons sans conteste à un moment charnière, pour ne pas dire historique, de la construction européenne. Un sentiment d’urgence doit aujourd’hui nous animer.
Les déficiences du budget européen et les carences des principales politiques communes ne sont finalement que le reflet de la crise de confiance, de consentement, de solidarité, bref de la crise existentielle que traverse l’Union européenne depuis plusieurs années. Les Européens que nous sommes tous ici, quelles que soient nos sensibilités, ne peuvent que le déplorer.
Face à la succession des épreuves qui remettent en cause ses plus importantes réalisations et ses symboles les plus forts, tels que la monnaie unique et l’espace de libre circulation, face aux menaces qui pèsent sur la sécurité de ses citoyens, face à la défiance toujours plus grande qu’elle provoque dans les opinions publiques, l’Europe doit maintenant se réformer, se renouveler, se refonder.
La réponse ne réside peut-être pas dans plus d’Europe dans tous les domaines, mais elle est certainement dans une Europe davantage concentrée sur les grands enjeux et bénéficiant des moyens réels d’une action efficace et décisive.
Les réformes nécessaires devront se concrétiser rapidement, c’est-à-dire à l’horizon 2020. Dans cette entreprise, la France devra naturellement être fidèle à sa tradition et se trouver aux avant-postes pour proposer à ses partenaires une vision originale et ambitieuse de l’Union européenne.
Toutefois, pour être entendue des autres États membres et des institutions communautaires, la France devra avant tout restaurer sa crédibilité. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État – et monsieur le secrétaire d'État chargé du budget –, cela passe par des réformes courageuses que nous avons, tous – j’y insiste –, repoussées bien trop longtemps.
Dans ses prévisions économiques d’automne, la Commission européenne prévoyait que nos performances en termes de croissance, d’emploi, de maîtrise de la dépense publique et de déficit resteraient structurellement plus faibles que celles de nos partenaires d’ici à 2017.
Certes, la France demeure le deuxième contributeur net au budget communautaire. Néanmoins, pour peser à nouveau de tout son poids sur la scène européenne et porter les réformes indispensables dont l’Union a besoin, notre pays doit se réformer. Le sentiment d’urgence que j’évoquais doit là aussi nous animer, car la conjoncture ne sera pas aussi favorable indéfiniment.
Le prix de l’énergie, la politique monétaire de la Banque centrale européenne ou le niveau de l’euro, qui ont soutenu la croissance française cette année, peuvent à tout moment se retourner. Or nous n’avons pas consenti à ce jour tous les efforts nécessaires pour reconstituer nos marges de manœuvre économiques et budgétaires, et nous demeurons trop vulnérables à tout retournement de conjoncture, notamment à une remontée des taux d’intérêt sur la dette française.
Pour la France comme pour l’Europe, nous nous devons, monsieur le secrétaire d’État, de prendre la véritable mesure des défis qui se posent à nous. Nous devons réagir, et vite.
Le groupe des Républicains votera en faveur de la contribution française au budget de l’Union européenne telle qu’elle nous est soumise au travers de l’article 22 du projet de loi de finances pour 2016.
Nous exprimons par ce vote notre attachement profond à la construction européenne, ainsi que notre volonté de voir la France y tenir un rôle éminent. Mais nous entendons également, par ce moyen, faire entendre notre exigence résolue en matière de réformes – j’ai eu la courtoisie et l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que nous étions en partie tous responsables –, qui sont plus que jamais indispensables pour permettre à notre Union, mais aussi à notre pays, de s’adapter pleinement à la réalité et aux enjeux du XXIe siècle.