Intervention de Harlem Désir

Réunion du 19 novembre 2015 à 14h30
Loi de finances pour 2016 — Article 22 et participation de la france au budget de l'union européenne

Harlem Désir :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée à examiner le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, c’est-à-dire notre contribution au budget européen, dans un contexte exceptionnel.

Le 13 novembre dernier, la France a été frappée, mais c’est toute l’Europe qui a été touchée dans sa chair comme dans ses valeurs.

Les victimes des attaques terroristes du 13 novembre venaient de toute l’Europe et même du monde entier. Beaucoup de ces hommes et de ces femmes étaient jeunes. Ils respiraient l’air libre d’une ville libre, l’air de la liberté, que l’on respire en Europe et dans les démocraties. Ils ont été fauchés par la haine fanatique du terrorisme, ce même terrorisme qui avait déjà tué à Copenhague et à Bruxelles, qui avait déjà tué à Madrid et à Londres, comme il a tué, ces dernières semaines, à Beyrouth, à Ankara, en Égypte et en Tunisie.

Aujourd’hui, c’est toute l’Europe qui doit répondre.

Partout en Europe se sont affichés, sur les monuments des grandes villes, le bleu, le blanc, le rouge. Partout a retenti La Marseillaise. Maintenant, l’Europe doit faire bloc face à la barbarie terroriste qui tue ses enfants, qui veut détruire ses valeurs et la démocratie.

C’est pourquoi la solidarité est essentielle, la coordination décisive et l’unité vitale pour l’Europe dans la lutte contre le terrorisme.

C’est pourquoi le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a demandé la réunion exceptionnelle d’un conseil Justice et affaires intérieures, demain, à Bruxelles. Il s’y rendra avec Mme la garde des sceaux. Le but est de renforcer la coopération policière et judiciaire, le contrôle de nos frontières extérieures communes, la lutte contre le trafic d’armes et contre le financement du terrorisme, et enfin d’exiger l’adoption du PNR européen.

C’est également pourquoi le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a invoqué, à la demande du Président de la République, lors de la réunion du conseil des affaires étrangères, mardi, à Bruxelles, le paragraphe 7 de l’article 42 du traité sur l’Union européenne. Ainsi, doit être déclenchée, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, la clause d’assistance mutuelle prévue dans le cas où un État membre fait l’objet d’une agression armée sur son territoire.

Les États membres ont apporté à cette démarche leur soutien unanime. Celui-ci pourrait notamment se traduire par une intensification de l’action des pays européens contre Daesh, en Irak et en Syrie, ou encore par un engagement accru sur d’autres théâtres, comme le Sahel ou la Centrafrique, pour soulager nos propres troupes.

C’est donc dans un contexte où l’Union européenne et l’efficacité des politiques communes sont plus nécessaires que jamais que le Sénat examine aujourd’hui le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne.

Les priorités budgétaires de l’Union doivent permettre de répondre aux grands défis auxquels l’Europe fait face : la sécurité, la crise des réfugiés, mais aussi – divers orateurs l’ont souligné – les enjeux, toujours, de la cohésion sociale, du soutien à la croissance et à l’emploi.

Dans le projet de loi de finances pour 2016, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne s’établit à 21, 509 milliards d’euros.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur spécial, ce montant devrait être prochainement réactualisé, notamment pour tenir compte de l’accord intervenu entre le Conseil et le Parlement européens sur le budget de l’Union européenne pour 2016. L’adoption définitive de ce texte par le Parlement européen est prévue pour le 26 novembre prochain, en même temps que le huitième budget rectificatif pour 2015.

Ce budget pour 2016, sur lequel se sont accordés le Parlement et le Conseil européens, devrait s’élever à 155 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 143, 9 milliards d’euros en crédits de paiement. Ce sont là des montants importants. Encore faut-il rappeler que ce budget ne représente que 1 % du revenu national brut de l’Union européenne.

Ce budget pour 2016 porte la marque des grandes priorités de la programmation budgétaire 2014-2020, à commencer par la réorientation des politiques européennes en faveur de l’investissement, de la croissance et de l’emploi.

Pour les gestionnaires comme pour les bénéficiaires des fonds européens, le cadre financier pluriannuel est un gage de stabilité. Il assure la lisibilité des politiques européennes, la continuité de l’action dans les territoires, la prévisibilité des moyens mis à la disposition des acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, des agriculteurs, des chercheurs ou des entreprises, et ce sur toute la durée de la programmation.

Pour 2016, le budget de l’Union européenne se caractérise donc par la montée en charge des programmes fixés pour la période 2014-2020, lesquels correspondent aux priorités de long terme que l’Union s’est fixées. Il s’agit, en particulier, du programme « Horizon 2020 » pour la recherche, les universités et l’innovation ; du programme Erasmus + pour la mobilité des jeunes, l’éducation et la formation tout au long de la vie ; ou encore de l’initiative européenne pour l’emploi des jeunes, qui, en France, permet de financer la garantie jeunes.

Au nombre de ces priorités figure également le mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, le MIE, qui est consacré aux infrastructures énergétiques, de transport et numériques.

À travers toutes ces politiques, l’enjeu, pour la France, est de faire bénéficier ses projets de bons financements européens.

À cet égard, réjouissons-nous du fait que l’Union européenne ait retenu un très grand nombre de projets français, et que nos retours, c’est-à-dire la part des financements qui vont être orientés vers notre pays, aient augmenté en 2014 et en 2015.

En 2014, dernière année de référence connue, la France a perçu 570 millions d’euros pour « Horizon 2020 » et 182 millions d’euros pour Erasmus +. Notre pays est désormais, en volume, le premier bénéficiaire de ces programmes.

Plusieurs projets français ont également été retenus par le comité de coordination du MIE, en particulier le canal Seine-Escaut et la ligne ferroviaire Lyon-Turin, en faveur desquels le Gouvernement s’est beaucoup mobilisé.

Dans le même temps, les grandes politiques de l’Union européenne, en particulier la politique de cohésion, avec le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et le Fonds social européen, le FSE, doivent continuer à favoriser la croissance et l’emploi dans nos régions et dans nos départements.

En France, nous devons tenir compte d’un enjeu nouveau à ce titre : le rôle accru des acteurs territoriaux. En effet, la gestion de ces crédits européens a été confiée aux conseils régionaux.

Dans le secteur agricole également, l’Europe doit être à même de réagir aux crises pour soutenir l’activité économique. Il en est ainsi de la crise de l’élevage, que les partenaires européens ont commencé à traiter à la suite de la demande formulée, cet été, par notre pays. La France a obtenu la réunion, en septembre, d’un conseil des ministres de l’agriculture exceptionnel. À cette occasion, la Commission a annoncé un paquet de 500 millions d’euros, notamment pour le lait en poudre et la viande porcine. Ce financement sera pris en compte au titre du budget 2016.

La France va ainsi bénéficier d’une enveloppe de 62, 9 millions d’euros d’aides supplémentaires pour ses agriculteurs, lesquels recevront ces crédits avant le 31 décembre.

Le plan européen contient également des actions de stabilisation des marchés, avec de nouvelles mesures de stockage privé pour les produits laitiers, dont le fromage, et le porc.

La programmation pluriannuelle des dépenses a également su s’adapter à la mise en place du plan Juncker pour l’investissement. Ainsi, le projet de budget de l’Union européenne pour 2016 prévoit des crédits et des garanties pour la mise en place du fonds européen pour les investissements stratégiques, dans le cadre du plan Juncker. Grâce au levier de la Banque européenne d’investissement, la BEI, il sera possible de dégager un total de 315 milliards d’euros d’investissements publics et privés au cours des trois prochaines années.

En France, plus de cent quarante projets éligibles ont d’ores et déjà été identifiés et plusieurs d’entre eux ont déjà été financés.

Ce budget a aussi pour vocation de répondre au défi d’urgence auquel l’Europe est confrontée et, en particulier, à la crise des réfugiés, à la crise migratoire, laquelle a également une dimension budgétaire.

L’accueil des réfugiés, leur enregistrement dans les hotspots mis en place aux frontières extérieures de l’Union, en Grèce et en Italie, la gestion de nos frontières extérieures communes et le renforcement de la lutte contre les passeurs, l’opération maritime Sophia au large des côtes libyennes contre les trafiquants d’êtres humains, le raccompagnement dans leur pays d’origine de ceux qui ne relèvent pas de la protection internationale, l’appui à des projets de développement dans ces pays d’origine ou de transit, tout cela a un coût.

Il nous faut également aider les pays tiers de transit, en particulier les pays voisins de la Syrie, confrontés à un afflux de réfugiés important – le Liban, la Jordanie et la Turquie – afin que ceux-ci puissent y être accueillis au mieux, plutôt que de tenter de rejoindre l’Union européenne.

Tous ces sujets ont été au cœur des débats des dernières réunions du Conseil européen et toutes les flexibilités existantes ont été utilisées pour dégager des moyens sur les années 2015 et 2016.

La Commission évalue l’effort budgétaire global nécessaire pour répondre à la crise des réfugiés en 2015 et en 2016 à 9, 2 milliards d’euros. Cette somme inclut certains montants déjà budgétés, mais également, à hauteur de 1, 7 milliard d’euros, les nouvelles mesures annoncées lors du conseil européen extraordinaire du 23 septembre et prises en compte dans l’accord intervenu vendredi entre le Conseil et le Parlement européens sur le budget de l’Union européenne pour 2016.

Ces moyens budgétaires permettront également d’apporter des financements supplémentaires aux agences de l’ONU, en particulier au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, et au Programme alimentaire mondial, de renforcer le Fonds asile, migration et intégration et le Fonds pour la sécurité intérieure, de financer les augmentations d’effectifs dans les agences européennes chargées de ces politiques complexes – Frontex, le bureau européen d’appui en matière d’asile, ou EASO, et Europol – et de contribuer au financement de la relocalisation de 160 000 personnes résultant des décisions prises en juillet et en septembre dernier.

Ainsi le budget européen s’adapte-t-il pour répondre aux défis que l’Europe doit relever.

L’année 2016 sera également une année de réflexion sur l’avenir du budget de l’Union européenne, dans le cadre de la clause de révision du cadre financier pluriannuel. La Commission fera des propositions sur les grandes politiques européennes, mais aussi, nous l’avons évoqué ensemble lors de la présentation de la nouvelle décision du Conseil relative au système des ressources propres, sur les modalités de financement du budget de l’Union européenne. Ce sujet a été évoqué par le président Jean Bizet et beaucoup d’entre vous.

Ces modalités, nous en sommes tous convaincus, doivent être réformées en profondeur, afin de les rendre plus lisibles, plus transparentes et plus équitables. Cela implique, en particulier, de revenir sur tous les mécanismes de correction qui se sont multipliés et sédimentés au fil du temps. Tel est le sens des travaux du groupe à haut niveau que préside l’ancien président du Conseil italien, Mario Monti. Nous soutenons sa démarche et nous souhaitons qu’il débouche sur des préconisations ambitieuses.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parler du budget de l’Union européenne, c’est donc évoquer les politiques européennes qui irriguent nos territoires, notre participation à l’espace européen de la recherche, la politique agricole commune, le financement des grandes infrastructures transfrontalières ou régionales, le soutien des fonds européens à notre tissu économique. C’est évoquer l’emploi aujourd’hui, la croissance pour demain, le soutien à l’innovation, qui représente évidemment un enjeu stratégique pour l’avenir de l’Union européenne.

C’est aussi parler de la capacité de l’Europe à faire face aux urgences et aux crises, qui sont nombreuses, vous les avez longuement évoquées.

Tel est l’enjeu du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, que l’on pourrait simplement résumer en une phrase : il s’agit de se donner les moyens de notre ambition européenne.

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