Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 23 novembre 2015 à 10h00
Loi de finances pour 2016 — Article 15 priorité, amendement 414

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je dirai tout d’abord quelques mots sur l’article 15, qui est relatif à l’aide juridictionnelle, avant d’évoquer cet amendement n° I-414 rectifié.

Si le budget de l’aide juridictionnelle augmente désormais chaque année, l’article 15 apporte, de son côté, des améliorations substantielles au dispositif, notamment un relèvement du plafond de ressources pour l’éligibilité des justiciables et une hausse du niveau de rétribution des avocats.

Dans le cadre du processus que nous avons amorcé voilà trois ans, nous introduisons des dispositions permettant d’engager la réforme de l’aide juridictionnelle, avec comme objectifs de la simplifier, d’en améliorer l’efficacité et, surtout, de la pérenniser. Plus qu’une simple ligne budgétaire, nous voulons en effet faire de l’aide juridictionnelle une véritable politique de solidarité pour l’accès au droit.

Cet article 15 ainsi que l’amendement n° I-414 rectifié visent d’abord à tirer les conséquences d’un protocole signé le 28 octobre avec les représentants de la profession : le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris. Ce protocole fait suite au mouvement des avocats, qui s’est cristallisé sur la question du prélèvement de 5 millions sur les 75 millions d’euros de produits financiers des fonds des clients qui transitent par les caisses des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA, et qui sont placés.

Au-delà du mécontentement lié à ces 5 millions d’euros, il existe dans la profession une légitime inquiétude quant à la solidité du dispositif de l’aide juridictionnelle. Depuis près de quinze ans, une demi-douzaine de rapports, dont plusieurs du Sénat, notamment celui de Roland du Luart en 2007 ou celui de Sophie Joissains et Jacques Mézard en 2014, expliquent que le système est à bout de souffle.

Face à cette véritable inquiétude, nous avons engagé des discussions avec la profession depuis juillet 2012, afin d’essayer d’introduire une réforme, que nous pensons indispensable et qui a été rendue urgente du fait de l’immobilisme constaté lors des dix années précédentes, malgré la publication des rapports dont je viens de parler.

Ces discussions ont été entamées sur la base de la transparence et de la loyauté, méthode qui – j’en conviens – n’est pas faite pour aller vite… Néanmoins, nous avons avancé, et l’amendement qui vous est soumis permet de tirer les enseignements de l’inquiétude générale quant au système de l’aide juridictionnelle.

Aujourd’hui, le système de l’aide juridictionnelle n’est satisfaisant pour personne. Il ne l’est pas pour les justiciables éligibles parce qu’il n’est ni efficace ni diligent ; il n’est même pas conforme aux nécessités, puisque nous sommes amenés à relever le plafond des ressources à 1 000 euros. Il ne l’est pas non plus pour les avocats, qui considèrent à bon droit que le niveau de rétribution de leurs prestations n’est pas adapté à la qualité des prestations qui sont attendues.

J’ajoute que ce système n’est pas satisfaisant non plus pour la puissance publique ou pour le législateur, car il n’a pas évolué conformément aux dispositions prévues dans la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Qui plus est, la concentration de cette activité professionnelle – 16 % des avocats assurent ainsi 84 % de l’aide juridictionnelle – peut fragiliser les cabinets d’avocats concernés et les rendre dépendants de cette activité en termes de revenus, ce qui peut entraîner une certaine précarité.

Cette insatisfaction générale appelle des réponses, certaines immédiates, en particulier par l’augmentation, chaque année, du budget de l’aide juridictionnelle, d’autres sur le moyen et le long terme, car il faut bien finir par consolider ce dispositif.

C’est pourquoi nous avons proposé de relever le plafond de ressources à 1 000 euros pour ces derniers – n’oublions pas que le système a été conçu pour les justiciables. En outre, nous indexons ce plafond sur l’évolution constatée des prix à la consommation hors tabac, ce qui permet de garantir le maintien du pouvoir d’achat.

Par ailleurs, nous améliorons le niveau de rétribution des avocats, avec une augmentation moyenne de 12, 6 %, alors qu’elle était figée depuis 2007. Nous réduisons le nombre de groupes de barreaux de dix à trois. L’unité de valeur vaudra ainsi 26, 5 euros dans le premier groupe – elle s’élève aujourd’hui à 22, 5 euros –, 27, 5 euros dans le deuxième et 28, 5 euros dans le troisième.

Nous avions prévu une unité de valeur socle, qui soit articulée avec une contractualisation permettant d’apporter une rétribution complémentaire, en tenant compte des spécificités de certains territoires, par exemple la typologie des contentieux – dans certains territoires, certains types de contentieux sont en effet plus importants que d’autres – ou la distance qui peut entraîner des frais plus importants à tel ou tel endroit. L’amendement supprime cette unité de valeur socle, car la profession, qui juge l’idée de la contractualisation tout à fait pertinente, estime qu’elle a besoin de temps pour y travailler. Elle s’y est d’ailleurs engagée dans le cadre du protocole du 28 octobre.

La profession s’est également engagée à travailler avec nous sur des instruments qui sont utiles à tous, notamment la mise en place tant du portail Portalis pour la justice civile, en particulier dans le cadre de la réforme de la justice du XXIe siècle, que d’une application spécifique pour la gestion de l’aide juridictionnelle.

En outre, l’amendement prévoit de supprimer la disposition consistant à prélever 5 millions d’euros sur les 75 millions d’euros de produits financiers des fonds des clients qui transitent par les CARPA et qui sont placés.

Parmi les dispositions de simplification du traitement de l’aide juridictionnelle, nous introduisons par exemple, pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ainsi que du revenu de solidarité active, une dispense de justification de l’insuffisance des revenus.

Enfin, nous améliorons aussi l’accès à l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une médiation, tandis que diverses dispositions sont relatives à la retenue et à la rétention.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter à la représentation nationale. Si elles ont été un peu longues, je vous prie de m’en excuser, mais la question de l’aide juridictionnelle a fait l’objet de tellement de débats, d’informations contradictoires, voire parfois d’informations erronées, qu’il me semblait important de prendre le temps nécessaire.

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