Intervention de Philippe Mouiller

Commission des affaires sociales — Réunion du 24 novembre 2015 à 15h00
Loi de finances pour 2016 — Mission « solidarité insertion et égalité des chances » - examen du rapport pour avis

Photo de Philippe MouillerPhilippe Mouiller, rapporteur pour avis :

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », septième du budget de l'Etat par le montant de ses crédits, sera dotée l'année prochaine de 18,2 milliards d'euros, en progression de 16 % par rapport à 2015. Cette augmentation soutenue résulte de la mise en oeuvre de plusieurs réformes dans le champ des politiques de solidarité. Deux d'entre elles se traduisent par des transferts de dépenses vers le budget de l'Etat.

L'entrée en vigueur au 1er janvier prochain de la prime d'activité, créée par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, conduit en effet à intégrer au programme « Inclusion sociale et protection des personnes » les financements jusqu'à présent consacrés à la prime pour l'emploi (PPE) et inscrits à la mission « Travail et emploi ». Au total, 3,95 milliards d'euros doivent être dédiés l'année prochaine au versement de cette nouvelle prestation.

La réforme du financement de la protection juridique des majeurs a également un impact sur ce même programme qui finance désormais les mesures jusqu'à présent prises en charge par les organismes de sécurité sociale, pour un montant de 390 millions d'euros. Quoique bienvenue, cette simplification, qui place l'essentiel de ces dépenses sous la responsabilité d'un seul financeur, reste partielle dans la mesure où les départements continuent de participer à hauteur de 0,3 % aux dotations globales des services mandataires.

Deux autres mesures, d'une ampleur moindre, mobilisent des financements nouveaux. Une aide à la réinsertion familiale et sociale sera consacrée à compter du 1er janvier prochain à l'accompagnement des anciens travailleurs migrants -les chibanis en particulier- qui effectuent des séjours réguliers dans leur pays d'origine. Entre 10 000 et 15 000 personnes devraient bénéficier de cette aide d'un montant prévisionnel de 60 millions. Il s'agit de mettre en oeuvre l'une des recommandations du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les immigrés âgés publié en juillet 2013, qui soulignait la nécessité de donner, enfin, une existence réelle à une aide dont le principe a été fixé dès la loi « DALO » du 5 mars 2007.

Créé par l'article 4 de la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel, le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées est abondé à hauteur de 2,8 millions d'euros par des crédits du programme « Egalité entre les femmes et les hommes » et par des recettes provenant de la confiscation des biens ayant servi à commettre l'infraction de proxénétisme ainsi que des produits issus de cette infraction. Sa mission principale consistera à financer le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle créé par cette même proposition de loi.

L'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui concentre près de la moitié des crédits de la mission, est versée chaque année à un nombre croissant de bénéficiaires (près de 1 100 000 l'année prochaine). Systématiquement sous-évaluée en loi de finances initiale, l'enveloppe consacrée à l'AAH est abondée chaque année à un niveau significatif pour faire face à la dépense effective. En 2015, ce sont encore 300 millions d'euros qui devraient être mobilisés à cette fin. Cette sous-budgétisation structurelle est problématique. Ou bien l'on considère, comme Eric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances, que l'Etat doit se donner les moyens d'assumer pleinement le coût des politiques de solidarité dont il a la charge, et a par conséquent le devoir d'abonder de façon significative les crédits consacrés à l'AAH dès la loi de finances initiale ; ou bien l'on tire les conséquences de la conjoncture budgétaire en prenant des mesures structurelles de maîtrise de la dépense. En 2016, comme les années précédentes, le Gouvernement reste au milieu du gué, après avoir proposé puis renoncé à la prise en compte des revenus du patrimoine non fiscalisés - dérisoire par sa portée financière mais hautement symbolique pour les personnes handicapées.

La participation de l'Etat en direction des établissements et services d'aide par le travail (Esat) sera maintenue l'année prochaine à un niveau de 2,75 milliards d'euros. Ces crédits sont consacrés au financement de la dotation globale de fonctionnement, à celui de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) et, pour un montant symbolique de 1,5 million d'euros, à la mise en oeuvre d'un plan d'aide à l'investissement. De nouveau, l'Etat prévoit le gel des créations de places dans les Esat.

En 2017, le financement du fonctionnement des Esat sera transféré à l'assurance maladie. Espérerons que cette réforme, qui donnera davantage de marges de manoeuvre aux ARS dans la gestion des enveloppes consacrées au secteur médico-social, aidera à mieux organiser les parcours des personnes en situation de handicap et à renforcer l'offre de places en Esat, structurellement insuffisante. Comme l'a déjà souligné Colette Giudicelli, il convient malgré tout de rester attentif aux modalités concrètes de ce transfert, qui ne seront connues qu'à l'automne prochain, et de veiller à ce que les financements relatifs à la GRTH et au fonctionnement des structures, désormais confiés à deux financeurs différents, connaissent des évolutions concordantes.

L'enveloppe consacrée à la prime d'activité a été construite sur la base d'un taux de recours égal à 50 % l'année prochaine, contre 32 % pour le RSA activité. Prévoir, dès 2016, une hausse de 18 points du taux de recours pour une prestation qui, fondamentalement, diffère assez peu de l'ancien RSA activité, me paraît très optimiste. De nombreux ménages qui percevaient de façon automatique la PPE risquent de ne pas présenter de demande, ce qui n'est pas fait pour améliorer le taux de recours à la prime d'activité. La commission des finances a adopté la semaine dernière un amendement de son rapporteur général diminuant de 650 millions d'euros le niveau des crédits en se fondant sur l'hypothèse, plus réaliste, d'un taux de recours de 32 %. Tout en partageant l'analyse pragmatique effectuée de la commission des finances pour l'année 2016, j'estime qu'il nous faudra, à l'avenir, veiller à ce que le taux de recours à la prime d'activité atteigne un niveau satisfaisant.

La participation de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) s'élèvera l'année prochaine à 67,6 millions d'euros. Comme en 2015, cette enveloppe inclut une contribution complémentaire de 10 millions, prélevée sur le budget de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). L'Etat ne maintient son effort en direction des MDPH que par la mobilisation de ressources extérieures. De surcroit, dans de nombreux territoires, les départements sont très largement mis à contribution pour assurer l'équilibre financier de ces structures, insuffisamment accompagnées par l'Etat et la CNSA.

Mes auditions ont montré que la charge de travail des MDPH est difficilement soutenable. Ces dernières sont en pratique placées face à deux injonctions contradictoires : gérer un nombre croissant de tâches administratives particulièrement chronophages tout en développant l'accompagnement des personnes handicapées et de leurs familles. Équation difficile à résoudre quand les moyens humains et financiers sont contraints et que le législateur leur confie de nouvelles missions.

Les directeurs de MDPH que j'ai rencontrés s'inquiètent de la mise en oeuvre de l'article 21 bis du projet de loi « Santé ». Sans remettre en cause l'opportunité d'un dispositif dans lequel sont déjà engagés, à titre expérimental, vingt-trois départements, beaucoup s'interrogent sur les moyens dont disposeront les MDPH pour assurer la coordination des acteurs chargés de proposer le plan d'accompagnement global créé par cet article. En effet, aucun accompagnement financier n'est prévu pour les aider à remplir cette mission. Afin que cet article 21 bis, dont nous connaissons les attentes qu'il suscite dans le monde associatif, puisse être appliqué dans des conditions satisfaisantes, je vous proposerai un amendement qui augmente de 10 millions d'euros la contribution de l'Etat au fonctionnement des MDPH.

Au-delà, un effort plus poussé doit être engagé dans le sens de la simplification du travail des MDPH. Certains chantiers ont déjà abouti, par exemple pour faire passer de deux à cinq ans la durée d'attribution de l'AAH aux personnes atteintes d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ou pour délivrer de façon quasi-automatique les cartes européennes de stationnement et les cartes d'invalidité aux personnes relevant des GIR 1 et 2. D'autres prennent davantage de temps, en particulier les systèmes d'information. Si plusieurs scénarios sont encore à l'étude, les acteurs penchent pour une harmonisation à partir des systèmes d'information existants plutôt que pour leur remplacement par un dispositif unique.

En termes de gouvernance, le maintien du groupement d'intérêt public (GIP) semble privilégié par un grand nombre d'acteurs, à la fois pour garantir aux MDPH leur indépendance et pour que les associations soient pleinement parties prenantes de la prise de décision.

A l'égard des maisons départementales de l'autonomie (MDA), les avis convergent pour adopter une démarche pragmatique consistant à mutualiser les tâches là où elles peuvent l'être le plus utilement, c'est-à-dire pour l'accueil, l'information et, dans une certaine mesure, l'évaluation des besoins. Au-delà, c'est la question des contours que revêtirait une véritable politique de l'autonomie qui doit être posée : faut-il aller vers la suppression des barrières d'âge et la mise en place d'un dispositif unique de compensation de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ? La réponse n'est pas évidente et est loin de faire consensus chez les acteurs concernés.

Ainsi, s'il convient de rester prudent sur les hypothèses d'évolution des dépenses formulées par le Gouvernement, je vous proposerai malgré tout, par cohérence avec la position de la commission des finances, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission ainsi qu'à l'article 63 qui donne un caractère pérenne au financement par l'Etat du RSA-jeunes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion