La réunion est ouverte à 15 heures.
La commission examine le rapport pour avis de M. Philippe Mouiller sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »).
La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », septième du budget de l'Etat par le montant de ses crédits, sera dotée l'année prochaine de 18,2 milliards d'euros, en progression de 16 % par rapport à 2015. Cette augmentation soutenue résulte de la mise en oeuvre de plusieurs réformes dans le champ des politiques de solidarité. Deux d'entre elles se traduisent par des transferts de dépenses vers le budget de l'Etat.
L'entrée en vigueur au 1er janvier prochain de la prime d'activité, créée par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, conduit en effet à intégrer au programme « Inclusion sociale et protection des personnes » les financements jusqu'à présent consacrés à la prime pour l'emploi (PPE) et inscrits à la mission « Travail et emploi ». Au total, 3,95 milliards d'euros doivent être dédiés l'année prochaine au versement de cette nouvelle prestation.
La réforme du financement de la protection juridique des majeurs a également un impact sur ce même programme qui finance désormais les mesures jusqu'à présent prises en charge par les organismes de sécurité sociale, pour un montant de 390 millions d'euros. Quoique bienvenue, cette simplification, qui place l'essentiel de ces dépenses sous la responsabilité d'un seul financeur, reste partielle dans la mesure où les départements continuent de participer à hauteur de 0,3 % aux dotations globales des services mandataires.
Deux autres mesures, d'une ampleur moindre, mobilisent des financements nouveaux. Une aide à la réinsertion familiale et sociale sera consacrée à compter du 1er janvier prochain à l'accompagnement des anciens travailleurs migrants -les chibanis en particulier- qui effectuent des séjours réguliers dans leur pays d'origine. Entre 10 000 et 15 000 personnes devraient bénéficier de cette aide d'un montant prévisionnel de 60 millions. Il s'agit de mettre en oeuvre l'une des recommandations du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les immigrés âgés publié en juillet 2013, qui soulignait la nécessité de donner, enfin, une existence réelle à une aide dont le principe a été fixé dès la loi « DALO » du 5 mars 2007.
Créé par l'article 4 de la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel, le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées est abondé à hauteur de 2,8 millions d'euros par des crédits du programme « Egalité entre les femmes et les hommes » et par des recettes provenant de la confiscation des biens ayant servi à commettre l'infraction de proxénétisme ainsi que des produits issus de cette infraction. Sa mission principale consistera à financer le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle créé par cette même proposition de loi.
L'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui concentre près de la moitié des crédits de la mission, est versée chaque année à un nombre croissant de bénéficiaires (près de 1 100 000 l'année prochaine). Systématiquement sous-évaluée en loi de finances initiale, l'enveloppe consacrée à l'AAH est abondée chaque année à un niveau significatif pour faire face à la dépense effective. En 2015, ce sont encore 300 millions d'euros qui devraient être mobilisés à cette fin. Cette sous-budgétisation structurelle est problématique. Ou bien l'on considère, comme Eric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances, que l'Etat doit se donner les moyens d'assumer pleinement le coût des politiques de solidarité dont il a la charge, et a par conséquent le devoir d'abonder de façon significative les crédits consacrés à l'AAH dès la loi de finances initiale ; ou bien l'on tire les conséquences de la conjoncture budgétaire en prenant des mesures structurelles de maîtrise de la dépense. En 2016, comme les années précédentes, le Gouvernement reste au milieu du gué, après avoir proposé puis renoncé à la prise en compte des revenus du patrimoine non fiscalisés - dérisoire par sa portée financière mais hautement symbolique pour les personnes handicapées.
La participation de l'Etat en direction des établissements et services d'aide par le travail (Esat) sera maintenue l'année prochaine à un niveau de 2,75 milliards d'euros. Ces crédits sont consacrés au financement de la dotation globale de fonctionnement, à celui de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) et, pour un montant symbolique de 1,5 million d'euros, à la mise en oeuvre d'un plan d'aide à l'investissement. De nouveau, l'Etat prévoit le gel des créations de places dans les Esat.
En 2017, le financement du fonctionnement des Esat sera transféré à l'assurance maladie. Espérerons que cette réforme, qui donnera davantage de marges de manoeuvre aux ARS dans la gestion des enveloppes consacrées au secteur médico-social, aidera à mieux organiser les parcours des personnes en situation de handicap et à renforcer l'offre de places en Esat, structurellement insuffisante. Comme l'a déjà souligné Colette Giudicelli, il convient malgré tout de rester attentif aux modalités concrètes de ce transfert, qui ne seront connues qu'à l'automne prochain, et de veiller à ce que les financements relatifs à la GRTH et au fonctionnement des structures, désormais confiés à deux financeurs différents, connaissent des évolutions concordantes.
L'enveloppe consacrée à la prime d'activité a été construite sur la base d'un taux de recours égal à 50 % l'année prochaine, contre 32 % pour le RSA activité. Prévoir, dès 2016, une hausse de 18 points du taux de recours pour une prestation qui, fondamentalement, diffère assez peu de l'ancien RSA activité, me paraît très optimiste. De nombreux ménages qui percevaient de façon automatique la PPE risquent de ne pas présenter de demande, ce qui n'est pas fait pour améliorer le taux de recours à la prime d'activité. La commission des finances a adopté la semaine dernière un amendement de son rapporteur général diminuant de 650 millions d'euros le niveau des crédits en se fondant sur l'hypothèse, plus réaliste, d'un taux de recours de 32 %. Tout en partageant l'analyse pragmatique effectuée de la commission des finances pour l'année 2016, j'estime qu'il nous faudra, à l'avenir, veiller à ce que le taux de recours à la prime d'activité atteigne un niveau satisfaisant.
La participation de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) s'élèvera l'année prochaine à 67,6 millions d'euros. Comme en 2015, cette enveloppe inclut une contribution complémentaire de 10 millions, prélevée sur le budget de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). L'Etat ne maintient son effort en direction des MDPH que par la mobilisation de ressources extérieures. De surcroit, dans de nombreux territoires, les départements sont très largement mis à contribution pour assurer l'équilibre financier de ces structures, insuffisamment accompagnées par l'Etat et la CNSA.
Mes auditions ont montré que la charge de travail des MDPH est difficilement soutenable. Ces dernières sont en pratique placées face à deux injonctions contradictoires : gérer un nombre croissant de tâches administratives particulièrement chronophages tout en développant l'accompagnement des personnes handicapées et de leurs familles. Équation difficile à résoudre quand les moyens humains et financiers sont contraints et que le législateur leur confie de nouvelles missions.
Les directeurs de MDPH que j'ai rencontrés s'inquiètent de la mise en oeuvre de l'article 21 bis du projet de loi « Santé ». Sans remettre en cause l'opportunité d'un dispositif dans lequel sont déjà engagés, à titre expérimental, vingt-trois départements, beaucoup s'interrogent sur les moyens dont disposeront les MDPH pour assurer la coordination des acteurs chargés de proposer le plan d'accompagnement global créé par cet article. En effet, aucun accompagnement financier n'est prévu pour les aider à remplir cette mission. Afin que cet article 21 bis, dont nous connaissons les attentes qu'il suscite dans le monde associatif, puisse être appliqué dans des conditions satisfaisantes, je vous proposerai un amendement qui augmente de 10 millions d'euros la contribution de l'Etat au fonctionnement des MDPH.
Au-delà, un effort plus poussé doit être engagé dans le sens de la simplification du travail des MDPH. Certains chantiers ont déjà abouti, par exemple pour faire passer de deux à cinq ans la durée d'attribution de l'AAH aux personnes atteintes d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ou pour délivrer de façon quasi-automatique les cartes européennes de stationnement et les cartes d'invalidité aux personnes relevant des GIR 1 et 2. D'autres prennent davantage de temps, en particulier les systèmes d'information. Si plusieurs scénarios sont encore à l'étude, les acteurs penchent pour une harmonisation à partir des systèmes d'information existants plutôt que pour leur remplacement par un dispositif unique.
En termes de gouvernance, le maintien du groupement d'intérêt public (GIP) semble privilégié par un grand nombre d'acteurs, à la fois pour garantir aux MDPH leur indépendance et pour que les associations soient pleinement parties prenantes de la prise de décision.
A l'égard des maisons départementales de l'autonomie (MDA), les avis convergent pour adopter une démarche pragmatique consistant à mutualiser les tâches là où elles peuvent l'être le plus utilement, c'est-à-dire pour l'accueil, l'information et, dans une certaine mesure, l'évaluation des besoins. Au-delà, c'est la question des contours que revêtirait une véritable politique de l'autonomie qui doit être posée : faut-il aller vers la suppression des barrières d'âge et la mise en place d'un dispositif unique de compensation de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ? La réponse n'est pas évidente et est loin de faire consensus chez les acteurs concernés.
Ainsi, s'il convient de rester prudent sur les hypothèses d'évolution des dépenses formulées par le Gouvernement, je vous proposerai malgré tout, par cohérence avec la position de la commission des finances, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission ainsi qu'à l'article 63 qui donne un caractère pérenne au financement par l'Etat du RSA-jeunes.
Je salue le fait qu'aient été reprises sur les chibanis les propositions que nous avions présentées lors de l'audition du ministre des anciens combattants.
Le rapport d'information d'Eric Bocquet a fait le point sur les Esat, sujet que nous connaissons bien dans nos départements. Confrontés à une concurrence de plus en plus vive, les Esat subissent la conjoncture économique et sont soumis à une contrainte budgétaire accrue, tant en fonctionnement qu'en investissement. Le vieillissement des personnes prises en charge représente un défi supplémentaire. Lorsque celles-ci ont plus de 60 ans, certains départements ruraux tentent de les accueillir dans les Ehpad, où le nombre de places est limité. Souvent les départements ont décidé de construire des Ehpad pour les personnes handicapées vieillissantes. Celui des Deux-Sèvres en a réalisé deux de quarante places chacun, ce qui a libéré des places dans les Esat. Au final, ce sont les collectivités territoriales qui, indirectement, compensent le manque de places dans les Esat. Il faudra un jour clarifier les responsabilités des uns et des autres.
L'Etat consacre 67,6 millions aux MDPH, des structures qu'il a pris la responsabilité de créer. Dans la Marne, la participation du département est supérieure à celle de l'Etat. D'où ma question : quel est le coût total de fonctionnement des MDPH, en prenant en compte les contributions de l'ensemble des financeurs ? En outre, il serait temps d'arrêter de modifier sans cesse les règles en leur imputant de nouvelles missions.
Enfin, il me semblait que l'adoption de l'amendement Ayrault entrainerait mécaniquement un taux de recours de 100 % à la prime d'activité. Qu'en est-il ?
Les crédits de l'économie sociale et solidaire sont-ils toujours inscrits dans cette mission ? De même, où ceux de la garantie jeunes sont-ils inscrits ?
Ce rapport est très clair. Certaines mesures sont positives comme l'augmentation des crédits, même si elle résulte largement de transferts, l'aide à la réinsertion des chibanis, ou encore la mise en place d'un fonds pour la prévention de la prévention de la prostitution. Toutefois nous déplorons l'absence de créations de places en Esat. De même, alors qu'une aide d'urgence a été annoncée pour les départements qui ne peuvent pas verser le RSA, la dotation de l'Etat n'est pas revalorisée. Ces inquiétudes nous conduisent à nous abstenir.
Les MDPH, après un démarrage difficile, donnent satisfaction et des progrès ont eu lieu sur la prise en charge par l'Etat. Certes, tout n'est pas parfait et les personnels ont du mal à tenir les délais d'instruction des dossiers. Je ne suis pas a priori défavorable à la transformation des MDPH en MDA. La gouvernance sous forme de GIP a l'avantage d'impliquer les associations. Toutefois, le périmètre n'est pas le même. La stratégie d'accompagnement diffère pour une personne qui entre dans le handicap à 70 ou 80 ans, à cause de la vieillesse, ou pour une personne qui a toujours été handicapée ou qui a subi un accident jeune. Qui, du département ou de la MDA, établira les plans à la personne liés à l'APA ? Qu'en sera-t-il également des méthodes d'action pour l'intégration des services d'aide et de soins dans le champ de l'autonomie (Maia) ? Il ne faudrait pas qu'en voulant améliorer les choses on détruise ce qui fonctionne bien.
J'ai longtemps été favorable au placement en Ehpad des personnes prises en charge en Esat lorsqu'elles atteignent l'âge de 60 ans. Il me semblait opportun de rassembler au sein d'une même structure spécialisée toutes ces personnes, tout en favorisant le brassage de la population. Je me suis pourtant aperçu que c'était une mauvaise idée : les personnes sortant des Esat à 60 ans se mêlent mal aux personnes très âgées et dépendantes accueillies dans les Ehpad. Dans les faits, on n'observe pas de vie sociale. Je suis convaincu désormais de la nécessité de créer des Ehpad spécialisés dans l'accueil des personnes sortant des Esat.
En effet, la création de places en Esat est gelée. Le décalage entre les besoins et les crédits disponibles reste criant et rien n'a changé depuis l'an dernier. Chaque département est contraint au bricolage pour assurer la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes. Cela durera tant que les moyens financiers n'augmenteront pas.
Les missions des MDPH ne cessent de s'accroître tandis que les moyens n'augmentent pas. Résultat, les délais d'instruction des dossiers explosent et les départements doivent compenser les manques de financement. Chacun est conscient des problèmes. Au-delà, il faut s'engager dans la voie de la simplification. Une réflexion est engagée. Des expérimentations avec la CNSA pour diminuer la lourdeur des démarches administratives sont en cours. Il faut accélérer. L'article 21 bis est une avancée sociale mais les directeurs de MDPH ne savent pas comment ils feront. Mon amendement, qui octroie dix millions supplémentaires aux MDPH, se veut un signal et les aidera à traverser cette phase de transition jusqu'en 2017.
Les méthodes de travail doivent aussi évoluer, de même que la prise en charge du handicap. Le lien avec les MDA est essentiel. La situation en France est très hétérogène : parfois le département joue un rôle prépondérant en matière de handicap, parfois ce sont les MDPH, parfois les structures coexistent. Une simplification est urgente. La mutualisation entre services est nécessaire. Espérons que cela ne restera pas un voeu pieux.
L'amendement Ayrault, s'il est adopté définitivement, ne s'appliquera qu'en 2017. La commission des finances du Sénat est partie du même constat : le taux de recours n'atteindra pas 50 %. C'est pourquoi elle a choisi de faire des économies sur cette ligne...
C'est cela. Dans tous les cas, chacun souhaite améliorer le niveau de recours, ce qui implique une hausse des dépenses.
Le financement de l'économie sociale et solidaire a été transféré à la mission « Economie », et la garantie jeunes relève de la mission « Travail et emploi ». Enfin, je partage certains constats de Laurence Cohen.
La transformation des MDPH en MDA a été au coeur du débat sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Nous avons décidé que la Commission exécutive (Comex) de la MDPH devait donner son accord préalable.
L'amendement de notre rapporteur est l'amendement miroir de celui déposé par le rapporteur général de la commission des finances, qui a dégagé une manne en baissant le taux de recours à la prime d'activité à 32 %. Le groupe socialiste ne votera pas cet amendement. S'abriter derrière l'amendement de Jean-Marc Ayrault pour financer le vôtre, voilà une démarche très politicienne... Jean-Marc Ayrault n'a jamais prétendu que la prime d'activité ne servait à rien !
Je regrette profondément que notre commission ne se prononce pas sur les crédits de l'économie sociale et solidaire. Elle avait pourtant examiné un grand projet de loi sur celle-ci.
Un chantier est en cours entre l'Etat, la CNSA et les MDPH pour simplifier les procédures administratives et privilégier l'accompagnement individualisé des personnes en offrant des solutions à proximité des lieux de vie, en évitant l'exil dans des pays frontaliers. Une expérimentation est en cours dans 22 départements. Nous sommes à la veille de modifications majeures.
Je prends note du gel des crédits des Esat. Qu'en est-il de la participation de l'Etat à la rémunération des travailleurs handicapés des entreprises adaptées ?
L'accord préalable de la Comex est une bonne mesure qui sécurise les associations représentant les adultes handicapés.
Madame Bricq, je suis pragmatique plutôt que politicien ! En vérité, Albéric de Montgolfier a été plus rapide que moi... Je n'ai jamais remis en cause l'opportunité de la prime d'activité. Les MDPH sont dans une situation difficile. Comme chacun sait que le taux de recours de 50 % ne sera pas atteint, j'ai simplement proposé de prélever dix millions sur les 3,95 milliards destinés à la prime d'activité pour financer les MDPH en attendant 2017.
Madame Archimbaud, dans le cadre du transfert de l'économie solidaire à la mission « Economie », les crédits ont été préservés, tout comme ceux consacrés à la rémunération des travailleurs handicapés des entreprises adaptées, qui relèvent de la mission « Travail et emploi ».
Je voulais poser la même question ! D'une manière générale, comme l'a titré l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, « le doute n'est plus permis » : la charge nette des départements en matière d'action sociale ne cesse de croître et ces derniers manquent de moyens. Les associations, comme celles qui gèrent les Esat ou les chantiers d'insertion, sont aussi en difficulté et les départements ne peuvent plus toujours venir à la rescousse. Je suis déçue par ce budget qui ne propose aucune solution et reste bien éloigné des besoins.
En 2014, l'État assurait 35 % du financement des MDPH, les départements 41 % et la CNSA, 19 %. Mon amendement tient compte de la sous-consommation très probable des crédits relatifs à la prime d'activité pour réaffecter 10 millions aux MDPH. C'est un signal, même si nous ne devons pas oublier l'exigence de simplification.
La commission adopte l'amendement n° II-192.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sous réserve de l'adoption de son amendement.
La commission examine le rapport pour avis de Mme Corinne Imbert sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Santé »).
A 1,26 milliard d'euros, les crédits de la mission « Santé » sont en hausse de 4,7 % par rapport à 2015. Comme les années précédentes, cette tendance résulte de l'évolution en sens contraires des deux programmes de la mission. Tandis que le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », voit ses crédits diminuer de 2,6 % en raison de la poursuite des efforts de rationalisation demandés aux agences sanitaires, le programme 183 « Protection maladie » affiche une progression de près de 10 %, après 13,7 % en 2015, à cause du dynamisme des dépenses d'aide médicale de l'Etat (AME).
La mission « Santé » ne regroupe qu'une partie limitée des dépenses en matière sanitaire, dont l'essentiel relève de l'assurance maladie. Elle ne comporte en outre pas de dépenses de personnel et ne concerne que certains établissements publics dont la tutelle est au moins partiellement assurée par le ministère des affaires sociales.
Au programme 204, la participation de l'Etat au Fonds d'intervention régional (Fir) est stable, à 124,5 millions d'euros, pour un budget total du Fir de plus de 3 milliards. On constate ensuite une certaine érosion des crédits de prévention alloués au niveau national, notamment des dépenses d'accompagnement dans le domaine de la lutte contre le Sida et les hépatites ainsi que des crédits dédiés à la lutte contre les maladies neuro-dégénératives. Enfin la réduction des subventions pour charges de service public versées aux agences sanitaires se poursuit.
Comme en 2015, le programme 204 financera l'année prochaine, à titre principal ou complémentaire, huit opérateurs sanitaires de l'Etat, pour un montant total de 292 millions d'euros contre 301 millions cette année. Le montant des subventions se réduit ainsi de 3,2 % après une diminution de 4,4 % en 2015. Cette évolution s'accompagne, comme les années précédentes, d'une baisse des plafonds d'emplois : une baisse de 50 équivalents temps plein (ETP) est programmée, après une baisse de 52 ETP en 2015. Les agences sanitaires sont ainsi appelées à poursuivre leurs efforts de rationalisation pour contribuer au redressement des finances publiques.
La subvention à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) représente à elle seule 40 % du montant total des subventions inscrites sur le programme. Cette jeune agence, qui s'est substituée à l'Afssaps le 1er mai 2012 à la suite de la crise du Mediator, a pour mission d'assurer la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et de garantir à tous les patients un accès équitable à l'innovation. Elle dispose pour ce faire d'un pouvoir de police sanitaire et prend chaque année plus de 80 000 décisions. Opérateur sous forte tension, elle doit tout à la fois assumer de nouvelles missions, se moderniser et réaliser des efforts de productivité.
L'agence rencontre en effet des difficultés d'organisation et de fonctionnement mises en évidence par la Cour des comptes en 2014 et l'Igas en 2015. Premier constat, les missions de l'ANSM n'ont cessé de s'étendre sans que la question de l'adéquation des moyens aux objectifs poursuivis n'ait reçu de réponse. Malgré l'engagement de son personnel, l'agence n'est toujours pas en mesure de résorber les retards significatifs apparus dans le traitement des signalements et des demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM). En outre, il semble que la généralisation des règles déontologiques formalisées à la suite de la crise du Mediator ne soit pas tout à fait achevée, faute de temps et d'outils adaptés. A l'échelle européenne, l'ANSM a subi ces dernières années une perte d'influence indéniable, qui se manifeste par le recul sensible du nombre de dossiers considérés comme stratégiques traités par la France au sein des instances européennes.
Les évaluations appellent l'agence à poursuivre la remise à niveau de ses outils de gestion et de ses systèmes d'information afin de sécuriser les procédures et de gagner en productivité. Ces constats sont partagés par la direction de l'agence. La nouvelle convention d'objectifs et de performance (Cop) pour les années 2015 à 2018 tente d'y répondre en recentrant son activité sur la mission de surveillance du marché et la poursuite de la recherche d'une meilleure efficience.
Pour 2016, la subvention allouée à l'ANSM est fixée à 117 millions d'euros (- 9 % par rapport à 2013). Le plafond d'emplois sera réduit de 13 ETP, après une baisse de 20 ETP en 2015. Depuis la création de l'agence, des prélèvements importants ont été effectués sur son fonds de roulement dont le niveau devrait être ramené de 45 millions d'euros en 2012 à 17 millions l'année prochaine. Compte tenu des défis considérables auxquels elle est confrontée et pour tenir compte de sa capacité d'adaptation, il me paraît nécessaire de stabiliser ses moyens à compter de 2017.
La loi « Santé » mettra en place d'une nouvelle agence nationale de santé publique l'année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une fusion à moyens constants, les plafonds d'emplois des trois opérateurs concernés, l'Institut de veille sanitaire (InVS), l'Institut pour la prévention et l'éduction à la santé (Inpes) et l'Etablissement de préparation aux urgences sanitaires (Eprus) restant inchangés. La participation à l'effort de maîtrise des dépenses publiques est quant à elle limitée à 0,6 % du montant total des subventions accordées en 2015.
Cette stabilité est bienvenue. Dans un premier temps, le regroupement des 585 agents des trois opérateurs et l'harmonisation des systèmes d'information induiront inévitablement des surcoûts. Le ministère de tutelle estime que les gains dégagés par la mutualisation se produiront progressivement à partir de 2017. Les trois agences ont réalisé d'importants efforts de rationalisation au cours des cinq derniers exercices. Enfin, la préservation des moyens dont dispose l'Eprus est essentielle. Le maintien de ses capacités d'anticipation et de réactivité est plus que jamais fondamentale dans la période que nous traversons.
Le programme 183 retrace les crédits de financement de l'aide médicale d'Etat (AME) et la dotation de l'Etat au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva). La prévision de dépenses d'AME s'élève à 744 millions d'euros, en progression de 9,9 % par rapport aux crédits initialement ouverts en 2015. Ce montant apparaît inférieur de près de 20 millions d'euros à la prévision actualisée par le projet de loi de finances rectificative pour 2015, qui prévoit d'ailleurs l'ouverture de 88 millions d'euros supplémentaires pour couvrir les dépenses effectivement constatées en fin d'année. Comme les années précédentes, une nouvelle sous-budgétisation est ainsi à craindre pour 2016.
En outre, les dotations inscrites dans les lois de finances ne couvrant pas la totalité des dépenses d'AME prises en charges par l'assurance maladie, il y aura accroissement de la dette de l'Etat vis-à-vis de la Cnam. Des apurements de dette ont eu lieu en 2007 et 2009. Une nouvelle dette s'est cependant constituée dès 2011. Son montant atteignait près de 75 millions d'euros à la fin du mois de septembre.
La Cour des comptes a critiqué le désengagement progressif de l'Etat envers l'assurance maladie dans le cadre de la mission « Santé ». Dans sa note d'analyse d'exécution budgétaire pour 2014, elle constate que « pour faire face à l'insuffisance récurrente des crédits AME, toutes les autres lignes budgétaires du programme sont progressivement réduites, voire annulées », citant en particulier la disparition du fonds CMU du périmètre de la loi de finances, l'annulation de la dotation de l'Etat au Fiva en 2014 et sa sous-budgétisation en 2015. Pour la Cour, « ces évolutions de périmètre ne suffisent pas à résoudre les difficultés provoquées par la croissance des dépenses d'AME, auxquelles la croissance de la dette vis-à-vis de la Cnam devient la réponse récurrente ».
Au-delà du nécessaire respect du principe de sincérité budgétaire, il me paraît indispensable d'approfondir les efforts déployés pour une meilleure maîtrise du dispositif.
La réforme de la tarification des séjours hospitaliers devrait entraîner une économie de 60 millions d'euros en 2016. De son côté, la Cnam travaille à harmoniser les procédures d'instruction tandis que les caisses primaires ont renforcé leurs contrôles pour lutter contre les fraudes.
L'examen des dossiers d'AME est cependant souvent rendu difficile par le caractère déclaratif des informations fournies par les demandeurs. Il arrive en particulier que des personnes demandent à être prises en charge au titre de l'AME alors qu'elles sont arrivées en France avec un visa de court séjour et qu'elles sont en principe assurées dans leur pays d'origine. La Cpam de Paris m'a ainsi indiqué que l'examen de certaines demandes donne des raisons sérieuses de penser que le demandeur pourrait disposer d'un visa. C'est la raison pour laquelle il me paraîtrait utile de prévoir, comme les caisses le demandent, un accès aux informations contenues dans la base « Réseau mondial visas 2 » du ministère des affaires étrangères. Il pourrait s'agir d'un accès indirect par lequel les caisses se verraient communiquer les renseignements nécessaires à la bonne instruction des dossiers (nature et durée de validité du visa). Je vous présenterai un amendement en ce sens.
La dotation de l'Etat au Fiva était initialement maintenue à son niveau de 2015, soit 10 millions d'euros. Je ne reviens pas sur nos réserves sur la faiblesse persistante de cette contribution par rapport à celle consentie par la branche AT-MP du régime général (430 millions). A l'Assemblée nationale, la dotation de l'Etat au Fiva a été majorée, à l'initiative du Gouvernement, de 3,4 millions d'euros, par cohérence avec l'adoption de l'article additionnel 62 quinquies rattaché à la mission « Santé ». Cet article prévoit une remise de créance au profit de victimes de l'amiante ayant perçu des indemnités du Fiva pour un montant supérieur à celui effectivement dû à l'issue d'une procédure contentieuse. Il régularise ainsi une situation particulièrement préjudiciable aux victimes. Je vous proposerai d'y être favorable.
En revanche, compte tenu des considérations émises sur le programme 183, les crédits de la mission « Santé » ne me paraissent pas pouvoir recueillir en l'état un avis favorable de notre commission.
Cet intéressant rapport met en évidence l'augmentation de 4,7 % des crédits de la mission. Si certains peuvent considérer que c'est insuffisant, l'augmentation est assez substantielle dans le contexte d'encadrement budgétaire pour 2016. Merci de ce focus sur l'ANSM ; nous attendons avec impatience le rapport de MM. Daudigny et Barbier sur le médicament. S'agissant de la nouvelle agence nationale de santé publique, malgré la fusion de trois agences, le budget global restera stable.
Nous aurons un débat sur l'AME en séance. Différents publics y sont éligibles. Demandez à la sénatrice-maire de Calais : ceux qui y prétendent là-bas sont très différents de ceux qui la demandent ici. Je le redirai en séance, dans les rares cas de détournement, il y a deux coupables : ceux qui sollicitent ce détournement et ceux qui le réalisent.
Selon vous, l'ANSM « n'est toujours pas en mesure de résorber les retards significatifs apparus dans le traitement des signalements ». Pourriez-vous préciser la notion de signalement et nous donner quelques exemples de « dossiers considérés comme stratégiques » dont le recul aboutit à la « perte d'influence » de l'Agence ?
La réduction de 2,6 % des crédits du programme 204 sont-ils imputables uniquement aux moindres moyens accordés aux agences sanitaires ou également à la réduction des programmes de prévention ? Les chiffres contredisent l'intérêt que le Gouvernement marque pour la prévention.
Oui, l'on confie plus de responsabilités aux agences sanitaires, et j'y suis sensible en tant que membre du conseil d'administration de l'ANSM. Mais je regrette la diminution de leurs effectifs sur deux ans : comment peuvent-ils faire plus et mieux ?
Nous débattrons du programme 183 en séance, mais je refuse, pour ma part, de stigmatiser les bénéficiaires de l'AME.
L'Etat n'intervient pas suffisamment dans le Fiva, comme je le signalais dans le rapport que j'avais rédigé en 2005 avec MM. Vanlerenberghe et Dériot. L'Etat ajoute 10 millions d'euros cette année ; cela ne suffit pas, mais espérons que c'est le début d'un cercle vertueux.
Merci d'être favorable à l'article additionnel 62 quinquies qui règlera le problème douloureux du trop-perçu, à la suite du jugement de la cour d'appel de Douai. Il évitera à certains ayants droit de régler une somme dont ils ne disposent pas, du fait d'une mauvaise compréhension de l'indemnisation.
Deux à trois ans après la crise du Mediator qui avait tout bouleversé, l'ANSM tarde à traiter des signalements et des demandes. C'est regrettable après tous les engagements pris par les gouvernements successifs. Les problèmes budgétaires ne sont pas de nature à empêcher toute solution. Sécurisons le contrôle de l'utilisation des médicaments mis sur le marché. Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur l'inachèvement de la généralisation des règles déontologiques, faute de temps et d'outils adaptés ? Cela ne devrait pourtant pas coûter cher...
À l'ANSM, il y a un avant et un après Mediator. Auparavant, la mission prioritaire de l'ANSM était l'instruction des dossiers d'AMM, et la seconde mission le suivi de la vie du médicament. Désormais, les priorités sont inversées et beaucoup d'AMM sont européennes. La durée de traitement des dossiers s'est allongée, avec une perte d'influence au niveau européen. En 2013, l'agence a été rapporteur dans 4 % des essais cliniques contre 37 % en 2010. Elle reçoit de nombreux signalements sur les effets indésirables des médicaments et effectue un important travail de suivi et d'instruction. Mais les retards de traitement n'ont pas encore été résorbés.
Je regrette aussi fortement la réduction des crédits de prévention au niveau national : ainsi, les crédits consacrés à la maladie d'Alzheimer et aux maladies dégénératives ont été divisés par deux, pour revenir à 200 000 euros, un niveau très faible au regard du nombre de malades.
Loin de moi l'idée de stigmatiser les bénéficiaires de l'AME : je n'ai abordé qu'un aspect du programme 183 : une personne étrangère en situation irrégulière sera toujours soignée si elle se présente à l'hôpital, mais on constate une dérive croissante des crédits à la charge de l'assurance maladie. La Cnam et la Cpam de Paris demandent depuis plusieurs années de croiser les données pour l'AME, au lieu de se contenter de déclarations. Appelons les choses par leur nom, il y a du tourisme médical. Mon amendement sera au moins un amendement d'appel sur les difficultés de l'assurance maladie à vérifier la réalité des droits.
Je remercie M. Godefroy de saluer mon avis favorable à l'amendement du Gouvernement sur le Fiva. C'est un avis de bon sens.
L'Igas constate que le contrôle de conformité des déclarations d'intérêts au fil de l'eau n'est pas systématique. Sur un échantillon de 180 déclarations d'experts, 12 % étaient non conformes, et trois présentaient des liens potentiellement incompatibles avec le mandat d'expert dans une instance consultative. Il faudrait également vérifier la mise à jour des déclarations à l'occasion de chaque réunion de commission pour les experts qui y siègent.
L'amendement n° II-195 propose que la caisse d'assurance maladie puisse instruire les demandes d'AME en ayant accès de façon indirecte au fichier des demandes, délivrances et refus de visas selon des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il servira au moins d'amendement d'appel.
La commission adopte l'amendement n° II-195.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé ».