Intervention de Christiane Taubira

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 novembre 2015 à 17h45
Loi de finances pour 2016 — Mission « justice » - Audition de Mme Christiane Taubira garde des sceaux ministre de la justice

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Merci de votre accueil. C'est toujours un plaisir de venir devant votre commission des lois, où j'apprécie la qualité des échanges et la précision des questions. Vous examinerez jeudi la mission « Justice », modifiée par les annonces du Président de la République devant le Congrès. Pour prendre toute sa part dans la lutte contre le terrorisme et la prise en charge des personnes qu'il implique, mon ministère doit affiner les outils dont il dispose. Son budget traduit les priorités du Gouvernement : justice du XXIème siècle, accès au droit et aide juridictionnelle, lutte contre le terrorisme, aide aux victimes et réforme pénale. Il franchit cette année la barre des 8 milliards d'euros, même après les 30 millions d'euros d'efforts supplémentaires qui nous ont été demandés il y a trois semaines.

Il comporte de nombreuses créations d'emplois : alors que 1 024 emplois nouveaux étaient prévus pour 2016 - sans compter les redéploiements - afin d'atteindre le chiffre de 1 834 en trois ans, le président de la République nous en a octroyé 2 500 de plus. Ainsi, nous aurons créé 6 100 emplois à la fin de la législature. Durant la campagne de 2012, le Président de la République s'était engagé à en créer 3 000 pour la police et la justice. Très rapidement, j'ai obtenu que nous en obtenions vraiment la moitié, ce qui nous a assuré dès mon premier budget la capacité de créer 500 emplois. Dès le second, ayant constaté d'importants besoins dans l'administration pénitentiaire, nous l'avons ajustée à la hausse. Les 6 100 emplois que nous aurons créés seront répartis entre les juridictions, la protection judiciaire de la jeunesse, l'administration pénitentiaire, et viendront renforcer notre logistique administrative et la modernisation de nos moyens informatiques.

La justice civile constitue 70 % de l'activité judiciaire. Sa réforme, que vous avez récemment adoptée à une très large majorité, comporte plusieurs innovations nécessitant la création d'emplois spécialisés, comme la création d'un service d'accueil unique des justiciables ou l'affectation de greffiers assistants du magistrat. Mettre en place la justice du XXIème siècle requiert aussi d'améliorer nos applicatifs informatiques. L'applicatif civil « Portalis » - dont le nom ne peut que vous être cher ! - était si lourd qu'on nous a conseillé d'y renoncer. Il est vrai que son développement devait prendre dix ans et coûter plus de 40 millions d'euros. Vu les besoins de la justice civile, j'ai préféré accélérer son développement afin qu'une première version soit opérationnelle fin 2015 et que le service d'accueil des justiciables commence à fonctionner. L'applicatif pénal « Cassiopée » avait quelques points aveugles : nous les comblons.

Cette réforme engage la fusion des juridictions sociales. La justice sociale s'adresse à des justiciables de condition modeste, qui connaissent mal l'univers judiciaire. Simplifier la constellation des juridictions, et en faciliter l'accès, est donc aussi un acte de justice sociale. J'avais proposé de réaliser par ordonnance la fusion, au sein du tribunal de grande instance, des tribunaux des affaires de sécurité sociale (Tass) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI), qui auraient repris une partie du contentieux des commissions départementales d'aide sociale (CDAS). Votre commission en a décidé autrement, préférant organiser cette fusion directement dans la loi. Pourtant, nous attendons incessamment la remise d'un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ). Sans doute faudra-t-il, en temps utile, apporter quelques précisions ou modifications à ce que vous avez prévu.

J'ai présenté hier matin en séance publique l'article 15 du PLF, relatif à l'aide juridictionnelle, ainsi que l'amendement qu'y a déposé le Gouvernement. Le Sénat s'intéresse depuis des années à la question. Les rapports de M. du Luart, en 2006, et de Mme Joissains et M. Mézard, en 2014, ont inspiré notre réforme. Le budget de l'aide juridictionnelle augmente régulièrement depuis notre arrivée aux affaires, mais c'est insuffisant : depuis 2001, tous s'accordent à penser que celle-ci est à bout de souffle. Nous relevons le plafond de ressources pour bénéficier de l'aide juridictionnelle, qui passe de 941 euros à 1 000 euros, et l'indexons sur l'évolution des prix hors tabac. Nous augmentons aussi la rétribution des avocats : nous avons restreint la modulation territoriale, en réduisant de dix à trois le nombre de groupes et accru de 12,6 % le montant de l'unité de valeur, figé depuis 2007. Celle-ci, jusqu'à présent comprise entre 22 et 24,5 euros, sera désormais de 26,5, 27,5 ou 28,5 euros. La diversification des ressources votée l'an passé aura rapporté 43 millions en 2015. Nous la maintenons et la renforçons, ce qui devrait rapporter 63 millions d'euros en 2016 et 83 millions d'euros en 2017. Nous simplifions également les procédures et introduisons la médiation.

Le premier plan de lutte antiterroriste date de janvier 2015. Dès novembre 2012, j'avais diffusé une circulaire précisant les critères définissant les détenus particulièrement signalés. Je l'ai actualisée en novembre 2013. Entre-temps, en juin 2013, j'avais mis en oeuvre un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires d'un montant de 33 millions d'euros, prévoyant l'installation de filets anti-projection, de portiques de détection, d'équipements de vidéosurveillance, la création de deux équipes cynotechniques supplémentaires et des formations supplémentaires. Nous avons lancé en 2014 un cycle de formation du personnel pénitentiaire sur la détection de la radicalisation, l'emprise sectaire et l'enseignement des religions. Des équipes légères de fouilles sont venues s'ajouter aux équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS). Enfin, nous avons recruté des aumôniers supplémentaires, en particulier musulmans : 30 en 2013, 30 en 2014, 30 en 2015 et, pour 2016, 30. La population carcérale musulmane est en effet la plus nombreuse, à en croire les chiffres relatifs à la pratique du ramadan. Or le nombre d'aumôniers musulmans venait en quatrième position : nous l'avons fait remonter à la deuxième, et avons doublé le budget que nous leur consacrons, qui passe à 1,2 million d'euros. Jusqu'en 2012, il n'y avait que quatre recrutements d'aumôniers musulmans par an...

Le renseignement pénitentiaire a été renforcé : de 70, le nombre d'officiers qui s'y consacrent est passé à 159 en 2015 et devrait atteindre 185 en 2016. Nous les faisons travailler sur la détection de signaux faibles. L'appel d'offre lancé en juillet 2014 a été remporté par l'association française des victimes du terrorisme. Depuis le 1er janvier 2015, celle-ci doit donc nous fournir un faisceau de signaux mettant en échec les stratégies de dissimulation. Elle organise également un programme de formation pour trente détenus autour de l'intervention de repentis, afin de combattre le discours de radicalisation.

Le plan antiterroriste de janvier 2015 nous octroie 950 postes et 302 millions d'euros supplémentaires. Nous renforçons donc le pôle antiterroriste de Paris, mettons en place un réseau de magistrats antiterroristes sur le territoire et créons des postes dans l'administration pénitentiaire, parfois pour de nouveaux métiers : ainsi, une cellule surveille désormais en permanence les réseaux sociaux, et travaille en partenariat avec une cellule pluridisciplinaire de réflexion associant des chercheurs, des professionnels de l'administration pénitentiaire et d'autres intervenants. Nous avons aussi recruté des traducteurs, des informaticiens et acquis un logiciel de contrôle en temps réel. Nous installons des brouilleurs de haute technologie adaptés aux nouveaux téléphones et près de 300 détecteurs de téléphones portables. Enfin, nous recrutons des surveillants pénitentiaires.

Pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous avons mis en place une mission nationale de veille et d'information, ainsi qu'un réseau « laïcité et citoyenneté » et un plan de formation de l'ensemble du personnel.

Le deuxième plan de lutte antiterroriste, annoncé par le Président de la République, nous octroie 2 500 emplois supplémentaires, qui seront affectés au pôle antiterroriste de Paris, dans les juridictions, dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) - car les liens du terrorisme avec le crime organisé sont réels - ou encore aux services pénitentiaires chargés des extractions judiciaires. Nous ferons un effort particulier d'équipement informatique pour les magistrats du parquet et du siège. Les moyens de prise en charge et d'accompagnement des fonctionnaires sous forte tension seront également renforcés.

La réforme pénale continuera à être mise en oeuvre. Après les efforts de recrutement en faveur des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), qui ont bénéficié de 1 000 personnes supplémentaires, dont 700 sont déjà recrutés et 510 en poste sur le terrain, nous accroissons leurs moyens.

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