L'avis que je vous présente porte sur quatre programmes de la mission justice : Justice judiciaire (n° 166) ; Accès au droit et à la justice (n° 101) ; Conduite et pilotage de la politique de justice (n° 310) ; Conseil supérieur de la magistrature (n°335).
L'année 2016 devrait être celle de la mise en oeuvre des mesures relatives à la justice du XXIème siècle dont l'impact financier est limité dans le budget. Ce dernier, par ailleurs, est muet sur la répartition des 2 500 postes devant revenir aux services judiciaires et à l'administration pénitentiaire, annoncés par le Président de la république, en réponse aux attentats du 13 novembre 2015.
Les crédits de paiement 2016 prévus pour ces quatre programmes s'élèvent à 3,769 milliards d'euros, en hausse de 0,7 % par rapport aux crédits pour 2015 mais inférieurs de 0,6 % aux crédits pour 2014. Ce budget est globalement stabilisé plutôt qu'en progression.
Le programme « Justice judiciaire » représente 81 % de cet ensemble. Il prévoit la création de 157 emplois. On constate une augmentation des délais moyens de traitement due à l'accroissement sensible du nombre d'affaires nouvelles enregistrées devant les tribunaux de grande instance et les cours d'appel, tandis qu'elles sont en diminution en 2014 devant les tribunaux d'instance. Cela pose question puisque le projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle prévoit de transférer certaines compétences des tribunaux d'instance (contraventions ; dommages corporels inférieurs à 10 000 €) aux tribunaux de grande instance et de supprimer les juridictions de proximité au 1er janvier 2017.
Le programme « Accès au droit et à la justice » augmente de 2,8 % en crédits de paiement avec pour objectif de favoriser l'information du justiciable et de faciliter, le cas échéant, la solution non contentieuse des litiges. Les crédits consacrés aux associations d'aides aux victimes continuent d'augmenter et je m'en félicite.
Le programme « Conduite et pilotage de la politique de justice » progresse de 5,8 % en autorisations d'engagement, notamment pour permettre la réalisation de grands projets informatiques tels que PORTALIS, indispensables pour la réussite du service unique de l'accueil des justiciables prévu par la réforme de la justice en cours. Le déploiement de PORTALIS devrait s'achever en 2021, pour un coût estimé à 44 millions d'euros. J'aurais aimé que ce soit plus rapide mais l'informatique n'est pas le domaine dans lequel le ministère de la justice est le plus performant.
Le programme « Conseil supérieur de la magistrature » évolue peu. Son président, Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, a insisté sur la nécessité pour le Conseil supérieur de la magistrature de disposer d'un outil informatique performant qui lui permettrait d'être moins dépendant des informations fournies par la direction des services judiciaires.
Globalement, on note que les effectifs des juridictions sont toujours sous tension malgré des créations d'emplois car tous les postes ouverts ne sont pas pourvus. Pour les magistrats, seuls 24 emplois ont été créés sur les 63 annoncés en 2014, et 34 sur les 64 prévus en 2015.
Compte tenu de cette situation, le budget initial pour 2016 corrige à la baisse le plafond d'emplois de 324 ETPT (équivalents temps plein travaillés) pour l'ajuster aux réalités, sachant qu'une partie des crédits de personnels non consommés servent à recruter des vacataires ou des assistants de justice.
Au cours de son audition devant notre commission hier, la garde des sceaux nous a donné quelques informations sur les 2 500 emplois dont le Président de la République a annoncé la création à la suite des attentats du 13 novembre. Les emplois devraient être répartis entre les juridictions interrégionales spécialisées, le pôle antiterroriste, diverses juridictions et l'administration pénitentiaire. Même s'il faut 31 mois pour former un magistrat, ce qui diffère d'autant la prise d'effet de ces créations de poste, un réel effort est en cours pour donner enfin à notre justice les moyens, notamment humains, dont elle manque depuis de nombreuses années.
Vous trouverez dans le rapport un tableau des effectifs réels et théoriques de magistrats affectés en juridiction, hors Cour de Cassation. Il montre qu'entre 2009 et 2014, les effectifs théoriques sont passés de 7 740 à 7 853 alors que, dans le même temps, les effectifs réels diminuaient de 7 710 à 7 458, avec un taux de vacance d'emploi qui s'est accru de 0,39 % à 5,03 %. Dans le même temps, les effectifs théoriques de fonctionnaires affectés aux juridictions ou en service administratif régional (SAR) sont restés stables passant de 21 189 à 21 174, tandis que les effectifs réels ont diminué de 2 %, passant de 20 076 à 19 680.
Avant même l'annonce faite à la suite des attentats du 13 novembre 2015, le budget pour 2016 prévoyait des créations d'emplois motivées par le plan de lutte antiterroriste décidé après les évènements de janvier 2015. Il permet de tripler les créations de postes : 157 en 2016 contre 49 en 2015. Tous ces nouveaux postes ne concernent pas, toutefois, la lutte antiterroriste : 24 postes de magistrats et 69 postes de greffiers seront consacrés à la mise en oeuvre des réformes relatives à la justice du XXIème siècle. Je souhaite également signaler la réforme statutaire du corps des greffiers et des greffiers en chef, attendue par les personnels concernés, qui doit se mettre progressivement en place après la signature du protocole d'accord en juillet 2014 avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives et les annonces faites aux entretiens de l'Unesco. Cette réforme conforte le greffier en chef, dénommé « directeur de greffe », dans ses fonctions d'encadrement supérieur et renforce les missions dévolues aux greffiers en matière d'encadrement, d'assistance au magistrat et d'accueil des justiciables. Les grilles indiciaires sont revalorisées, et la création de statuts d'emplois fonctionnels devrait permettre de valoriser les compétences.
Un mot sur les frais de justice : après deux années, 2012 et 2013, au cours desquelles d'importants efforts ont été réalisés pour contenir leur inflation et apurer les arriérés de paiement, l'enveloppe budgétaire correspondante semble à nouveau insuffisante. Il conviendra d'être vigilant afin d'éviter des arriérés aussi importants que ceux d'il y a quelques années qui avaient pour conséquence que certains auxiliaires de justice refusaient leur concours à la justice, faute de paiement de leurs missions antérieures.
Je ne reviens pas sur l'aide juridictionnelle, qui a été évoquée devant cette commission la semaine dernière. Je vous précise simplement que, dans le cadre du volet recettes du projet de loi de finances pour 2016, un amendement gouvernemental a été adopté en séance au Sénat. Il fixe notamment l'unité de valeur de référence à 26,5 euros au lieu de 22,5 euros, réduit la modulation géographique à 3 tranches au lieu de 10 et supprime le prélèvement sur les produits financiers des CARPA (Caisses des règlements pécuniaires des avocats). L'avenir nous dira si cela suffira pour calmer les craintes des avocats ou s'il faudra à nouveau évoquer les pistes de financement que j'évoquais ici même il y a huit jours.
J'aimerais en dernier lieu rendre hommage au personnel judiciaire (magistrats, greffiers et autres personnels) car c'est grâce à leur sens du service public que nos juridictions fonctionnent malgré un budget restreint.
Après ces quelques observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes étudiés, compte tenu, notamment, des renforcements d'effectifs décidés à la suite des attentats.
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président -