La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il est important, dans les trois mois qui viennent, d'organiser le travail de la commission pour le suivi de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Nous avons été unanimes à soutenir le recours à l'état d'urgence, mais il nous faut malgré tout être attentifs à la manière dont ces pouvoirs spéciaux sont utilisés. Il faut notamment veiller à trouver un équilibre entre les impératifs de protection des Français et la protection des libertés. Les restrictions aux libertés doivent être strictement proportionnées aux mesures nécessaires à la prévention de nouveaux attentats et à la découverte d'éléments permettant d'engager des poursuites. D'autant plus qu'il est possible que l'état d'urgence soit renouvelé, et nous espérons que la question du renouvellement se posera de manière différente de celle d'aujourd'hui. Le ministre de l'intérieur et le Premier ministre réuniront régulièrement un certain nombre de parlementaires pour les tenir informés. Cela ne nous empêche par prendre des initiatives dans ce domaine.

Je vous propose de désigner M. Michel Mercier comme rapporteur spécial de ce comité de suivi. Je propose également que chaque groupe politique désigne dans les jours qui viennent un de ces membres pour accompagner le rapporteur spécial dans son travail.

Je vous informe par ailleurs que, dans ce cadre, la commission auditionnera notamment le 9 décembre prochain M. François Molins, procureur de Paris, et M. David Bénichou, vice-président en charge de l'instruction à la section antiterrorisme du tribunal de grande instance de Paris. Nous pourrons faire par la suite d'autres auditions de ce type.

La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport pour avis de M. Alain Anziani sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Direction de l'action du Gouvernement », programme « Coordination du travail gouvernemental », et budget annexe « Publications officielles et information administrative »).

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Ce programme « Coordination du travail gouvernemental » est un des trois programmes de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». À l'issue de l'examen du budget par l'Assemblée nationale, nous constatons une augmentation sensible des crédits de 8,10 % en autorisations d'engagement, qui atteignent 616 millions d'euros, et de 1,35 % pour les crédits de paiement, qui atteignent 614 millions d'euros. En réalité, cette augmentation couvre une double évolution. Les crédits qui vont à la sécurité et au renseignement, ceux notamment de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information et du groupement interministériel de contrôle, qui a compétence sur les interceptions de sécurité, vont s'accroître, avec l'essentiel des 75 emplois nouveaux du programme. Mais les crédits des services du Premier ministre continuent de baisser, comme les trois années précédentes, avec 20 emplois en moins.

Le Premier ministre avait produit deux circulaires en 2014 sur l'organisation du travail gouvernemental, une troisième a été publiée le 30 octobre dernier. Cette dernière précise le mode de travail gouvernemental, avec des thèmes qui nous sont chers : mieux distinguer le travail administratif et le travail politique, mieux distinguer la loi et le règlement, éviter les « cavaliers législatifs » - en écho à la jurisprudence constitutionnelle de cet été - , limiter les amendements du Gouvernement - ils doivent rester une exception - et ne pas alourdir les textes de loi. Ces recommandations ne peuvent que nous agréer...

J'ai également porté mon attention sur un point particulier : les collectivités face au droit européen. L'article 112 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a en effet instauré un principe de co-responsabilité de l'État et des collectivités territoriales en cas de manquement au droit européen dans le domaine de compétences d'une collectivité. Il s'agit d'une évolution forte. Le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) doit accompagner les collectivités dans cette évolution. Il a engagé un dialogue avec elles, en commençant par l'association des régions de France (ARF), lesquelles sont particulièrement concernées par les questions environnementales. Ce dialogue concerne plusieurs points. Dès l'instant où une procédure est en cours, l'État informe les collectivités et il faut une remontée d'informations des collectivités vers l'État. Il est ensuite nécessaire de répartir les provisions et les éventuelles amendes entre les collectivités et l'État. Le SGAE travaille beaucoup avec l'ARF sur ces questions, l'objectif étant d'éviter ce type d'action récursoire, mais aussi et surtout d'améliorer la culture du droit européen dans les collectivités.

Sur le service d'information du Gouvernement, depuis trois ans, l'érosion est très forte sur les crédits de communication du Gouvernement, ce que je continue de déplorer. Le Gouvernement n'est pas en mesure de bien communiquer sur les questions nationales, dans le cadre de grandes campagnes d'information. Un plancher de 11 millions d'euros a été atteint en 2014, les crédits sont remontés à 16 millions pour 2015 et presque autant pour 2016, mais dont 4 millions vont être consacrés aux actions d'informations liées au terrorisme.

Enfin, s'agissant du budget annexe des publications officielles, il faut évoquer, avec le succès de la commission mixte paritaire d'hier, la disparition de la version papier du Journal officiel. La commission a repris le texte de l'Assemblée nationale, qui avait modifié un amendement du Sénat...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

visant à prévoir la possibilité pour les citoyens de demander la production sur papier d'un extrait du Journal officiel. L'Assemblée nationale s'est calée sur la loi de 1978 concernant la commission d'accès aux documents administratifs : cet extrait papier sera obtenu sauf si les demandes sont répétitives ou systématiques. Par ailleurs, toutes les collectivités ultramarines qui se sont manifestées ont donné un avis positif sur cette dématérialisation. Tout cela s'inscrit dans un cadre plus général de dématérialisation des services de la direction de l'information légale et administrative.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. André Reichardt sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Économie », programme « Développement des entreprises et du tourisme »).

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

La commission des lois s'est de nouveau saisie pour avis du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2016, au titre de ses compétences en matière de droit des entreprises, de simplification de leur environnement, de protection des consommateurs et de mise en oeuvre du droit de la concurrence.

Ce programme regroupe l'ensemble des crédits destiné au soutien aux entreprises, à la protection du consommateur et à la régulation concurrentielle des marchés. La mise en oeuvre de ces missions incombe principalement à la direction générale des entreprises (DGE), à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), tant en administration centrale que par le biais des services déconcentrés, ainsi qu'à l'Autorité de la concurrence.

À périmètre constant par rapport à la loi de finances pour 2015, les crédits du programme connaissent en 2016 une nouvelle baisse significative, comme les exercices précédents, en autorisations d'engagement de 0,91 % et en crédits de paiement de 4,14 %. Cela correspond à une baisse, en apparence modeste, de 27 emplois du plafond d'emplois. En réalité, l'impact sur les emplois est plus important, car il faut tenir compte du changement de périmètre du programme : le plafond d'emplois est donc amputé de 62 emplois, auxquels on peut ajouter quatre emplois au titre de corrections techniques.

L'Assemblée nationale, qui vient d'examiner le projet de loi de finances pour 2016 en première lecture, a minoré, davantage encore, les crédits alloués au programme. À l'issue de ses travaux, les crédits reculent encore, avec une baisse des autorisations d'engagement de 1,01 % et des crédits de paiement de 4,24 %.

Je voudrais relever deux changements de périmètre qui n'ont pas toutefois d'impact budgétaire majeur. Il s'agit, d'une part, du transfert vers le programme des crédits destinés à l'économie sociale et solidaire, et, d'autre part, dans la perspective de la création auprès du ministère de l'économie et des finances d'une nouvelle structure interministérielle pour les questions d'intelligence économique, du transfert vers le programme des crédits de l'actuelle délégation à l'intelligence économique. Ces modifications de périmètre représentent quelques millions d'euros supplémentaires seulement, ce qui est peu au regard du programme dans son ensemble, de sorte qu'ils ne masquent pas une baisse plus importante des crédits. En conséquence, je peux me féliciter d'une relative stabilité du périmètre pour 2016.

Il faut noter que la diminution des crédits n'affecte pas de la même manière toutes les actions du programme. L'action relative au commerce et à l'artisanat, qui correspond à une partie des crédits de la DGE, sera plus particulièrement touchée à la baisse. Cela traduit une poursuite de la baisse des crédits du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC). La DGE connaîtra une nouvelle réduction de ses effectifs, d'une trentaine d'emplois, comme les années précédentes. Les crédits alloués à l'Autorité de la concurrence, à l'inverse, vont augmenter fortement en 2016. Il s'agit de tenir compte des nouvelles missions qui lui ont été confiées par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015, dite « loi Macron », à l'égard des professions réglementées du droit. Enfin, les crédits de la DGCCRF seront en baisse, mais pas au détriment de ses effectifs, qui resteront stables en 2016.

Je souhaiterais me concentrer plus particulièrement sur les crédits de chacune de ces trois actions, pour mettre en avant les trois principaux acteurs du programme. Comme mon prédécesseur Antoine Lefèvre, je demeure préoccupé par la capacité des administrations concernées à assumer les missions qui leur sont conférées, compte tenu de l'évolution de leurs moyens.

En premier lieu, la DGCCRF, qui connaît une baisse de ses crédits mais un maintien de ses emplois, reste dans une situation fragile. Pour pallier une partie de ces difficultés, il existe un enjeu de mutualisation des moyens des services départementaux, qui est aujourd'hui insuffisante. Une mission de réflexion sur ce sujet a été confiée à deux inspecteurs généraux, nous verrons ce qui en résultera.

En second lieu, l'Autorité de la concurrence connaît une érosion régulière de ses crédits et de ses effectifs depuis plusieurs années, ce qui fragilise son activité de contrôle et affecte la crédibilité même de ses décisions. En 2016, son budget repart à la hausse : l'action qui regroupe ses crédits est la seule à augmenter de manière substantielle, de l'ordre de 10%. Cette hausse tire les conséquences des nouvelles compétences qui lui sont conférées par la loi « loi Macron ». Elle doit fournir un avis sur les tarifs des professions juridiques et judiciaires réglementées, faire une proposition de cartographie pour l'implantation de nouveaux professionnels tous les deux ans et donner un avis sur la démographie des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation tous les deux ans également.

L'Autorité doit d'ailleurs rendre prochainement son avis sur le projet de décret sur la base duquel devront être pris avant fin février 2016 des arrêtés fixant les tarifs de chaque profession concernée. S'agissant des règles d'installation, l'Autorité doit proposer dans le même délai une carte des besoins pour les notaires, les huissiers et les commissaires-priseurs judiciaires, et donc définir les zones dans lesquelles l'implantation de nouveaux professionnels s'avérerait pertinente.

L'accroissement des crédits de l'Autorité recoupe essentiellement des dépenses de personnels, pour permettre l'exercice de ces nouvelles missions. Il faut toutefois souligner que les crédits de fonctionnement sont insuffisants pour assurer le travail de cartographie en raison de sa technicité et du caractère transitoire de la période actuelle, avec des effectifs en augmentation seulement à partir de janvier prochain... On se demande comment l'Autorité de la concurrence pourra tenir les délais qui lui sont impartis. Compte tenu de ces contraintes, je juge indispensable que des moyens suffisants lui soient alloués, c'est pourquoi je vous proposerai un amendement qui vise à relever de 300 000 euros les crédits de fonctionnement de l'Autorité.

Le troisième volet concerne la DGE, qui gère notamment l'activité d'accompagnement des entreprises dans les territoires. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a clarifié les compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique, en donnant un rôle accru aux régions, par l'intermédiaire notamment du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, et en supprimant la clause de compétence générale. Cette loi a expressément prévu également que les régions pouvaient soutenir l'action collective des entreprises ainsi que les pôles de compétitivité, ce qu'elles faisaient déjà en pratique pour beaucoup d'entre elles.

En revanche, la loi n'a pas modifié les compétences de l'État en matière économique, alors même qu'on aurait pu imaginer que la nouvelle répartition de compétences entre les collectivités l'impliquât. Le 12 juillet dernier, le Premier ministre a néanmoins présenté, parmi les conclusions de la revue des missions de l'État, les trois axes des missions des services déconcentrés en matière de développement économique : la déclinaison au niveau régional des politiques publiques, l'accompagnement des entreprises et la veille stratégique sur le tissu économique local.

Au niveau national, la DGE est surtout en contact avec les grandes entreprises. Les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient plutôt de l'action des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Or, compte tenu des tensions croissantes sur les effectifs des services déconcentrés, je m'interroge donc sur leur capacité, au regard des moyens alloués, à assumer cette mission d'accompagnement des entreprises dans les territoires de manière satisfaisante.

Dans le cadre de mes auditions, j'ai reçu des représentants des organisations professionnelles d'employeurs et des réseaux consulaires. Ils ont tous tenu un discours relativement critique à l'égard des services de l'État en la matière, dont le rôle se cantonne de plus en plus à celui d'un observateur, au mieux d'un animateur. Ils pensent que l'État doit garder un rôle d'impulsion au niveau national, dans les politiques de filières industrielles notamment, mais ils ont émis des doutes sur la capacité des DIRECCTE, en région, à être localement le coordonnateur de la politique économique face à des régions renforcées. Les représentants des entreprises et des réseaux consulaires que nous avons entendus préconisent un renforcement des actions en faveur des très petites entreprises (TPE) et des PME, souvent écartées de fait des actions nationales et des programmes régionaux. Seul un renforcement des actions de proximité serait efficace en la matière.

Mon premier bilan fait apparaître un recul du rôle des DIRECCTE en matière économique. Je vous propose de suivre ce point au cours de l'année à venir pour examiner la situation avec les entreprises de nos différentes régions et les DIRECCTE elles-mêmes, par des déplacements en région.

Sous le bénéficie de ces observations, qui concernent principalement la DGE, la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence, et sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présenterai, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie ».

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Juste une petite remarque : je suis surpris que la commission des lois se prononce pour avis sur le budget de ce programme, je pensais la commission des affaires économiques compétente. C'est une simple remarque qui ne change pas mon vote sur la proposition du rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La commission des lois se saisit pour avis dans les limites de ses compétences. L'Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante, aux pouvoirs de contrôle et de sanction, qui relève de notre ressort. La DGCCRF exerce des compétences qui ont des conséquences dans le domaine pénal.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

La commission des affaires économiques se saisit bien évidemment elle aussi, mais la commission des lois a des compétences en matière de droit des entreprises, de simplification du droit, de protection des consommateurs, de régulation des marchés et de mise en oeuvre du droit de la concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je remercie le rapporteur pour l'intérêt de son travail. Il fait un bon choix en approfondissant la question de l'organisation de l'État, en matière d'entreprises, dans les régions.

J'entends bien que tout le monde dit qu'il n'y aura pas assez de fonctionnaires pour s'occuper d'action économique dans les régions. Mais il existe des chambres consulaires réorganisées au niveau régional. Quelle est aujourd'hui la mission des services de l'État vers les entreprises en régions ? Nous ne sommes plus dans une époque de planification économique, où l'État avait un rôle régulateur. Sa mission actuelle en région est essentiellement d'autorisation, d'agrément, de contrôle et non de conduite d'une politique économique. La politique économique se situe au niveau national, avec des applications régionales, sous la forme de politiques de filières. Nos PME et TPE attendent-elles pour leur développement plus de fonctionnaires ou bien des partenaires et accessoirement un réseau de services privés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M'intéressant à l'évolution du nombre de fonctionnaires de l'État sur l'ensemble du territoire, je constate une baisse des effectifs. Je pense que ces fonctionnaires sont utiles aux PME, qui ont beaucoup de difficultés pour accéder au crédit.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je propose un amendement visant à majorer de 300 000 euros les crédits de fonctionnement de l'Autorité de la concurrence, par un prélèvement sur les crédits de l'action n° 1 « Définition et mise en oeuvre de la politique économique et financière de la France dans le cadre national, international et européen » du programme « Stratégie économique et fiscale » de la mission « Économie ». L'Autorité de la concurrence souhaite recourir à des prestataires sur le travail de cartographie qui lui a été confié par la loi du 6 août 2015, car les délais réduits qui lui sont donnés ne lui permettent pas d'attendre des recrutements internes qui ne pourraient intervenir qu'en 2016.

J'indique au passage que les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence en 2014 puis en 2015 s'élèvent à plus d'un milliard d'euros, elle fait du bon travail.

L'amendement n° II-206 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2016.

Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Yves Détraigne sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Justice », programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature »).

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

L'avis que je vous présente porte sur quatre programmes de la mission justice : Justice judiciaire (166) ; Accès au droit et à la justice (n° 101) ; Conduite et pilotage de la politique de justice (n° 310) ; Conseil supérieur de la magistrature (n°335).

L'année 2016 devrait être celle de la mise en oeuvre des mesures relatives à la justice du XXIème siècle dont l'impact financier est limité dans le budget. Ce dernier, par ailleurs, est muet sur la répartition des 2 500 postes devant revenir aux services judiciaires et à l'administration pénitentiaire, annoncés par le Président de la république, en réponse aux attentats du 13 novembre 2015.

Les crédits de paiement 2016 prévus pour ces quatre programmes s'élèvent à 3,769 milliards d'euros, en hausse de 0,7 % par rapport aux crédits pour 2015 mais inférieurs de 0,6 % aux crédits pour 2014. Ce budget est globalement stabilisé plutôt qu'en progression.

Le programme « Justice judiciaire » représente 81 % de cet ensemble. Il prévoit la création de 157 emplois. On constate une augmentation des délais moyens de traitement due à l'accroissement sensible du nombre d'affaires nouvelles enregistrées devant les tribunaux de grande instance et les cours d'appel, tandis qu'elles sont en diminution en 2014 devant les tribunaux d'instance. Cela pose question puisque le projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle prévoit de transférer certaines compétences des tribunaux d'instance (contraventions ; dommages corporels inférieurs à 10 000 €) aux tribunaux de grande instance et de supprimer les juridictions de proximité au 1er janvier 2017.

Le programme « Accès au droit et à la justice » augmente de 2,8 % en crédits de paiement avec pour objectif de favoriser l'information du justiciable et de faciliter, le cas échéant, la solution non contentieuse des litiges. Les crédits consacrés aux associations d'aides aux victimes continuent d'augmenter et je m'en félicite.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de justice » progresse de 5,8 % en autorisations d'engagement, notamment pour permettre la réalisation de grands projets informatiques tels que PORTALIS, indispensables pour la réussite du service unique de l'accueil des justiciables prévu par la réforme de la justice en cours. Le déploiement de PORTALIS devrait s'achever en 2021, pour un coût estimé à 44 millions d'euros. J'aurais aimé que ce soit plus rapide mais l'informatique n'est pas le domaine dans lequel le ministère de la justice est le plus performant.

Le programme « Conseil supérieur de la magistrature » évolue peu. Son président, Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, a insisté sur la nécessité pour le Conseil supérieur de la magistrature de disposer d'un outil informatique performant qui lui permettrait d'être moins dépendant des informations fournies par la direction des services judiciaires.

Globalement, on note que les effectifs des juridictions sont toujours sous tension malgré des créations d'emplois car tous les postes ouverts ne sont pas pourvus. Pour les magistrats, seuls 24 emplois ont été créés sur les 63 annoncés en 2014, et 34 sur les 64 prévus en 2015.

Compte tenu de cette situation, le budget initial pour 2016 corrige à la baisse le plafond d'emplois de 324 ETPT (équivalents temps plein travaillés) pour l'ajuster aux réalités, sachant qu'une partie des crédits de personnels non consommés servent à recruter des vacataires ou des assistants de justice.

Au cours de son audition devant notre commission hier, la garde des sceaux nous a donné quelques informations sur les 2 500 emplois dont le Président de la République a annoncé la création à la suite des attentats du 13 novembre. Les emplois devraient être répartis entre les juridictions interrégionales spécialisées, le pôle antiterroriste, diverses juridictions et l'administration pénitentiaire. Même s'il faut 31 mois pour former un magistrat, ce qui diffère d'autant la prise d'effet de ces créations de poste, un réel effort est en cours pour donner enfin à notre justice les moyens, notamment humains, dont elle manque depuis de nombreuses années.

Vous trouverez dans le rapport un tableau des effectifs réels et théoriques de magistrats affectés en juridiction, hors Cour de Cassation. Il montre qu'entre 2009 et 2014, les effectifs théoriques sont passés de 7 740 à 7 853 alors que, dans le même temps, les effectifs réels diminuaient de 7 710 à 7 458, avec un taux de vacance d'emploi qui s'est accru de 0,39 % à 5,03 %. Dans le même temps, les effectifs théoriques de fonctionnaires affectés aux juridictions ou en service administratif régional (SAR) sont restés stables passant de 21 189 à 21 174, tandis que les effectifs réels ont diminué de 2 %, passant de 20 076 à 19 680.

Avant même l'annonce faite à la suite des attentats du 13 novembre 2015, le budget pour 2016 prévoyait des créations d'emplois motivées par le plan de lutte antiterroriste décidé après les évènements de janvier 2015. Il permet de tripler les créations de postes : 157 en 2016 contre 49 en 2015. Tous ces nouveaux postes ne concernent pas, toutefois, la lutte antiterroriste : 24 postes de magistrats et 69 postes de greffiers seront consacrés à la mise en oeuvre des réformes relatives à la justice du XXIème siècle. Je souhaite également signaler la réforme statutaire du corps des greffiers et des greffiers en chef, attendue par les personnels concernés, qui doit se mettre progressivement en place après la signature du protocole d'accord en juillet 2014 avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives et les annonces faites aux entretiens de l'Unesco. Cette réforme conforte le greffier en chef, dénommé « directeur de greffe », dans ses fonctions d'encadrement supérieur et renforce les missions dévolues aux greffiers en matière d'encadrement, d'assistance au magistrat et d'accueil des justiciables. Les grilles indiciaires sont revalorisées, et la création de statuts d'emplois fonctionnels devrait permettre de valoriser les compétences.

Un mot sur les frais de justice : après deux années, 2012 et 2013, au cours desquelles d'importants efforts ont été réalisés pour contenir leur inflation et apurer les arriérés de paiement, l'enveloppe budgétaire correspondante semble à nouveau insuffisante. Il conviendra d'être vigilant afin d'éviter des arriérés aussi importants que ceux d'il y a quelques années qui avaient pour conséquence que certains auxiliaires de justice refusaient leur concours à la justice, faute de paiement de leurs missions antérieures.

Je ne reviens pas sur l'aide juridictionnelle, qui a été évoquée devant cette commission la semaine dernière. Je vous précise simplement que, dans le cadre du volet recettes du projet de loi de finances pour 2016, un amendement gouvernemental a été adopté en séance au Sénat. Il fixe notamment l'unité de valeur de référence à 26,5 euros au lieu de 22,5 euros, réduit la modulation géographique à 3 tranches au lieu de 10 et supprime le prélèvement sur les produits financiers des CARPA (Caisses des règlements pécuniaires des avocats). L'avenir nous dira si cela suffira pour calmer les craintes des avocats ou s'il faudra à nouveau évoquer les pistes de financement que j'évoquais ici même il y a huit jours.

J'aimerais en dernier lieu rendre hommage au personnel judiciaire (magistrats, greffiers et autres personnels) car c'est grâce à leur sens du service public que nos juridictions fonctionnent malgré un budget restreint.

Après ces quelques observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes étudiés, compte tenu, notamment, des renforcements d'effectifs décidés à la suite des attentats.

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président - 

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Il serait nécessaire de disposer, pour plus de clarté, d'un outil statistique incontestable permettant de mesurer l'évolution des moyens consacrés à la justice, notamment sur la question des postes réellement pourvus. Nous nous éviterions des discussions semblables à celles que nous avons sur les effectifs de police.

J'observe le renforcement très significatif des moyens de la justice, même si ceux-ci ne sont pas encore à la mesure des besoins. Sur l'accès au droit et l'aide aux victimes, la recherche de solutions n'a pas été aisée, mais les résultats sont, me semble-t-il, satisfaisants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je partage cet avis : l'évolution globale est positive, même si la route est encore longue pour remonter une situation d'insuffisance installée. Pouvez-vous nous en dire plus sur les difficultés de mise en place de PORTALIS ? Cette application aurait dû être opérationnelle depuis bien longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

En 2015, certains tribunaux de grande instance, supprimés lors de la réforme de la carte judiciaire, ont été rétablis et des chambres détachées ont été créées. J'étais opposé à cette réforme, faite sans concertation. Avez-vous mesuré le coût de ces rétablissements et de ces créations, auxquels je suis évidemment favorable ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Il y aurait donc une discordance entre l'augmentation du plafond d'emploi et la baisse des effectifs réels : quelle en est la raison ? Est-ce un problème de recrutement, ou de goulet d'étranglement au niveau de la formation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Concernant PORTALIS, le calendrier reste le même que l'an passé. La première étape est la création d'un portail internet pour le justiciable, normalement opérationnel fin 2016 dans les tribunaux de grande instance et les cours d'appel. Si les moyens suivent, cela sera complété par un portail dédié aux auxiliaires de justice, qui pourront saisir leur procédure en ligne. À partir de 2020, l'application comporterait pour les magistrats de l'ordre judiciaire un bureau virtuel. En 2021, cette application devrait remplacer l'ensemble des applications civiles aujourd'hui existantes. Mais encore une fois, il faut que les moyens suivent.

Concernant le rétablissement des tribunaux de grande instance, cela mériterait effectivement un examen spécifique.

S'agissant des effectifs, le Gouvernement procède à une correction technique du plafond d'emplois qui n'avait plus de lien avec les effectifs réels en juridiction. Par ailleurs, la formation des magistrats dure 31 mois. De ce fait, il y a un décalage entre l'annonce de la création de postes, ou leur transcription dans le budget, et l'arrivée effective des intéressés en juridiction. Des recrutements latéraux sont organisés, comme ceux des assistants de justice, mais ce décalage entre les effectifs théoriques et les postes réellement pourvus persiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Il faut savoir si l'exercice budgétaire est un exercice de camouflage ou un exercice de contrôle ! La LOLF était censée rendre les choses plus claires. Si les chiffres ne reflètent pas la réalité, on passe complètement à côté de l'intérêt de l'exercice du contrôle parlementaire. Et cette question ne concerne pas seulement les crédits de la justice. C'est un problème de fond.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je suis d'accord avec mon collègue. Il y a peu d'administration où on constate un tel décalage entre les effectifs théoriques et réels. On observe par ailleurs la misère des moyens de fonctionnement, qui concerne même les rames de papier.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Vous trouverez dans le rapport un tableau comparant ces effectifs théoriques et réels. En 2014 et 2015, ces effectifs ont augmenté, mais ils baissaient depuis 2009.

Je vous propose, par ailleurs, un amendement visant à abonder de 300 000 euros les crédits pour l'accès au droit et à la justice, en les prélevant sur les crédits du programme « Conduite et pilotage des politiques de la justice ». L'objectif est de conforter l'action « Médiation familiale et espaces de rencontre » du programme « Accès au droit et à la justice », qui est un des aspects importants de la loi relative à la justice du XXIème siècle, développant les modes alternatifs de règlement des litiges.

L'amendement n° II.207 est adopté.

La commission émet un avis favorable, sous réserve de l'adoption de son amendement, à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ».

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Michel Delebarre sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Conseil et contrôle de l'État », programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières »).

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

Cette année, pour la deuxième fois, nous examinons ensemble les crédits de deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Il s'agit d'une part du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », qui représente 60,5 % des crédits de la mission et qui regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux 8 cours administratives d'appel, aux 42 tribunaux administratifs et, depuis le 1er janvier 2009, à la Cour nationale du droit d'asile, et d'autre part, du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », qui représente 33,4 % des crédits de la mission et qui concerne la Cour des comptes et les 20 chambres régionales et territoriales des comptes, dont le nombre sera réduit à 18 en 2016 en application de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions.

Ces deux budgets ont en commun de présenter une certaine stabilité permettant aux juridictions, tant administratives que financières, de disposer de conditions relativement favorables à l'exercice de leurs missions.

Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, les crédits de paiement alloués pour 2016 au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » sont en progression de 1 %. Le plafond d'emplois autorisés est fixé à 3 819 ETPT, soit 35 nouveaux emplois créés.

Les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en légère diminution par rapport à l'an dernier : - 0,2 %. Quant aux moyens humains, ils s'établissent à un niveau constant par rapport aux exercices précédents avec un plafond d'emplois fixé à 1840 ETPT.

De plus, ces deux programmes bénéficient de conditions d'exécution relativement favorables, puisqu'ils ne sont pas soumis à l'obligation de mise en réserve de crédits en début d'exercice.

D'un point de vue strictement budgétaire, ces programmes ne présentent pas de difficultés particulières. Cependant, l'ensemble des personnes que j'ai pu rencontrer pour préparer ce rapport m'ont signalé que cette situation satisfaisante était fragilisée par la forte pression contentieuse subie par les juridictions administratives, d'une part, et par la multiplication des missions confiées aux juridictions financières, d'autre part.

Depuis 2011, l'objectif de ramener à un an les délais de jugement devant l'ensemble des juridictions est atteint tous types d'affaires confondues. Cependant, je tiens à attirer votre attention sur le fait que communiquer sur un délai de jugement inférieur à un an risque d'induire le justiciable en erreur, car pour les affaires dites « ordinaires », c'est-à-dire hors procédures d'urgence et procédures particulières, ces délais s'établissaient en 2014 plutôt autour d'un an et neuf mois devant les tribunaux administratifs et un an et deux mois devant les cours administratives d'appel. Or, l'indicateur qui permettait de mesurer le délai de règlement des affaires ordinaires a été supprimé depuis le projet de loi de finances pour 2015, pour des raisons de « simplification des documents budgétaires ». La suppression de cet indicateur, particulièrement pertinent, me semble regrettable.

En tout état de cause, quel que soit l'indicateur utilisé, les délais de jugement des affaires, toutes juridictions confondues, se sont nettement améliorés ces dernières années.

Ces performances satisfaisantes résultent des conditions budgétaires favorables dont bénéficient les juridictions administratives mais également des mesures mises en oeuvre pour rationaliser l'activité de ces juridictions.

Ainsi, ces dernières années, une réflexion a été menée afin de recentrer les magistrats sur leurs activités juridictionnelles, en limitant notamment leur participation aux commissions administratives. Cet effort devrait se poursuivre avec l'article 52 du projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle, renommé par le Sénat « projet de loi relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire », actuellement en navette, qui prévoit de supprimer la participation des magistrats administratifs à ces commissions administratives, lorsque leur présence n'est pas indispensable au regard des droits ou des libertés en cause.

Par ailleurs, pour faire face à la montée en puissance de certains contentieux de masse (Droit au logement opposable, contentieux des étrangers, RSA...), les juridictions administratives ont à leur disposition plusieurs outils procéduraux qui peuvent se cumuler entre eux : dispense de conclusions du rapporteur public, suppression de l'appel et, surtout, recours au juge statuant seul et encadrement des délais de jugement.

À cet égard, les représentants du Conseil d'État que j'ai rencontrés, m'ont fait part de leurs craintes de voir la situation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) se détériorer avec la mise en oeuvre de la loi du 29 juillet 2015 relative à l'asile qui prévoit que la CNDA, statuant en formation collégiale sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, se prononce dans un délai de cinq mois à compter de sa saisine. Ce délai est porté à cinq semaines lorsque le juge statue seul. Or, pour 2015, le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock à la CNDA s'est établi à 6 mois et la prévision pour 2016 est plutôt de 7 mois. Les délais fixés par la loi « asile » risque donc d'être difficiles à atteindre à effectifs constants.

Quant au recours au juge statuant seul, bien que le jugement en formation collégiale demeure le principe, environ 55 % des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance en 2014.

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les années à venir comme en témoigne l'extension du recours au juge unique prévue par le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, renommé par le Sénat « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration ».

Or si le recours au juge unique, associé à d'autres outils procéduraux, a permis à la juridiction administrative de faire face à l'augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, l'utilisation de ces leviers a atteint ses limites. Aller au-delà risque de peser sur la qualité de la justice rendue.

Abordant le second volet de mon rapport pour avis, je dois souligner que les juridictions financières doivent faire face à une multiplication de leurs missions. Si l'examen des comptes publics, le contrôle des finances publiques et le contrôle de la gestion des organismes publics constituent la majeure partie de l'activité de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, les missions des juridictions financières n'ont en effet cessé de s'étendre avec le temps. Pour ne citer que les textes les plus récents, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales et le projet de loi relatif à la santé, actuellement en navette, prévoit quant à lui le contrôle par les juridictions financières des établissements privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Face à l'augmentation continue de leurs missions l'organisation des juridictions financières a dû être adaptée. Cette adaptation s'est faite, en premier lieu, par une réforme de la carte des chambres régionales des comptes (CRC), passées de 22 à 15 en application de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux. Cette réforme comprend un deuxième volet : la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, qui réduira encore le nombre de CRC de quinze à treize. Le financement de cette nouvelle réduction du nombre de juridictions n'a pas été prévu par le projet de loi de finances pour 2016. Il devra être pris en charge par un complément budgétaire apporté aux juridictions financières en cours d'année.

Les regroupements ont eu et auront pour effet de permettre aux juridictions financières d'atteindre une taille critique et ainsi de rendre possible la constitution d'équipes de contrôleurs suffisamment étoffées pour mener à bien des travaux complexes et divers, de permettre aux magistrats d'exercer normalement leurs missions juridictionnelles et de se spécialiser selon des cursus professionnels plus exigeants, de mutualiser les compétences et favoriser l'homogénéité des méthodes de contrôle et de réaliser des économies d'échelle par la mutualisation des moyens et des fonctions support pour mieux orienter les ressources vers le contrôle.

La réforme des juridictions financières a également généré des économies. À compter de 2014, l'économie en année pleine est évaluée à 0,95 million d'euros, dont 0,77 million d'euros sur les loyers, 0,15 million d'euros sur les fluides et 0,03 million d'euros sur les services aux bâtiments.

La réforme de 2011 aurait été amortie en 3,5 ans et le deuxième volet devrait l'être en moins de temps encore, en deux ans environ.

Par ces regroupements, les chambres régionales des comptes ont atteint une taille optimale, mais il ne faudrait pas aller au-delà, sous peine de porter atteinte à la nécessaire proximité qui doit exister entre les chambres régionales des comptes et les entités soumises à leur contrôle.

En second lieu, la Cour des comptes a entendu favoriser le recours aux formations communes lorsqu'une enquête ou un contrôle relève à la fois de la compétence de la Cour et d'une ou plusieurs chambres régionales des comptes, ou lorsque cette enquête relève de la compétence de deux ou plusieurs chambres régionales des comptes.

Ces formations inter-juridictions, portent sur des thèmes variés comme : les maternités, les stations de ski dans les Pyrénées, l'accès des jeunes à l'emploi, le haut débit, la départementalisation de Mayotte ou la gestion du stationnement urbain.

Selon la Cour des comptes, grâce à cette procédure, les juridictions financières sont en mesure de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d'enquête, qu'elles émanent du Parlement ou du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des CRC.

J'attire cependant votre attention sur la nécessité de faire preuve de prudence dans l'utilisation de cet outil. En effet, depuis la restructuration de la carte des juridictions, et compte tenu du contexte budgétaire contraint, les effectifs des juridictions ont été calculés au plus juste des besoins des différentes juridictions, au regard de leur programme de contrôle.

Il ne faudrait donc pas que les travaux inter-juridictions se développent au détriment des missions de contrôle des CRC. Le principe doit demeurer celui de chambres régionales et territoriales des comptes, juridictions autonomes, qui assurent librement la programmation et la conduite de leurs travaux.

En conclusion, au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.

- Présidence de M. Philippe Bas, président - 

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il y a de quoi être très inquiet sur la situation de la Cour nationale du droit d'asile. Le nombre d'affaires en stock a augmenté en 2015, alors que la situation s'était améliorée de manière significative au cours des années précédentes. On donne des objectifs de durée moyenne pour les affaires en stock, alors qu'on a tout de même 11 % des dossiers qui sont depuis plus de deux ans à la CNDA. La situation sera intenable l'an prochain avec les délais fixés par la loi « asile » de 2015, qui impose le traitement des affaires en formation collégiale en cinq mois et le traitement des affaires à juge unique en cinq semaines, alors même que le projet annuel de performances affiche des prévisions de délais de traitement à 6 mois en 2015 et 7 mois en 2016. On sait déjà que le budget qui est présenté ne permettra pas de tenir les objectifs votés par le législateur. Il est raisonnable d'imaginer, au regard du contexte international, qu'on connaîtra une augmentation du nombre de demandeurs d'asile en France, avec un impact prévisible sur la CNDA. J'ai donc des interrogations sur la sincérité de ce budget, ou en tout cas son articulation avec les règles fixées en matière de traitement des demandes d'asile par la loi de 2015.

Une deuxième réflexion : si l'on rapporte le nombre de personnels de la CNDA au nombre de jugements, on s'aperçoit que la CNDA est très performante en termes de coûts mais aussi au regard du taux réduit d'annulation de ses décisions par le Conseil d'État.

À droite comme à gauche, lors de l'examen du projet de loi relatif à la réforme de l'asile, nous avions proposé un transfert de certaines compétences du juge administratif vers la CNDA, pour alléger les juridictions administratives et redonner des moyens à la CNDA. Il est regrettable que cela n'ait pas été fait. Il y a une réflexion à mener sur les périmètres de compétence respectifs du juge administratif et de la CNDA en ce domaine.

Il y a donc une véritable interrogation sur l'adéquation de ce budget aux objectifs fixés au moment de la réforme du droit d'asile.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

Pour faire écho à vos propos, lors de ma rencontre avec les représentants du Conseil d'État et de la CNDA, nous avons évoqué les problèmes à venir si un certain nombre de réformes ne sont pas adoptées dès l'année prochaine. Je leur ai indiqué que si rien n'est fait pour faire face à l'encombrement que connait la CNDA et pour permettre de tenir les délais fixés par le législateur dans la loi « asile », le rapport de l'année prochaine en tirera les conséquences.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Hugues Portelli sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Justice », programme « Administration pénitentiaire »).

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Je vais engager mes pas dans ceux de Jean-René Lecerf, qui a durant de nombreuses années assuré ces fonctions de rapporteur pour avis avec le talent et l'efficacité qu'on lui connaît. Partageant beaucoup de ses convictions, je n'entends pas me démarquer de la façon dont il a abordé le sujet.

Le programme « administration pénitentiaire » représente, avec 43% des crédits, la part la plus importante du budget du ministère de la justice. Les décisions prises par le Président de la République auront un impact sur ces crédits, puisqu'une grande partie des 2 500 emplois supplémentaires annoncés iront à l'administration pénitentiaire.

Le plan de lutte antiterroriste se traduira en premier lieu, pour l'administration pénitentiaire, par la création, au sein des établissements pénitentiaires, de cinq unités consacrées aux personnes en voie de « radicalisation » - un terme que je ne reprends qu'avec des pincettes. Je rappelle qu'une première esquisse de ce que pourraient être ces unités avait été tentée à Fresnes. C'est à la maison d'arrêt d'Osny, dans le Val d'Oise, qu'une nouvelle unité est en cours de finalisation. Il est également prévu de créer deux unités à Fleury-Mérogis mais pour m'y être rendu il y a peu, je puis vous dire, en dépit de ce que nous a déclaré hier Mme la garde des sceaux, que je n'y ai rien vu de ses préparatifs. Cet établissement est actuellement engagé dans un lourd programme de rénovation qui complètera substantiellement cette mise en place. Une autre unité, consacrée aux éléments les plus radicaux, devrait être créé à Lille.

Un tel projet suppose non seulement de construire ces unités au sein des établissements, mais d'y affecter un personnel spécifique : outre des surveillants pénitentiaires, il y faut aussi tout le panel des personnels travaillant dans le cadre des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), pour engager un travail individuel avec chacun des intéressés. J'ai entendu, dans le cadre de mes auditions, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui a émis un avis réservé sur les unités en question.

En deuxième lieu, le plan de lutte antiterroriste suppose également l'accroissement des moyens en personnel affectés au renseignement pénitentiaire.

En troisième lieu, enfin, vient la question des aumôneries musulmanes. On sait qu'à la suite d'un arrêt du Conseil d'État, les aumôneries sont ouvertes à tous les cultes, fût-ce ceux qui ne comptent qu'un nombre restreint de fidèles comme les bouddhistes, voire les Témoins de Jéhovah ou les Adventistes du septième jour. Cela dit, les sommes affectées à ces cultes sont minimes - 10 000 euros, en 2015, pour les Témoins de Jéhovah. Au demeurant, pour ces cultes, qui ont les moyens de financer leurs aumôniers, ce n'est pas tant la somme qui compte que la reconnaissance.

Pour ce qui concerne les aumôniers musulmans, le problème principal qui se pose est celui de leur formation. Un programme est prévu, qui peut passer y compris par l'association des États dont sont originaires ces aumôniers et ces imams, pour la renforcer. Nous avons constaté cependant, lors de nos visites dans les établissements, que la population musulmane se regroupe essentiellement par nationalité - les Algériens, les Marocains et les Turcs représentant les quatre cinquièmes de l'ensemble. Si bien qu'avec un aumônier algérien dans une prison qui compte une majorité de marocains, ou inversement, on peut être à peu près assuré que personne n'ira à son prêche. C'est un problème dont il faut que le ministère ait conscience.

Autre point d'importance, la sécurité des établissements. Elle passe par la présence de personnels. Le programme initial prévoyait un accroissement des effectifs et les mesures annoncées les renforceront encore. Si bien que l'on pourrait penser que ce double effort devrait combler le retard. En réalité, il n'en sera rien. D'abord, parce que le surpeuplement des prisons perdure. Même s'il est variable d'une prison à l'autre, il reste de 110 % à 170 % - comme cela est le cas de la prison de Nice. Ensuite, parce que les surveillants recrutés viennent en grande partie remplacer ceux qui partent à la retraite, et ceux qui démissionnent - l'administration pénitentiaire est une de celles où le taux de démission est le plus élevé. Sans compter que parmi les reçus au concours, un certain nombre renonce, préférant des emplois mieux rémunérés et mieux reconnus, comme ceux de la police municipale ou nationale. Toutes ces raisons font qu'il manquera toujours, à la fin de la législature, 1 000 surveillants au minimum.

Au-delà de la question des personnels, améliorer la sécurité physique des établissements passe par le développement des moyens de surveillance. La politique développée depuis 2013, qui prévoit le déploiement de filets antiprojections et le renforcement de la vidéoprotection n'empêche malheureusement pas l'entrée de produits illicites dans certains établissements. Autant il faut être champion de lancer pour envoyer un téléphone portable par-dessus l'enceinte de Fleury-Mérogis, autant cela est beaucoup plus facile à Osny par exemple. J'ajoute que parmi les produits ainsi expédiés, il en est de très dangereux, comme les couteaux en céramique, extrêmement tranchants et indétectables. C'est là une grande crainte des surveillants.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en est venu à se demander s'il ne fallait pas s'interroger sur les interdictions radicales de téléphones portables. Et j'ai tendance à abonder dans son sens. On a aujourd'hui les moyens de brider ces téléphones, pour ne permettre l'accès qu'à certains numéros, ceux de la famille, par exemple. Et il n'est pas facile de les débrider, car outre que tous les détenus ne sont pas des as de l'informatique, les téléphones bas de gamme ne laissent guère de latitude pour le faire. L'autre argument qui m'incline à plaider en ce sens est qu'entre les établissements, la disparité dans l'accès au téléphone est énorme. Dans certaines, il n'est permis de téléphoner qu'aux heures creuses - autrement dit celles où personne ne répond. Il n'en va pas de même dans d'autres, comme à Fleury-Mérogis, où ceux qui veulent joindre un membre de leur famille le peuvent plus aisément - mais cela exige des moyens humains. Bref, faut-il poursuivre dans une voie qui ne donne pas satisfaction et n'empêche pas l'introduction de matériels prohibés ?

J'en arrive à l'amélioration des conditions de détention, grand cheval de bataille, vous vous en souvenez, de Jean-René Lecerf. Le problème est que la population carcérale - la population sous écrou - ne diminue pas. Et l'on voit mal comment il pourrait en être autrement eu égard à la tendance des juges à prononcer, en moyenne, des peines d'emprisonnement toujours plus longues. Résultat, tous les condamnés ne peuvent être envoyés en prison dès leur condamnation ; certains n'y entrent parfois qu'au terme d'une année, alors qu'ils ont entamé une réinsertion. Cela pose des problèmes considérables.

Autre difficulté, la réinsertion par le travail. Il est vrai qu'une récente décision du Conseil constitutionnel a conforté la pratique actuelle - et heureusement, au vu de ce qu'il s'est passé en Italie après l'introduction du droit commun du travail en prison : il n'y a plus un emploi, car les entreprises n'y trouvent plus le moindre intérêt. Mais il reste que même avec les conditions aménagées qui prévalent en France, le nombre d'emplois en prison diminue : moins 3% en un an. Ce qui va au rebours de l'objectif d'accroître la réinsertion par le travail.

J'ajoute que cet objectif de réinsertion est d'autant plus problématique à mettre en oeuvre que le système pénitentiaire français est un système clos. Ceux qui ont recommencé à travailler en prison doivent, le jour où ils sortent, repartir à zéro. Au demeurant, la plupart des détenus étant sans papiers ne peuvent pas s'inscrire à Pôle emploi ni postuler pour un logement. Si bien qu'ils se retrouvent à la rue. Les travailleurs sociaux et les juges d'application des peines que nous avons rencontrés ont mis l'accent sur cette difficulté : après la prison, il n'y a rien. Une juge de l'application des peines, qui a été travailleur social avant d'être juge, regrettait ainsi que les JAP ne puissent s'appuyer, lorsqu'ils s'occupent d'un détenu, sur des travailleurs sociaux n'appartenant pas au SPIP, qui peuvent pourtant avoir un regard plus pratique sur les situations.

Quelques mots, pour terminer, de l'alternative à l'incarcération, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne fonctionne pas. D'abord, parce que les dispositifs auxquels il peut être recouru sont trop nombreux, si bien que d'une juridiction à l'autre, on opte pour des solutions différentes, au détriment d'une politique cohérente au niveau national. Selon les juridictions, c'est tantôt le sursis avec mise à l'épreuve, tantôt les travaux d'intérêt général, tantôt la contrainte pénale.

Pour conclure, je dirai que ce budget répond à notre voeu de voir les moyens de l'administration pénitentiaire renforcés, et que ses orientations vont dans la bonne direction, tout en soulignant que son efficacité dépendra beaucoup des acteurs. Sous le bénéfice de ces observations, je vous proposerais d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « administration pénitentiaire ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ainsi que nous le relevions dans le rapport de notre récente commission d'enquête, il est, sur la question du traitement des détenus liés au terrorisme en prison, trop rapidement abordée hier, faute de temps, avec Mme la garde des sceaux, deux orientations à éviter. Celle, tout d'abord, qui consiste à concentrer en un même lieu les personnes ultra-radicalisées. Les surveillants que nous avions alors rencontrés à Fleury-Mérogis - la plus grande prison d'Europe - nous ont tous dit qu'un tel système devenait une cocotte-minute incontrôlable. Celle, ensuite, qui consisterait, à l'inverse, à les disperser un peu partout, au risque de disséminer la radicalisation. La bonne solution consisterait à limiter les regroupements à dix personnes, à condition que l'encellulement soit individuel, ce qui met à même de surveiller tout en évitant la propagation.

Ma deuxième remarque concerne les aumôniers. Il faut distinguer entre aumôniers et imams. Les religions, dans notre pays, s'organisent librement, mais le ministre de l'intérieur est aussi ministre des cultes. Le recrutement des imams relève des autorités religieuses mais si un imam profère des paroles contraires à la loi, cela relève du code pénal, et il ne faut, à cet égard, faire preuve d'aucune faiblesse. En revanche, les aumôniers des établissements pénitentiaires, comme les aumôniers militaires et ceux des hôpitaux, sont agréés par l'État. On peut donc exiger que l'agrément soit extrêmement rigoureux et ne soit délivré qu'à des personnes qui ont une formation théologique appropriée.

Je reviens, pour finir, sur le renseignement pénitentiaire. Il est bon que des postes soient créés, mais qui, exactement, exercera cette mission ? La garde des sceaux y a insisté : quand un surveillant exerce strictement ses fonctions pénitentiaires, il est respecté ; mais s'il est repéré comme un agent de renseignement, cela peut provoquer des dégâts. C'est pourquoi je plaide pour que soient recrutés des spécialistes du renseignement, prenant place dans les établissements en tant que tels. Or, je ne reçois pas, sur ce point, de réponse claire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Je remercie notre rapporteur pour son état des lieux. Il nous a indiqué qu'alors que la garde des sceaux nous disait hier que l'unité de déradicalisation de Fleury-Mérogis ouvrirait en fin d'année, il n'a constaté, sur place, aucun préparatif. Cela a de quoi inquiéter.

Ma question porte sur les binômes éducateur-psychologue : sont-ils prévus dans ce budget ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je remercie à mon tour le rapporteur. L'état des lieux est plus préoccupant encore que celui des juridictions. Le décalage entre les besoins et les moyens est immense. C'est le résultat de décennies de retard. Depuis l'abandon du programme de construction d'Albin Chalandon, on s'est sans cesse refusé à construire les capacités qui nous manquent, au motif que cela répondrait à une philosophie d'enfermement généralisé. En bonne politique pénale, on devrait pourtant construire pour remédier au manque de places, au lieu de déterminer la détention en fonction du nombre de places disponibles.

Face à la situation d'urgence que nous vivons, deux questions se posent : celle de la sécurisation et des communications téléphoniques, et celle du recrutement des aumôniers. Le débat s'est focalisé sur les mosquées salafistes, qui, au regard des 2 000 mosquées de France, se comptent sur les doigts des deux mains, au détriment du réel problème que constituent la télévision satellitaire et l'internet. Aucune communication par internet ne devrait, dans les prisons, échapper au contrôle. Halte aux Smartphones, et davantage d'aumôniers, tel devrait être le mot d'ordre. Il s'agit d'éviter la radicalisation en prison, qui est un phénomène fréquent.

Se pose également la question de la formation des aumôniers. Il est vrai, comme le rappelait Jean-Pierre Sueur, que le recrutement des imams n'est pas l'affaire de l'État, mais dès lors qu'on les agrée comme aumôniers, on peut exiger d'eux une formation, non pas théologique, car la République n'est pas outillée pour le faire, mais du moins en matière d'instruction civique et d'éducation aux valeurs de la République.

L'intangibilité de la loi de 1905, jusque dans ses modalités d'application, finit par conduire à la schizophrénie : on réclame, à juste titre, l'édification d'un islam de France et dans le même temps, on pousse les musulmans dans les bras des pays du Golfe, pour le financement de leurs mosquées et l'on se tourne vers les pays du Maghreb - même si c'est un moindre mal, puisque ces pays sont de tradition malikite et non pas wahhabite - pour former leurs imams, voire les salarier. Il est regrettable que nous soyons incapables, dans notre République, d'assurer la formation des aumôniers. Tant que l'on ne lèvera pas le tabou, on ne résoudra pas le problème de fond.

Cela étant dit, aucun aumônier agréé n'a, à ma connaissance, posé de problème, mais la vraie difficulté est qu'ils sont en nombre insuffisant. Et si l'on se soucie du danger des influences, il faut de toute urgence s'inquiéter de la liberté de communication qui prévaut, de fait, dans les prisons, tant par téléphone que par internet. Or je ne décèle pas, dans les décisions annoncées, de réelle prise en considération de cet impératif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Avant de modifier la loi de 1905, il faudrait commencer par l'appliquer, y compris dans ses dispositions autorisant les poursuites.

J'ai vu comme d'autres l'émission sur M6 qui suivait deux députés se rendant dans une prison après les attentats, et leur conversation avec un détenu qualifié de djihadiste salafiste. Ce ne sont pas tant ses propos qui m'ont surpris, que le fait qu'il disait avoir appris tout cela en prison, allant même jusqu'à montrer à l'écran certains des ouvrages qu'il y avait lus. Il est stupéfiant de constater qu'on laisse à la disposition de tels détenus des ouvrages où ils apprennent tout ce qui les porte à dériver.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

La loi du 15 août 2014 prévoit un bilan de son application à deux ans, qui doit être l'occasion de se poser la question des mesures alternatives. Il n'y a pas de vrai débat, à mon sens, entre le parquet, les juridictions, les juges de l'application des peines et l'administration pénitentiaire pour définir une stratégie d'ensemble sur le territoire. Dans la région Alsace-Franche-Comté, 22 contraintes pénales ont été prononcées, sur 1 000 pour l'ensemble de la France.

Je reviens sur la question des aumôniers. L'administration pénitentiaire dit bien qu'elle a besoin de partenaires extérieurs, mais on oublie que dans les aumôneries catholiques ou protestantes, le réseau des visiteurs de prison fonctionne aux côtés des aumôniers, et leur relation avec les détenus est précieuse. Or il existe des associations musulmanes qui rassemblent des personnes parfaitement respectables : peut-être serait-il bon d'engager avec elles un travail analogue.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Dans mon rapport sur l'organisation territoriale de l'État, j'ai souligné la modestie des crédits destinés à la formation et aux actions destinées à faire comprendre l'islam : 600 000 euros. Il y a là une erreur d'appréciation quant à l'importance de ce type d'action dans la lutte contre la radicalisation. On mise tout sur les moyens policiers et le renseignement, certes indispensables, mais en négligeant, du même coup, cette dimension. De telles actions auprès de la population carcérale seraient pourtant fort utiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

À Mme Deromedi, j'indique que les crédits pour les éducateurs et psychologues sont prévus. Pour les premiers, ils relèvent de la protection judiciaire de la jeunesse, pour les seconds, du ministère de la santé.

M. Grosdidier s'inquiète du nombre des places en prison et déplore le manque de constructions. Je rappelle cependant que, selon Mme Adeline Hazan, entre 20 et 30 % des détenus, qui souffrent de problèmes psychiatriques lourds, n'ont rien à faire en prison, et devraient être traités dans des centres appropriés. Quant aux condamnés à des peines courtes, on peut se demander s'il ne serait pas préférable de leur éviter une promiscuité qui peut être néfaste en développant les solutions alternatives à la prison. En tout état de cause, ce qui est sûr, c'est que plus on crée de places de prisons, plus les juges condamnent à des peines d'incarcération au lieu de rechercher des solutions alternatives. Ce n'est pas ainsi que l'on infléchira la politique pénale.

Un mot sur les téléphones portables. La maison d'arrêt d'Osny, que je connais bien, en a récupéré 1 300 l'an dernier. À quoi il faut ajouter tous ceux qui ont échappé aux surveillants, car il en existe aujourd'hui de très petite taille et presque entièrement en plastique, donc quasiment indécelables. Lestés de shit ou autres produits, ils sont envoyés par-dessus les enceintes, et le tour est joué. À quoi bon se lancer dans une course poursuite sans fin et des systèmes complexes de brouillage, qui ne font que témoigner du fait que l'interdiction totale est inefficace ?

Sur les peines alternatives, monsieur Bigot, on dispose de chiffres pour 2014. Seules 1 000 contraintes pénales ont été prononcées en un an, dont la moitié par 21 tribunaux de grande instance seulement, soit une minorité. En revanche, il y a eu 130 000 mesures de sursis avec mise à l'épreuve. Ce qui prouve que les juges restent fidèles à cette méthode, qu'ils connaissent, tandis qu'ils ne se sont pas encore approprié l'autre. Et je crains que la situation n'évolue guère.

Ainsi que l'a rappelé M. Sueur, il faut distinguer entre imams et aumôniers. Il est vrai, comme l'a rappelé Jacques Bigot, que les aumôneries musulmanes, à la différence des autres, ne fonctionnent qu'autour d'un aumônier, qui vient pour faire la prière. Aux Baumettes, 80 % des détenus musulmans font le ramadan, mais seulement trente détenus vont chaque semaine à la prière. La pratique religieuse est plus faible encore que chez les catholiques. Il y a là un vrai sujet.

J'en viens aux programmes individualisés de prise en charge des détenus en phase avancée de radicalisation. Entre parenthèses, je trouve un peu léger que l'on règle la question des quartiers dédiés par voie de simples circulaires. Cela mériterait d'être placé un peu plus haut dans la hiérarchie des normes.

Ce n'est pas aux aumôniers, qui ne sont absolument pas en situation de le faire, de prendre en charge ces programmes. Des psychologues, des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés pour les mineurs sont prévus pour cela. Au reste, les personnes concernées n'ont aucune confiance dans les aumôniers et ne se tourneront jamais vers eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Quoi qu'il en soit, il manque de monde pour mener ce type d'action. Quand je compare les crédits qui y sont consacrés avec ceux qui sont dédiés au renseignement, certes nécessaires, j'estime que l'on méconnait la dimension du problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Le renseignement en prison est assuré, monsieur Sueur, par des surveillants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je remercie le rapporteur de livrer une réponse aussi claire. Mais elle ne me satisfait pas, car je considère que ce sont deux métiers différents. Les agents des services de renseignements doivent être soigneusement formés ; ce sont des métiers difficiles, qui demandent beaucoup de technicité, de connaissances, de savoir-faire. J'eusse préféré qu'il s'agisse d'agents spécialisés - ce qui ne veut pas dire qu'ils doivent se passer de tout contact avec les personnels pénitentiaires proprement dits.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Pour moi, tout agent de l'administration pénitentiaire doit potentiellement être un agent de renseignement. Dans d'autres métiers, comme celui des travailleurs sociaux ou des éducateurs spécialisés, on invoque le secret professionnel, mais ce ne saurait être le cas pour les agents de l'administration pénitentiaire, qui sont des sources privilégiées d'information, en raison de leur proximité avec les détenus. Comment imaginer un corps d'agents de renseignement explicitement identifiés ? Quels renseignements seraient-ils susceptibles d'obtenir. Sans doute serait-il bon que les agents spécialisés du renseignement travaillent davantage avec les surveillants, pour les conseiller, recueillir l'information avec discernement et en faire la synthèse, mais il reste que le renseignement ne peut venir que de la totalité des agents de l'administration pénitentiaire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « administration pénitentiaire » de la mission « justice ».

Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Cécile Cukierman sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Justice », programme « Protection judiciaire de la jeunesse »).

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

En cette année 2015 qui marque l'anniversaire des 70 ans de l'ordonnance du 2 février 1945, il me revient de vous présenter, pour la deuxième année, l'avis budgétaire sur les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » inscrits au projet de loi de finances pour 2016.

Ces crédits, qui s'élèvent à 795,6 millions d'euros, soit près de 10% du budget de la mission « Justice », ont connu au cours des dernières années des évolutions contrastées. Entre 2008 et 2012, la protection judiciaire de la jeunesse a largement été mise à contribution pour la réduction de la dépense publique. En effet, ses crédits ont baissé de plus de 6 % et les effectifs ont été diminués de 632 ETPT (équivalents temps plein travaillé) entre 2008 et 2012. En revanche, ces crédits avaient été augmentés de 2,41 % par la loi de finances pour 2013, avant une nouvelle diminution de 0,6 % dans la loi de finances pour 2014 et de 0,7 % dans la loi de finances pour 2015.

Les crédits pour 2016 connaissent une certaine croissance, qui s'explique par les moyens accordés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Les crédits de paiement s'élèvent à 795 millions d'euros, soit une augmentation de 2,34 %, principalement du fait de la hausse des dépenses de personnel. Corrigée des effets de périmètre et des moyens accordés dans le cadre de la lutte antiterroriste, l'augmentation n'est cependant que de 0,82 % par rapport à la loi de finances initiale 2015.

Le plafond d'autorisation d'emplois s'élève à 8 763 ETPT, soit 196 de plus que le plafond prévu pour 2015 - une augmentation qui s'explique pour 86 % par les créations de postes prévues dans le plan de lutte contre le terrorisme. Dans ce cadre, une mission nationale de veille et d'information a été mise en place au 1er avril 2015 afin d'assurer la coordination des personnels concourant à la prévention des risques de radicalisation et de conduire une politique de citoyenneté et de réaffirmation des valeurs de la République. De même, a été créé un réseau de 69 référents laïcité et citoyenneté, chargé de décliner au niveau de chaque direction interrégionale les missions de la cellule nationale.

Si les crédits du secteur public augmentent, ceux du secteur associatif habilité continuent, en revanche, de diminuer alors même que ce secteur, ainsi que chacun le reconnaît, est essentiel à la diversification des mesures de placement des mineurs. Cette nouvelle baisse, qui succède à huit années de diminution continue, de 2008 à 2015, témoigne que ce secteur reste la variable d'ajustement du programme. Cette diminution de moyens permet le maintien des établissements exclusivement financés par l'État mais contribue à réduire de manière pérenne le financement des places dans les établissements habilités conjointement par les conseils départementaux, qui offrent pourtant des solutions appréciées par les professionnels.

Je souhaite à présent évoquer la situation des acteurs de la justice des mineurs, en premier lieu les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse mais également les juges pour enfants. Tous soulignent l'illisibilité et l'incohérence de l'ordonnance du 2 février 1945 dont la réforme n'est toujours pas inscrite à l'ordre du jour parlementaire.

Par ailleurs, les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse, malgré des créations d'emplois, ne permettent pas une exécution rapide des mesures de justice. Lors de mes déplacements, les magistrats m'ont fait part de leur impuissance face au retard d'exécution des mesures de placement, mais plus grave encore des mesures d'investigation en matière pénale et surtout en matière civile. En effet, la protection judiciaire de la jeunesse dispose d'une compétence exclusive en matière d'investigation sur l'enfance en danger.

Ce sentiment se double d'une incompréhension des magistrats à l'encontre des quotas accordés au secteur associatif habilité pour les mesures d'investigation, alors même que le secteur public apparaît sous-dimensionné. Dans certains territoires, six mois peuvent s'écouler avant le début d'exécution d'une mesure d'investigation pour un enfant en danger. Réduire ces délais d'exécution apparaît indispensable.

Je souhaite évoquer, pour finir, la prise en compte de la santé des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse. Selon les éducateurs et les professionnels de la santé que j'ai rencontrés, il est fréquent que des jeunes adolescents placés dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse n'aient pas été examinés par un médecin depuis plusieurs années. Ce diagnostic s'explique par la situation sociale parfois fragile des familles des jeunes pris en charge.

Face à ce constat, la protection judiciaire de la jeunesse a lancé, en 2013, la démarche intitulée « Protection judiciaire de la jeunesse promotrice de santé » qui fait de la santé des mineurs, l'affaire de tous. Celle des professionnels de la santé évidemment, mais avant tout celle du jeune et de l'équipe éducative. Cette démarche repose sur un objectif d'éducation à la santé. Dans ce cadre, une convention de partenariat été signée entre la protection judiciaire de la jeunesse et la Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé (FNES).

Bien plus que sur leur bilan de santé somatique, j'ai été alertée par les professionnels sur la prise en charge de la santé mentale de ces jeunes. Un consensus parmi les professionnels, corroboré par quelques études épidémiologiques encore trop rares, atteste d'une forte prévalence des troubles du comportement parmi les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Néanmoins, les souffrances des mineurs entrent rarement dans les grilles de classifications des maladies psychiatriques traditionnelles : il s'agit avant tout de pathologies limite à dominante comportementale. Or l'absence de culture commune entre professionnels de la santé et de la protection judiciaire de la jeunesse conduit à des logiques de filières, qui excluent certains jeunes dits « difficiles » : les médecins considérant que ces troubles demandent une prise en charge éducative, les éducateurs considérant que ces troubles relèvent d'une prise en charge médicale.

Ce constat est ancien mais il est reste d'actualité. Dès lors, je ne peux qu'encourager la protection judiciaire de la jeunesse à continuer à soutenir les dispositifs spécifiques tels que la structure intersectorielle pour adolescents difficiles (Sipad) de Nice, ou les instituts socio-éducatifs médicalisés pour adolescents (Isema). La démarche « PJJ promotrice de santé » ainsi que les renforts d'effectifs de psychologues annoncés pour les centres éducatifs fermés doivent oeuvrer à construire un véritable partenariat entre la Santé et la Justice pour la prise en charge de ces adolescents.

Voici, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2016.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J'insiste sur le danger qu'il y aurait à voir la protection judiciaire de la jeunesse se retirer du cofinancement avec les départements d'établissements pour les jeunes, tels les établissements socio-éducatifs médicalisés pour adolescents, que vous avez mentionnés. Ces structures, encore expérimentales pour certaines d'entre elles, accueillent des adolescents souffrant de handicaps mentaux lourds, grâce à la mobilisation de moyens considérables venant des agences régionales de santé, des départements pour ce qui concerne l'hébergement et de la protection judiciaire de la jeunesse. Il serait paradoxal que, sous prétexte que ces établissements ne sont pas intégralement financés par la protection judiciaire de la jeunesse, sa participation leur soit retirée alors même qu'elle en a fait un élément important de sa politique afin d'apporter une réponse à tous les types d'adolescents en difficulté. Ces adolescents sont avant tout non pas des délinquants mais des handicapés psychiques, souvent sous traitements extrêmement lourds.

Que le message de la commission des lois consiste à donner un avis favorable au budget, assorti d'une réserve telle que celle que vous avez formulée me paraît la moindre des choses, et nous avons tout lieu d'alerter la ministre de la justice, dont chacun connaît la sensibilité sociale, sur les conséquences très négatives qu'il y aurait à appliquer cette orientation sans discernement. C'est un sujet qui intéresse tous les départements, et notamment celui de la Manche, que je connais bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je remercie notre rapporteure de son analyse utile, dans laquelle elle a insisté à juste titre sur la nécessité de rapprocher les cultures des différentes professions, notamment de la santé, qui interviennent dans le champ de la protection judiciaire de la jeunesse. La combinaison des savoirs et des pratiques est, en ce domaine, essentiel.

Je n'aurai qu'une question : quel est le bilan que l'on dresse aujourd'hui des centres éducatifs fermés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Il est en effet plus que jamais nécessaire de rapprocher les cultures professionnelles et de travailler à des cofinancements, y compris pour assurer la continuité du parcours de ces jeunes, et d'éviter les ruptures, sachant qu'ils peuvent être pris en charge successivement par différents types de structures.

Sur les centres éducatifs fermés, une étude est en cours. Je n'ai pas d'éléments nouveaux à apporter à ceux que nous avaient livrés, dans leur rapport d'information, MM. Peyronnet et Pillet. Le sujet reste débattu, mais le programme se poursuit, et bénéficie de sommes importantes en investissement et en fonctionnement. Comme l'ont souligné nos collègues au sujet d'autres missions, pourvoir les postes créés n'est pas simple, car cela suppose un temps de formation, si bien que se pose un problème de présence humaine dans les établissements, qui ont souvent recours à des contractuels, ce qui ne facilite pas la continuité du suivi des jeunes. On peut de fait se poser la question du devenir de ces centres, qui absorbent beaucoup de moyens au détriment d'autres mesures.

Sous réserve des observations mentionnées au rapport pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Outre-mer »).

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, les crédits de la mission « outre-mer » s'élèvent à 2,08 milliards d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 0,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, et à 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une stabilisation par rapport à 2015.

Malgré un léger repli, ces crédits reflètent la pérennité de l'effort budgétaire en faveur des outre-mer. Dans le contexte de redressement des comptes publics, on peut s'en féliciter. C'est le moins que l'on pouvait attendre, compte tenu des difficultés économiques chroniques que connaissent les territoires ultramarins.

Ces crédits ne représentent toutefois qu'une part très limitée de l'effort financier total de l'État en faveur des outre-mer. En y intégrant les dépenses fiscales, cet effort devrait s'élever à 18,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,6 milliards d'euros en crédits de paiement en 2016. Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent ainsi que 14,4 % de cet effort total, qui est porté par 85 programmes relevant de 26 missions différentes. Cette situation ne me paraît pas optimale pour le ministère des outre-mer, qui ne dispose pas toujours de l'ensemble des éléments relatifs à l'exercice des politiques publiques dans les outre-mer. Je relève au passage que seuls deux tiers des réponses à mon questionnaire me sont parvenus avant la date limite fixée au 10 octobre et que la qualité de certaines d'entre elles m'a laissé dubitatif. Plus qu'ailleurs, le risque est que chaque ministère travaille « en silo » sans se préoccuper de la cohérence d'ensemble de l'action de l'État.

Malgré la pérennité de l'effort budgétaire, on constate une inégalité entre les territoires ultramarins en termes de dotations budgétaires. À titre d'exemple, la dotation globale de fonctionnement ne représente que 136 euros par habitant pour Mayotte contre 446 euros par habitant pour La Réunion ou 410 euros par habitant pour la Martinique. Mayotte est donc sous dotée budgétairement ; alors que cette collectivité exerce également des compétences régionales, elle ne bénéficie pas de la dotation globale de fonctionnement (DGF) perçue par les régions.

À mes yeux, cela n'est ni juste ni équitable d'autant que le département connait un contexte budgétaire et financier difficile. Cette situation a été dénoncée, à plusieurs reprises, par les rapporteurs successifs de notre commission. C'est pourquoi j'espère qu'il y sera apporté des réponses concrètes, a minima par la prise en compte, au titre de la DGF, de la double compétence - départementale et régionale - du département de Mayotte, comme cela sera la règle pour les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique : ce serait une mesure d'égalité.

Sous ces réserves, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Au-delà de ce cadrage budgétaire, j'ai souhaité m'intéresser à un sujet particulier : la politique menée outre-mer en matière de sécurité et, plus particulièrement, l'action des forces de l'ordre auxquelles l'actualité invite, une nouvelle fois, à rendre hommage. Compte tenu des évènements dramatiques récents et des menaces existantes, l'état d'urgence est en vigueur depuis une semaine dans les départements d'outre-mer, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin ; le Parlement a décidé, à la quasi-unanimité, la prorogation jusqu'au plus tard le 26 février prochain.

Ayant engagé ces travaux avant le déroulement des attentats, j'ai pu constater que les phénomènes de radicalisation, qui appellent un effort de prévention, n'épargnent pas les collectivités ultramarines, ce qui préoccupe les services de l'État. À cet égard, loin des a priori, la radicalisation n'est pas forcément liée à la composante religieuse du territoire. J'en veux pour preuve que ce n'est pas tant à Mayotte, où la population est pourtant majoritairement de confession musulmane, que l'on observe le plus de comportements de radicalisation religieuse issus de l'islamisme radical, mais bien plutôt dans d'autres départements d'outre-mer. Ceci doit nous inviter à aborder cette question avec le sens de la nuance.

Je voudrais également souligner le décalage qui peut naître dans la population entre le niveau constaté de faits de criminalité et de délinquance et le sentiment d'insécurité qui s'y exprime.

Pour apprécier ce constat, j'ai cherché les statistiques existantes consacrées aux outre-mer pour savoir s'il existe une spécificité ultramarine en la matière et si elle est partagée uniformément dans l'ensemble des territoires ultramarins.

Or j'ai malheureusement constaté que l'enquête nationale de victimation, dénommée « cadre de vie et sécurité », qui permet de saisir la représentation que se font les populations du niveau de sécurité, n'est pas réalisée sur l'ensemble des collectivités ultramarines. Toutes les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie en sont exclues. S'agissant des départements d'outre-mer (DOM), l'intégration est lente et récente puisque si La Réunion est intégrée depuis 2011, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n'entreront dans l'enquête qu'à partir de cette année et il n'est envisagé d'intégrer Mayotte à ces travaux qu'en 2017 ou 2018. Pourtant, la situation y est suffisamment préoccupante pour avoir déterminé le ministre de l'intérieur à diligenter une mission sur la question de la délinquance confiée conjointement aux inspections générales des affaires sociales, de la gendarmerie nationale et de la police nationale.

Il serait pourtant utile d'étendre cette démarche à l'ensemble du territoire national, dans la mesure où les statistiques administratives dans les DOM témoignent d'un profil de délinquance et de criminalité particulier, avec des faits en nombre largement supérieur à ceux que l'on constate dans des départements comme la Seine-Saint-Denis ou les Bouches-du-Rhône, qui se situent déjà largement au-dessus de la moyenne métropolitaine. S'agit-il d'une réalité objective ou est-ce le fruit d'une propension plus forte, constatée outre-mer, à déposer plainte ? C'est là une explication avancée par le directeur général des outre-mer, que j'aurais tendance à démentir : à Mayotte, les gens sont tellement excédés de constater que rien n'aboutit qu'ils finissent par renoncer à porter plainte. En tout état de cause, on ne saurait trancher, faute, je le répète, de statistiques spécifiques aux outre-mer. On oppose des questions de coût budgétaire, ce qui me paraît difficilement acceptable, car l'État se prive ainsi d'un outil pour faire évoluer le dispositif de sécurité et adapter la réponse pénale outre-mer.

Compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne détaillerai pas les statistiques administratives, que j'ai pu recueillir pour les seuls DOM. Vous les retrouverez dans mon rapport.

Pour conclure, je rappellerai que le déploiement des forces de sécurité dans les territoires ultramarins doit nécessairement prendre en compte les spécificités ultramarines que sont l'insularité, la superficie ou l'éloignement. C'est ainsi que la police et la gendarmerie nationales doivent adapter leur organisation outre-mer. À titre d'illustration, mentionnons le choix de compenser le sous-effectif de brigades de gendarmerie par un renfort permanent de gendarmes mobiles qui peuvent, sans attendre des renforts venus de métropole, se reformer en escadrons pour assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre.

Par ailleurs, la conduite de la politique de sécurité outre-mer implique une coordination ministérielle des différents services de l'État. Je prendrai l'exemple de l'opération « Harpie » qui vise à lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane, avec l'appui des armées. Relevons également que le développement de stratégies partenariales avec les collectivités territoriales figure au rang des priorités de l'État en outre-mer. Ces partenariats s'appuient en partie sur les zones de sécurité prioritaires au nombre de quatre en outre-mer sur des actions, financées par le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, dans le cadre des plans de prévention de la délinquance - qui n'existent dans certains territoires, comme la Polynésie française, que depuis deux ans.

Cette coopération s'étend également aux États et aux pouvoirs locaux étrangers. Ce constat est particulièrement vrai pour la lutte contre l'immigration illégale en Guyane et à Mayotte. Il l'est aussi à Saint-Martin qui doit composer avec la partie néerlandaise de l'île, sans frontière terrestre et hors de l'espace Schengen.

En résumé, l'action des services de l'État outre-mer, où se poursuivent des coopérations plus ou moins abouties, n'est pas remise en cause, même si, je le répète, les lacunes statistiques limitent l'efficacité du pilotage.

Je vous remercie, au nom de ces territoires éloignés, de votre écoute.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Eloignés géographiquement mais pas dans nos coeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je suis frappé par les disparités de dotation que vous avez soulignées. La loi prévoit que toute région bénéficie de la DGF. Comment justifier que Mayotte ne reçoive rien au titre de ses compétences régionales ? Cela porte atteinte au principe d'égalité. Je pense que si vous n'avez pas proposé d'amendement, c'est parce que cela relève de la première partie de la loi de finances, mais je vois mal comment le ministère pourrait justifier cette situation tant la disparité entre les dotations que l'absence de DGF régionale pour Mayotte ne me paraissent pas acceptables. Nous devrions rechercher le moyen juridique de remédier à cette inégalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je remercie notre collègue pour son état des lieux. Comme Jean-Pierre Sueur, je déplore les inégalités de traitement entre nos outre-mer. Cela est contraire à la loi et choquant au plan politique s'agissant de la relation entre l'Etat et ces territoires.

Le rapporteur a pointé avec beaucoup de modération certaines insuffisances de l'administration centrale, en relevant notamment l'absence de statistiques, nécessaires à une vision objective de l'état de ces territoires. Il me semble, au-delà, que le mal est plus profond et que notre pays tire de la nécessité de reconnaître la diversité de ses territoires des conclusions inadaptées. Il est clair que les situations économiques, sociales, les cultures en sont très diverses, mais la République est là pour leur assurer un traitement égal, ce qui n'est pas le cas actuellement. Nous devons attirer l'attention là-dessus.

Il a également porté l'accent, à juste titre, sur la nécessité de mener un travail interministériel approfondi dans tous les secteurs de l'action publique, dont nous constatons le manque de congruence, au profit de ces territoires. L'organisation de l'Etat doit, en cette matière, être repensée.

Debut de section - PermalienPhoto de Lana Tetuanui

Merci à nos collègues de leur présence à cette heure déjà avancée, celle à laquelle on en vient bien souvent à aborder, après bien d'autres sujets, la question de l'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je tiens à vous indiquer que notre ordre du jour ne tient en rien à une hiérarchie des sujets et que je mettrai bien volontiers l'an prochain l'examen du rapport pour avis sur la mission « outre-mer » en début de réunion. C'est une question qui engage, comme l'ont rappelé Mme Tasca et M. Sueur, des sujets très sensibles, qui mobilisent pleinement l'attention de notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Lana Tetuanui

Je remercie notre rapporteur pour son exposé mais reste très partagée. Entre les paroles et les actes, il y a un grand décalage. Bien sûr, comme l'a rappelé Mme Tasca, nos territoires ultramarins sont marqués par une grande diversité, mais si égalité de traitement il y a, c'est dans le coup de rabot qu'on leur impose depuis trois exercices budgétaires successifs. Quand nous entreprenons un long voyage jusqu'à Paris, ce n'est pas pour admirer les beautés de la capitale mais bien pour faire prendre conscience de la situation de nos collectivités. Il faudra bien que l'Etat prenne ses responsabilités. Comment interpréter ces coups de rabot sinon comme une façon de réduire une verrue au pied qui freinerait sa marche ? Nous sommes invités, demain, au sommet France-Océanie, et nous nous demandons ce qui y sera annoncé. En Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, nous avons, bien sûr, nos statuts, mais voyez à quoi est réduite la DGF des communes, qui sont avant tout des collectivités dont le statut est fixé par l'État comme leurs homologues métropolitaines. Quant à la dotation globale d'autonomie, dont je rappelle qu'elle a pour origine la « dette nucléaire » - les premiers essais ont débuté il y a près de 50 ans, en 1966 - il a fallu se battre, à l'Assemblée nationale, pour qu'en soit rétabli, par voie d'amendement, le montant.

Sans vouloir faire affront à notre rapporteur, je m'abstiendrai.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Frogier

Je suis très sensible aux propos de Mme Tasca et de M. Sueur. Même si nous avons changé de sémantique ces dernières années, le ministère de l'outre-mer devenant ministère des outre-mer, rien n'a changé dans la pratique. Depuis des années, je préconise une organisation différente pour l'outre-mer. Tant qu'on en restera à un ministre chargé de onze collectivités ultramarines si différentes dans leur histoire et leur peuplement, on n'y arrivera pas. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, je préconise une structure dédiée. Son histoire est particulière, les enjeux y sont particuliers, elle fait l'objet d'un titre spécifique dans la Constitution. Créer un secrétariat général à la Nouvelle-Calédonie, rattachée, comme d'autres structures de ce type, au Premier ministre, faciliterait le travail interministériel et assurerait une continuité de traitement qui n'existe pas aujourd'hui. Il ne m'appartient pas de me prononcer pour les autres collectivités d'outre-mer mais je suis persuadé que l'organisation de l'Etat, en cette matière, n'est pas satisfaisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je vous remercie de vos observations. S'agissant des inégalités de traitement en matière de DGF, je précise que Mayotte s'est vu reconnaître un statut que la population revendique depuis des années. Or le département de Mayotte exerce certaines compétences régionales. On nous oppose que l'enveloppe de DGF est normée, et qu'abonder la dotation d'une collectivité conduirait à diminuer d'autant celle des autres collectivités. Mais cet argument a ses limites et les lignes ne bougent pas en proportion des besoins et des réalités. C'est aussi pourquoi nous insistons sur la nécessité d'établir des statistiques, sans lesquelles les politiques publiques se condamnent à rester inadaptées.

Je comprends les remarques de mes collègues d'outre-mer. Je n'en reconnais pas moins que notre commission des lois a toujours prêté une oreille attentive aux questions ultramarines et c'est bien pourquoi nous ne désarmons pas. Au-delà des engagements verbaux et de la compassion, il faut que la situation bouge. Alors que les populations d'outre-mer représente 4 % de la population française, seuls 2 % du PIB leur sont consacrés. Je ne dirai pas, comme Mme Tetuanui, que les budgets ont diminué, mais les augmentations de la mission « outre-mer » de ces trois dernières années ne sont pas encore à la hauteur des enjeux, et la répartition de cet effort est à revoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Parce que, conformément à la jurisprudence de la commission, l'effort budgétaire constaté appelle un avis favorable. Cela étant, je comprends très bien que chacun garde sa liberté d'appréciation, et je ne m'en sentirai pas personnellement offensé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il est exact qu'il est particulièrement complexe de porter une appréciation globale sur ces crédits, que l'on peut aborder sous des angles très différents : celui de l'investissement, celui des dotations de fonctionnement, celui des priorités politiques nationales ou, à l'inverse, territoire par territoire. Or les évolutions des dotations d'une année sur l'autre ne suffisent pas à rendre compte de la réalité sur le long terme. Quand on regarde le tableau des autorisations d'engagement, soit ce qui relève de l'investissement, on peut comprendre que pour certaines années, les projets d'investissement de certains territoires absorbent une belle part de l'ensemble de ces crédits, à charge pour l'État de financer les projets à tour de rôle. Si bien qu'il n'est pas facile de dire si telle baisse est consécutive à un effort consenti les années précédentes, ou prépare des investissements à venir. Face à quoi notre rapporteur nous a éclairés autant qu'on peut le faire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer ».

Enfin, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Catherine Di Folco sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », programme « Fonction publique »).

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Je centrerai mon propos autour de trois thématiques : le cadre général du projet de loi de finances pour 2016, le programme 148 et le traitement de deux problématiques transversales à l'ensemble de la fonction publique : l'apprentissage - qu'il convient de développer - et les classes préparatoires - qui doivent être préservées.

S'agissant du cadre général du projet de loi de finances pour 2016, il était prévu une légère hausse des effectifs de la fonction publique d'État - qui comprend, pour mémoire, 2,4 millions d'agents - afin de respecter l'objectif de création de postes dans des secteurs identifiés comme prioritaires : l'enseignement, la justice et la sécurité. La hausse des effectifs sera finalement plus importante que prévu, le Président de la République ayant annoncé lors du congrès de Versailles le 16 novembre dernier la création d'ici deux ans de 5 000 emplois dans la police et la gendarmerie, de 2 500 postes dans la justice et de 1 000 emplois dans les douanes.

Le Gouvernement proposait également de réduire le plafond de cotisation au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) en le ramenant de 1 % à 0,8 % de la masse salariale des collectivités territoriales. S'il est incontestable que le CNFPT dispose d'une épargne brute confortable - environ 42 millions d'euros - cette réduction pourrait néanmoins avoir des effets pervers pour les collectivités territoriales. À titre de comparaison, une baisse de ce plafond à 0,9 % en 2012 avait coïncidé avec une diminution de 9 % du nombre de formations assurées par le CNFPT, contraignant les collectivités à se tourner vers des organismes privés de formation dont les tarifs sont plus onéreux. L'Assemblée nationale n'a pas suivi le Gouvernement et a décidé de maintenir le plafond de cotisation au CNFPT à 1 % de la masse salariale des collectivités territoriales. Cette question est toutefois susceptible de faire débat en séance publique.

J'en viens au programme 148 « fonction publique », dont je rappelle qu'il ne concerne que la fonction publique d'État. Il comportait, jusqu'à présent, deux actions : action sociale interministérielle et formation des fonctionnaires. Les crédits alloués sont stables : 126 millions d'euros pour l'action sociale et 78 millions pour la formation.

Les crédits du programme augmentent cependant, car une nouvelle action, dotée 30 millions d'euros, est créée pour développer l'apprentissage dans la fonction publique d'État. Elle prendra la forme d'une subvention visant à rembourser la moitié des frais réels engagés par les administrations étatiques pour rémunérer et former les apprentis. Cela s'inscrit dans l'objectif du Gouvernement de recruter 4 000 apprentis à la rentrée 2015 - objectif qui a été dépassé, selon la direction générale de l'administration et de la fonction publique - et 6 000 apprentis supplémentaires à la rentrée 2016.

Cette initiative de l'État doit être soutenue mais elle ne sera pas suffisante au regard de la volonté de développer l'apprentissage dans les trois versants de la fonction publique.

Les administrations de l'État, des collectivités territoriales et des hôpitaux comptaient en effet moins de 13 000 apprentis en 2012, ce qui représente moins de 3 % de l'apprentissage en France. Dans certains ministères, le nombre d'apprentis était même inférieur à cinq !

Développer l'apprentissage dans la fonction publique requiert tout d'abord un certain volontarisme politique des élus, comme j'ai pu le constater en me rendant à Tours où le nombre d'apprentis est passé de 0 à 19 en un peu plus d'un an. Cela exige également une organisation spécifique, l'employeur public devant construire une relation de confiance avec les centres de formation des apprentis (CFA) et les maîtres d'apprentissage.

Le développement de l'apprentissage dans la fonction publique se heurte à plusieurs obstacles structurels plus ou moins faciles à surmonter. Le premier réside dans l'absence de débouchés à l'issue du contrat d'apprentissage, les apprentis devant passer un concours de la fonction publique sauf s'ils exercent un emploi de catégorie C. Pour surmonter cet obstacle, la solution consistant à créer des voies d'accès à la fonction publique réservées aux anciens apprentis pourrait se heurter au principe constitutionnel d'égal accès à l'emploi public. À moyen terme, il semble plus opérationnel de travailler à un meilleur appariement entre les besoins des employeurs publics, d'une part, et les formations en apprentissage, d'autre part. Le CNFPT a par exemple créé un CFA des métiers territoriaux à Issy-les-Moulineaux pour former des cuisiniers spécialisés en restauration collective, métier très recherché par les collectivités et qui n'exige pas de passer par un concours.

Le deuxième obstacle au développement de l'apprentissage est d'ordre financier : les coûts salariaux de l'apprenti représentent le double de ceux du privé, les employeurs publics n'étant pas éligibles aux incitations fiscales prévues pour les entreprises qui embauchent des apprentis.

Il existe, enfin, un obstacle administratif, les apprentis de la fonction publique n'étant pas autorisés à exercer une activité dite « réglementée », à l'inverse de leurs collègues du privé. Un apprenti menuisier d'une commune ne peut, par exemple, pas utiliser les machines de découpe du bois, outil qui fait pourtant partie de son coeur de métier. Cela fait presque un an que le Gouvernement a annoncé des décrets pour répondre à cette difficulté mais nous les attendons encore.

Je terminerai mon intervention en évoquant les spécificités des classes préparatoires intégrées ou CPI. Ces classes s'adressent aux étudiants et demandeurs d'emploi de condition modeste pour les aider à préparer les concours externes de la fonction publique. Elles leur proposent un soutien pédagogique renforcé, des aides financières, des facilités d'hébergement et de restauration.

476 élèves sont aujourd'hui accueillis dans 25 CPI. J'en ai visité deux : celle de l'Ecole nationale d'administration (ENA) et celle de l'Institut national du patrimoine. Je tiens à saluer la qualité des enseignements dispensés, 47 % des étudiants des CPI obtenant un concours administratif à l'issue de cette formation. Dans le cas de la CPI de l'ENA, dont la grande force est de préparer à plusieurs concours administratifs comme ceux des Instituts régionaux d'administration (IRA) ou celui de l'Institut national des études territoriales (INET), le taux de réussite atteint même 76 %.

Conscient de cette réussite, le Gouvernement s'est fixé pour objectif de doubler le nombre d'élèves accueillis en CPI, qui passerait à 1 000 d'ici 2016. Je reste toutefois réservée concernant cette proposition : il ne faudrait pas que l'accroissement des effectifs remette en cause le modèle pédagogique des CPI et le suivi individualisé qu'elles proposent. Chaque CPI accueille en moyenne 19 élèves. Doubler les effectifs de chaque classe et passer à 38 élèves ne pourront que détériorer la qualité des enseignements. Sans compter que les ressources budgétaires nécessaires à ce doublement des effectifs - qui pourraient atteindre plus de 7 millions d'euros par an - n'ont pas été provisionnées.

Pour développer le modèle des CPI, la meilleure stratégie serait de créer de nouvelles classes préparatoires dans des domaines ou des zones géographiques qui, à ce jour, ne sont pas couverts par ce dispositif. Cela suppose toutefois la mobilisation de nouveaux acteurs, ce qui n'est jamais simple. Je m'étonne notamment de l'absence de CPI dans la fonction publique territoriale.

Il conviendrait également de mutualiser les démarches de toutes les CPI pour mieux faire connaître le dispositif - notamment dans les milieux universitaires -, et de ne pas s'interdire d'avoir recours à des fonds privés. La CPI de l'Institut national du patrimoine est par exemple soutenue par une fondation d'entreprises, et tout se passe pour le mieux.

Pour conclure, et notamment au regard des efforts constatés sur l'apprentissage, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission gestion des finances publiques et des ressources humaines pour le projet de loi de finances pour 2016. Je tiens à remercier l'ENA, l'Institut national du patrimoine, le CFA d'Issy-les-Moulineaux et la mairie de Tours de nous avoir réservé un accueil de grande qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie de ces éclairages, qui témoignent de votre grande expérience sur ces questions.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je m'associe à ces éloges. L'exercice est difficile, et vous avez su l'enrichir de propositions. Je suis sensible à vos observations sur la faible utilisation de l'apprentissage dans les collectivités territoriales et les administrations de l'Etat. C'est une question à laquelle je m'étais attelé lorsque j'étais maire. J'ai bien noté les barrières juridiques voire constitutionnelles, ainsi que financières, que vous avez évoquées. Le Sénat s'honorerait à approfondir ces questions. Je vous remercie d'avoir soulevé cette question, fondamentale dans la lutte contre le chômage des jeunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Je m'associe à ces félicitations et remercie notre rapporteur pour son travail étayé. Je rejoins ce que disait M. Pillet concernant l'apprentissage. Nous devrions nous rapprocher de la commission des affaires sociales pour travailler à une harmonisation entre le public et le privé. C'est un chantier régulièrement ouvert, tant par le Gouvernement que par le Parlement, mais nous n'avons pas encore su répondre aux interrogations que vous soulevez.

Un mot sur la cotisation des collectivités territoriales au CNFPT.

Vous avez indiqué que la réserve du CNFPT s'élève à quelque 42 millions d'euros : les 0,2 % qu'il était prévu de retirer au plafond de cotisation représentent-il une somme équivalente ou supérieure ? Fût-elle seulement équivalente, cela signifie que la réserve sera épuisée l'an prochain. Autrement dit, c'est un fusil à un coup, et l'on peut craindre un impact prochain sur l'offre de formation des collectivités locales. L'Assemblée nationale dans sa sagesse, a rétabli le 1 %, dont acte. Je suivrai l'avis de notre rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Une différence de 0,2 % représente un montant de 70 millions, soit un montant supérieur à la réserve du CNFPT. C'est d'ailleurs pourquoi Mme Lebranchu avait envoyé un courrier au président du CNFPT pour lui indiquer que l'intention du Gouvernement était de revenir à un plafond de 0,9 % plutôt que 0,8 %. Mais même avec ce taux, la réserve peut-être épuisée en un an, comme vous le soulignez à juste titre.

Or, le CNFPT, qui ne nie pas disposer d'une réserve, a indiqué qu'il entendait l'utiliser pour augmenter son offre de formation, notamment en faveur de l'apprentissage dans la fonction publique. Ajoutons que la gratuité totale des formations, décidée il y a huit mois par le CNFPT, commence à peser sur sa réserve et que cette mesure coûtera 17 millions en 2016.

Il ne faudrait pas que le projet de loi de finances vienne mettre en danger le financement du CNFPT, dont le budget ne peut être abondé que par les collectivités territoriales. Si déficit il y a, l'État ne viendra pas à la rescousse. Je crois savoir que la commission des finances du Sénat entend revenir sur le vote de l'Assemblée nationale. Je développerai les arguments pour le maintien d'un taux de cotisation de 1 % à cette occasion.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « fonction publique » de la mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

La réunion est levée à 12 h 25