Intervention de Michel Delebarre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 novembre 2015 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2016 — Mission « conseil et contrôle de l'état » - programmes « conseil d'état et autres juridictions administratives » et « cour des comptes et autres juridictions financières » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre, rapporteur pour avis :

Cette année, pour la deuxième fois, nous examinons ensemble les crédits de deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Il s'agit d'une part du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », qui représente 60,5 % des crédits de la mission et qui regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux 8 cours administratives d'appel, aux 42 tribunaux administratifs et, depuis le 1er janvier 2009, à la Cour nationale du droit d'asile, et d'autre part, du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », qui représente 33,4 % des crédits de la mission et qui concerne la Cour des comptes et les 20 chambres régionales et territoriales des comptes, dont le nombre sera réduit à 18 en 2016 en application de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions.

Ces deux budgets ont en commun de présenter une certaine stabilité permettant aux juridictions, tant administratives que financières, de disposer de conditions relativement favorables à l'exercice de leurs missions.

Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, les crédits de paiement alloués pour 2016 au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » sont en progression de 1 %. Le plafond d'emplois autorisés est fixé à 3 819 ETPT, soit 35 nouveaux emplois créés.

Les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en légère diminution par rapport à l'an dernier : - 0,2 %. Quant aux moyens humains, ils s'établissent à un niveau constant par rapport aux exercices précédents avec un plafond d'emplois fixé à 1840 ETPT.

De plus, ces deux programmes bénéficient de conditions d'exécution relativement favorables, puisqu'ils ne sont pas soumis à l'obligation de mise en réserve de crédits en début d'exercice.

D'un point de vue strictement budgétaire, ces programmes ne présentent pas de difficultés particulières. Cependant, l'ensemble des personnes que j'ai pu rencontrer pour préparer ce rapport m'ont signalé que cette situation satisfaisante était fragilisée par la forte pression contentieuse subie par les juridictions administratives, d'une part, et par la multiplication des missions confiées aux juridictions financières, d'autre part.

Depuis 2011, l'objectif de ramener à un an les délais de jugement devant l'ensemble des juridictions est atteint tous types d'affaires confondues. Cependant, je tiens à attirer votre attention sur le fait que communiquer sur un délai de jugement inférieur à un an risque d'induire le justiciable en erreur, car pour les affaires dites « ordinaires », c'est-à-dire hors procédures d'urgence et procédures particulières, ces délais s'établissaient en 2014 plutôt autour d'un an et neuf mois devant les tribunaux administratifs et un an et deux mois devant les cours administratives d'appel. Or, l'indicateur qui permettait de mesurer le délai de règlement des affaires ordinaires a été supprimé depuis le projet de loi de finances pour 2015, pour des raisons de « simplification des documents budgétaires ». La suppression de cet indicateur, particulièrement pertinent, me semble regrettable.

En tout état de cause, quel que soit l'indicateur utilisé, les délais de jugement des affaires, toutes juridictions confondues, se sont nettement améliorés ces dernières années.

Ces performances satisfaisantes résultent des conditions budgétaires favorables dont bénéficient les juridictions administratives mais également des mesures mises en oeuvre pour rationaliser l'activité de ces juridictions.

Ainsi, ces dernières années, une réflexion a été menée afin de recentrer les magistrats sur leurs activités juridictionnelles, en limitant notamment leur participation aux commissions administratives. Cet effort devrait se poursuivre avec l'article 52 du projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle, renommé par le Sénat « projet de loi relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire », actuellement en navette, qui prévoit de supprimer la participation des magistrats administratifs à ces commissions administratives, lorsque leur présence n'est pas indispensable au regard des droits ou des libertés en cause.

Par ailleurs, pour faire face à la montée en puissance de certains contentieux de masse (Droit au logement opposable, contentieux des étrangers, RSA...), les juridictions administratives ont à leur disposition plusieurs outils procéduraux qui peuvent se cumuler entre eux : dispense de conclusions du rapporteur public, suppression de l'appel et, surtout, recours au juge statuant seul et encadrement des délais de jugement.

À cet égard, les représentants du Conseil d'État que j'ai rencontrés, m'ont fait part de leurs craintes de voir la situation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) se détériorer avec la mise en oeuvre de la loi du 29 juillet 2015 relative à l'asile qui prévoit que la CNDA, statuant en formation collégiale sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, se prononce dans un délai de cinq mois à compter de sa saisine. Ce délai est porté à cinq semaines lorsque le juge statue seul. Or, pour 2015, le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock à la CNDA s'est établi à 6 mois et la prévision pour 2016 est plutôt de 7 mois. Les délais fixés par la loi « asile » risque donc d'être difficiles à atteindre à effectifs constants.

Quant au recours au juge statuant seul, bien que le jugement en formation collégiale demeure le principe, environ 55 % des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance en 2014.

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les années à venir comme en témoigne l'extension du recours au juge unique prévue par le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, renommé par le Sénat « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration ».

Or si le recours au juge unique, associé à d'autres outils procéduraux, a permis à la juridiction administrative de faire face à l'augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, l'utilisation de ces leviers a atteint ses limites. Aller au-delà risque de peser sur la qualité de la justice rendue.

Abordant le second volet de mon rapport pour avis, je dois souligner que les juridictions financières doivent faire face à une multiplication de leurs missions. Si l'examen des comptes publics, le contrôle des finances publiques et le contrôle de la gestion des organismes publics constituent la majeure partie de l'activité de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, les missions des juridictions financières n'ont en effet cessé de s'étendre avec le temps. Pour ne citer que les textes les plus récents, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales et le projet de loi relatif à la santé, actuellement en navette, prévoit quant à lui le contrôle par les juridictions financières des établissements privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Face à l'augmentation continue de leurs missions l'organisation des juridictions financières a dû être adaptée. Cette adaptation s'est faite, en premier lieu, par une réforme de la carte des chambres régionales des comptes (CRC), passées de 22 à 15 en application de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux. Cette réforme comprend un deuxième volet : la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, qui réduira encore le nombre de CRC de quinze à treize. Le financement de cette nouvelle réduction du nombre de juridictions n'a pas été prévu par le projet de loi de finances pour 2016. Il devra être pris en charge par un complément budgétaire apporté aux juridictions financières en cours d'année.

Les regroupements ont eu et auront pour effet de permettre aux juridictions financières d'atteindre une taille critique et ainsi de rendre possible la constitution d'équipes de contrôleurs suffisamment étoffées pour mener à bien des travaux complexes et divers, de permettre aux magistrats d'exercer normalement leurs missions juridictionnelles et de se spécialiser selon des cursus professionnels plus exigeants, de mutualiser les compétences et favoriser l'homogénéité des méthodes de contrôle et de réaliser des économies d'échelle par la mutualisation des moyens et des fonctions support pour mieux orienter les ressources vers le contrôle.

La réforme des juridictions financières a également généré des économies. À compter de 2014, l'économie en année pleine est évaluée à 0,95 million d'euros, dont 0,77 million d'euros sur les loyers, 0,15 million d'euros sur les fluides et 0,03 million d'euros sur les services aux bâtiments.

La réforme de 2011 aurait été amortie en 3,5 ans et le deuxième volet devrait l'être en moins de temps encore, en deux ans environ.

Par ces regroupements, les chambres régionales des comptes ont atteint une taille optimale, mais il ne faudrait pas aller au-delà, sous peine de porter atteinte à la nécessaire proximité qui doit exister entre les chambres régionales des comptes et les entités soumises à leur contrôle.

En second lieu, la Cour des comptes a entendu favoriser le recours aux formations communes lorsqu'une enquête ou un contrôle relève à la fois de la compétence de la Cour et d'une ou plusieurs chambres régionales des comptes, ou lorsque cette enquête relève de la compétence de deux ou plusieurs chambres régionales des comptes.

Ces formations inter-juridictions, portent sur des thèmes variés comme : les maternités, les stations de ski dans les Pyrénées, l'accès des jeunes à l'emploi, le haut débit, la départementalisation de Mayotte ou la gestion du stationnement urbain.

Selon la Cour des comptes, grâce à cette procédure, les juridictions financières sont en mesure de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d'enquête, qu'elles émanent du Parlement ou du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des CRC.

J'attire cependant votre attention sur la nécessité de faire preuve de prudence dans l'utilisation de cet outil. En effet, depuis la restructuration de la carte des juridictions, et compte tenu du contexte budgétaire contraint, les effectifs des juridictions ont été calculés au plus juste des besoins des différentes juridictions, au regard de leur programme de contrôle.

Il ne faudrait donc pas que les travaux inter-juridictions se développent au détriment des missions de contrôle des CRC. Le principe doit demeurer celui de chambres régionales et territoriales des comptes, juridictions autonomes, qui assurent librement la programmation et la conduite de leurs travaux.

En conclusion, au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.

- Présidence de M. Philippe Bas, président - 

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