Je vais engager mes pas dans ceux de Jean-René Lecerf, qui a durant de nombreuses années assuré ces fonctions de rapporteur pour avis avec le talent et l'efficacité qu'on lui connaît. Partageant beaucoup de ses convictions, je n'entends pas me démarquer de la façon dont il a abordé le sujet.
Le programme « administration pénitentiaire » représente, avec 43% des crédits, la part la plus importante du budget du ministère de la justice. Les décisions prises par le Président de la République auront un impact sur ces crédits, puisqu'une grande partie des 2 500 emplois supplémentaires annoncés iront à l'administration pénitentiaire.
Le plan de lutte antiterroriste se traduira en premier lieu, pour l'administration pénitentiaire, par la création, au sein des établissements pénitentiaires, de cinq unités consacrées aux personnes en voie de « radicalisation » - un terme que je ne reprends qu'avec des pincettes. Je rappelle qu'une première esquisse de ce que pourraient être ces unités avait été tentée à Fresnes. C'est à la maison d'arrêt d'Osny, dans le Val d'Oise, qu'une nouvelle unité est en cours de finalisation. Il est également prévu de créer deux unités à Fleury-Mérogis mais pour m'y être rendu il y a peu, je puis vous dire, en dépit de ce que nous a déclaré hier Mme la garde des sceaux, que je n'y ai rien vu de ses préparatifs. Cet établissement est actuellement engagé dans un lourd programme de rénovation qui complètera substantiellement cette mise en place. Une autre unité, consacrée aux éléments les plus radicaux, devrait être créé à Lille.
Un tel projet suppose non seulement de construire ces unités au sein des établissements, mais d'y affecter un personnel spécifique : outre des surveillants pénitentiaires, il y faut aussi tout le panel des personnels travaillant dans le cadre des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), pour engager un travail individuel avec chacun des intéressés. J'ai entendu, dans le cadre de mes auditions, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui a émis un avis réservé sur les unités en question.
En deuxième lieu, le plan de lutte antiterroriste suppose également l'accroissement des moyens en personnel affectés au renseignement pénitentiaire.
En troisième lieu, enfin, vient la question des aumôneries musulmanes. On sait qu'à la suite d'un arrêt du Conseil d'État, les aumôneries sont ouvertes à tous les cultes, fût-ce ceux qui ne comptent qu'un nombre restreint de fidèles comme les bouddhistes, voire les Témoins de Jéhovah ou les Adventistes du septième jour. Cela dit, les sommes affectées à ces cultes sont minimes - 10 000 euros, en 2015, pour les Témoins de Jéhovah. Au demeurant, pour ces cultes, qui ont les moyens de financer leurs aumôniers, ce n'est pas tant la somme qui compte que la reconnaissance.
Pour ce qui concerne les aumôniers musulmans, le problème principal qui se pose est celui de leur formation. Un programme est prévu, qui peut passer y compris par l'association des États dont sont originaires ces aumôniers et ces imams, pour la renforcer. Nous avons constaté cependant, lors de nos visites dans les établissements, que la population musulmane se regroupe essentiellement par nationalité - les Algériens, les Marocains et les Turcs représentant les quatre cinquièmes de l'ensemble. Si bien qu'avec un aumônier algérien dans une prison qui compte une majorité de marocains, ou inversement, on peut être à peu près assuré que personne n'ira à son prêche. C'est un problème dont il faut que le ministère ait conscience.
Autre point d'importance, la sécurité des établissements. Elle passe par la présence de personnels. Le programme initial prévoyait un accroissement des effectifs et les mesures annoncées les renforceront encore. Si bien que l'on pourrait penser que ce double effort devrait combler le retard. En réalité, il n'en sera rien. D'abord, parce que le surpeuplement des prisons perdure. Même s'il est variable d'une prison à l'autre, il reste de 110 % à 170 % - comme cela est le cas de la prison de Nice. Ensuite, parce que les surveillants recrutés viennent en grande partie remplacer ceux qui partent à la retraite, et ceux qui démissionnent - l'administration pénitentiaire est une de celles où le taux de démission est le plus élevé. Sans compter que parmi les reçus au concours, un certain nombre renonce, préférant des emplois mieux rémunérés et mieux reconnus, comme ceux de la police municipale ou nationale. Toutes ces raisons font qu'il manquera toujours, à la fin de la législature, 1 000 surveillants au minimum.
Au-delà de la question des personnels, améliorer la sécurité physique des établissements passe par le développement des moyens de surveillance. La politique développée depuis 2013, qui prévoit le déploiement de filets antiprojections et le renforcement de la vidéoprotection n'empêche malheureusement pas l'entrée de produits illicites dans certains établissements. Autant il faut être champion de lancer pour envoyer un téléphone portable par-dessus l'enceinte de Fleury-Mérogis, autant cela est beaucoup plus facile à Osny par exemple. J'ajoute que parmi les produits ainsi expédiés, il en est de très dangereux, comme les couteaux en céramique, extrêmement tranchants et indétectables. C'est là une grande crainte des surveillants.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en est venu à se demander s'il ne fallait pas s'interroger sur les interdictions radicales de téléphones portables. Et j'ai tendance à abonder dans son sens. On a aujourd'hui les moyens de brider ces téléphones, pour ne permettre l'accès qu'à certains numéros, ceux de la famille, par exemple. Et il n'est pas facile de les débrider, car outre que tous les détenus ne sont pas des as de l'informatique, les téléphones bas de gamme ne laissent guère de latitude pour le faire. L'autre argument qui m'incline à plaider en ce sens est qu'entre les établissements, la disparité dans l'accès au téléphone est énorme. Dans certaines, il n'est permis de téléphoner qu'aux heures creuses - autrement dit celles où personne ne répond. Il n'en va pas de même dans d'autres, comme à Fleury-Mérogis, où ceux qui veulent joindre un membre de leur famille le peuvent plus aisément - mais cela exige des moyens humains. Bref, faut-il poursuivre dans une voie qui ne donne pas satisfaction et n'empêche pas l'introduction de matériels prohibés ?
J'en arrive à l'amélioration des conditions de détention, grand cheval de bataille, vous vous en souvenez, de Jean-René Lecerf. Le problème est que la population carcérale - la population sous écrou - ne diminue pas. Et l'on voit mal comment il pourrait en être autrement eu égard à la tendance des juges à prononcer, en moyenne, des peines d'emprisonnement toujours plus longues. Résultat, tous les condamnés ne peuvent être envoyés en prison dès leur condamnation ; certains n'y entrent parfois qu'au terme d'une année, alors qu'ils ont entamé une réinsertion. Cela pose des problèmes considérables.
Autre difficulté, la réinsertion par le travail. Il est vrai qu'une récente décision du Conseil constitutionnel a conforté la pratique actuelle - et heureusement, au vu de ce qu'il s'est passé en Italie après l'introduction du droit commun du travail en prison : il n'y a plus un emploi, car les entreprises n'y trouvent plus le moindre intérêt. Mais il reste que même avec les conditions aménagées qui prévalent en France, le nombre d'emplois en prison diminue : moins 3% en un an. Ce qui va au rebours de l'objectif d'accroître la réinsertion par le travail.
J'ajoute que cet objectif de réinsertion est d'autant plus problématique à mettre en oeuvre que le système pénitentiaire français est un système clos. Ceux qui ont recommencé à travailler en prison doivent, le jour où ils sortent, repartir à zéro. Au demeurant, la plupart des détenus étant sans papiers ne peuvent pas s'inscrire à Pôle emploi ni postuler pour un logement. Si bien qu'ils se retrouvent à la rue. Les travailleurs sociaux et les juges d'application des peines que nous avons rencontrés ont mis l'accent sur cette difficulté : après la prison, il n'y a rien. Une juge de l'application des peines, qui a été travailleur social avant d'être juge, regrettait ainsi que les JAP ne puissent s'appuyer, lorsqu'ils s'occupent d'un détenu, sur des travailleurs sociaux n'appartenant pas au SPIP, qui peuvent pourtant avoir un regard plus pratique sur les situations.
Quelques mots, pour terminer, de l'alternative à l'incarcération, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne fonctionne pas. D'abord, parce que les dispositifs auxquels il peut être recouru sont trop nombreux, si bien que d'une juridiction à l'autre, on opte pour des solutions différentes, au détriment d'une politique cohérente au niveau national. Selon les juridictions, c'est tantôt le sursis avec mise à l'épreuve, tantôt les travaux d'intérêt général, tantôt la contrainte pénale.
Pour conclure, je dirai que ce budget répond à notre voeu de voir les moyens de l'administration pénitentiaire renforcés, et que ses orientations vont dans la bonne direction, tout en soulignant que son efficacité dépendra beaucoup des acteurs. Sous le bénéfice de ces observations, je vous proposerais d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « administration pénitentiaire ».