En cette année 2015 qui marque l'anniversaire des 70 ans de l'ordonnance du 2 février 1945, il me revient de vous présenter, pour la deuxième année, l'avis budgétaire sur les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » inscrits au projet de loi de finances pour 2016.
Ces crédits, qui s'élèvent à 795,6 millions d'euros, soit près de 10% du budget de la mission « Justice », ont connu au cours des dernières années des évolutions contrastées. Entre 2008 et 2012, la protection judiciaire de la jeunesse a largement été mise à contribution pour la réduction de la dépense publique. En effet, ses crédits ont baissé de plus de 6 % et les effectifs ont été diminués de 632 ETPT (équivalents temps plein travaillé) entre 2008 et 2012. En revanche, ces crédits avaient été augmentés de 2,41 % par la loi de finances pour 2013, avant une nouvelle diminution de 0,6 % dans la loi de finances pour 2014 et de 0,7 % dans la loi de finances pour 2015.
Les crédits pour 2016 connaissent une certaine croissance, qui s'explique par les moyens accordés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Les crédits de paiement s'élèvent à 795 millions d'euros, soit une augmentation de 2,34 %, principalement du fait de la hausse des dépenses de personnel. Corrigée des effets de périmètre et des moyens accordés dans le cadre de la lutte antiterroriste, l'augmentation n'est cependant que de 0,82 % par rapport à la loi de finances initiale 2015.
Le plafond d'autorisation d'emplois s'élève à 8 763 ETPT, soit 196 de plus que le plafond prévu pour 2015 - une augmentation qui s'explique pour 86 % par les créations de postes prévues dans le plan de lutte contre le terrorisme. Dans ce cadre, une mission nationale de veille et d'information a été mise en place au 1er avril 2015 afin d'assurer la coordination des personnels concourant à la prévention des risques de radicalisation et de conduire une politique de citoyenneté et de réaffirmation des valeurs de la République. De même, a été créé un réseau de 69 référents laïcité et citoyenneté, chargé de décliner au niveau de chaque direction interrégionale les missions de la cellule nationale.
Si les crédits du secteur public augmentent, ceux du secteur associatif habilité continuent, en revanche, de diminuer alors même que ce secteur, ainsi que chacun le reconnaît, est essentiel à la diversification des mesures de placement des mineurs. Cette nouvelle baisse, qui succède à huit années de diminution continue, de 2008 à 2015, témoigne que ce secteur reste la variable d'ajustement du programme. Cette diminution de moyens permet le maintien des établissements exclusivement financés par l'État mais contribue à réduire de manière pérenne le financement des places dans les établissements habilités conjointement par les conseils départementaux, qui offrent pourtant des solutions appréciées par les professionnels.
Je souhaite à présent évoquer la situation des acteurs de la justice des mineurs, en premier lieu les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse mais également les juges pour enfants. Tous soulignent l'illisibilité et l'incohérence de l'ordonnance du 2 février 1945 dont la réforme n'est toujours pas inscrite à l'ordre du jour parlementaire.
Par ailleurs, les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse, malgré des créations d'emplois, ne permettent pas une exécution rapide des mesures de justice. Lors de mes déplacements, les magistrats m'ont fait part de leur impuissance face au retard d'exécution des mesures de placement, mais plus grave encore des mesures d'investigation en matière pénale et surtout en matière civile. En effet, la protection judiciaire de la jeunesse dispose d'une compétence exclusive en matière d'investigation sur l'enfance en danger.
Ce sentiment se double d'une incompréhension des magistrats à l'encontre des quotas accordés au secteur associatif habilité pour les mesures d'investigation, alors même que le secteur public apparaît sous-dimensionné. Dans certains territoires, six mois peuvent s'écouler avant le début d'exécution d'une mesure d'investigation pour un enfant en danger. Réduire ces délais d'exécution apparaît indispensable.
Je souhaite évoquer, pour finir, la prise en compte de la santé des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse. Selon les éducateurs et les professionnels de la santé que j'ai rencontrés, il est fréquent que des jeunes adolescents placés dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse n'aient pas été examinés par un médecin depuis plusieurs années. Ce diagnostic s'explique par la situation sociale parfois fragile des familles des jeunes pris en charge.
Face à ce constat, la protection judiciaire de la jeunesse a lancé, en 2013, la démarche intitulée « Protection judiciaire de la jeunesse promotrice de santé » qui fait de la santé des mineurs, l'affaire de tous. Celle des professionnels de la santé évidemment, mais avant tout celle du jeune et de l'équipe éducative. Cette démarche repose sur un objectif d'éducation à la santé. Dans ce cadre, une convention de partenariat été signée entre la protection judiciaire de la jeunesse et la Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé (FNES).
Bien plus que sur leur bilan de santé somatique, j'ai été alertée par les professionnels sur la prise en charge de la santé mentale de ces jeunes. Un consensus parmi les professionnels, corroboré par quelques études épidémiologiques encore trop rares, atteste d'une forte prévalence des troubles du comportement parmi les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Néanmoins, les souffrances des mineurs entrent rarement dans les grilles de classifications des maladies psychiatriques traditionnelles : il s'agit avant tout de pathologies limite à dominante comportementale. Or l'absence de culture commune entre professionnels de la santé et de la protection judiciaire de la jeunesse conduit à des logiques de filières, qui excluent certains jeunes dits « difficiles » : les médecins considérant que ces troubles demandent une prise en charge éducative, les éducateurs considérant que ces troubles relèvent d'une prise en charge médicale.
Ce constat est ancien mais il est reste d'actualité. Dès lors, je ne peux qu'encourager la protection judiciaire de la jeunesse à continuer à soutenir les dispositifs spécifiques tels que la structure intersectorielle pour adolescents difficiles (Sipad) de Nice, ou les instituts socio-éducatifs médicalisés pour adolescents (Isema). La démarche « PJJ promotrice de santé » ainsi que les renforts d'effectifs de psychologues annoncés pour les centres éducatifs fermés doivent oeuvrer à construire un véritable partenariat entre la Santé et la Justice pour la prise en charge de ces adolescents.
Voici, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2016.