Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 25 novembre 2015 à 14h30
Autorisation de prolongation de l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le vendredi 13 novembre, Daech a frappé la France. Cette armée terroriste s’en est prise lâchement à ce qui fait notre pays et à ce qu’il représente : sa jeunesse, sa diversité, ses lieux de vie et de culture, son art de vivre, ses principes universels, qui parlent au cœur des peuples sur tous les continents. Il y a eu cent trente victimes, de vingt nationalités différentes ; en attaquant la France, Daech a donc une nouvelle fois attaqué le monde.

Face à ce totalitarisme islamiste, la France mène et mènera une guerre implacable. Daech veut nous frapper ; nous frapperons plus fort, dans le cadre de la légalité internationale. Nous frapperons juste, car nous agissons au nom de la liberté et pour la sécurité de nos concitoyens. Et nous gagnerons : même s’il y faut du temps, même si d’autres épreuves peuvent survenir, nous gagnerons cette guerre contre la barbarie.

Pour gagner cette guerre, il nous faut mener de front deux combats.

Nous mènerons le premier ici, sur notre sol, en nommant notre adversaire – l’islamisme radical, le djihadisme, le salafisme –, en traquant les individus, en débusquant les cellules, en démantelant les réseaux, en cassant les filières et en mettant les terroristes hors d’état de nuire. En déjouant, aussi, les projets d’attentats – je pense à celui qui aurait pu frapper, après Paris et Saint-Denis, le quartier de La Défense, comme le procureur de la République l’a rappelé hier. En coopérant avec nos voisins, enfin, tout particulièrement avec la Belgique, qui est aujourd’hui en état d’alerte.

La semaine dernière, à la suite du Président de la République, le Premier ministre a exposé au Parlement les mesures exceptionnelles que nous prenons, dans le cadre de l’état d’urgence, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Depuis la déclaration de l’état d’urgence, le 14 novembre, au lendemain des attentats, plus de 1 400 perquisitions administratives ont été ordonnées, 241 armes ont été saisies, dont une vingtaine d’armes de guerre, et 272 personnes ont été assignées à résidence. Nous poursuivons cette action sans trêve ni pause, ainsi que le ministre de l’intérieur l’a plusieurs fois rappelé.

Nous vous avons également fait part des moyens supplémentaires que nous affectons à la protection de notre territoire – 120 000 policiers, gendarmes et militaires mobilisés –, des recrutements nouveaux auxquels nous allons procéder, des investissements nouveaux que nous allons réaliser pour les équipements de nos forces de l’ordre et des dispositions qui renforceront notre arsenal juridique, mais aussi de tout ce qui est mis en œuvre depuis le début de cette année.

Mais le combat, nous devons avant tout le poursuivre en Irak et en Syrie, car c’est là que Daech prospère dans l’impunité de ses crimes ; c’est là qu’il faut frapper, pour agir à la racine du mal.

Si, sur le plan militaire, les racines de Daech sont en Irak, l’épicentre du terrorisme de Daech, c’est la Syrie. Les djihadistes en contrôlent l’est et le nord, dont ils ont fait un bastion, où ils ont installé leur prétendue capitale, Raqqa, et où ils ont bâti un régime reposant sur la terreur, le vol et la contrebande, ainsi que sur les trafics non seulement d’armes et de drogues, mais aussi d’êtres humains. Depuis cet épicentre, les attentats sont organisés et planifiés. Dans ces repaires, les commandos viennent se former et prendre leurs ordres. C’est de là, nous le savons, qu’ont été commanditées les attaques qui visent notre pays depuis plusieurs mois.

Nous avions une responsabilité et, surtout, un devoir : intervenir militairement en Syrie, comme nous le faisions déjà en Irak depuis le mois de septembre 2014. C’est pourquoi, le 7 septembre dernier, le chef de l’État a lancé l’offensive de nos forces aériennes dans le ciel syrien ; je vous ai alors informés, mesdames, messieurs les sénateurs, du cadre et des modalités de cette intervention.

Depuis lors, nos Rafale et nos Mirage ont multiplié les missions. Mais le 13 novembre a, d’une certaine façon, changé la donne : une riposte à la mesure de l’agression que nous avons subie s’est imposée. Il n’y a pas d’alternative : nous devons anéantir Daech, comme le Président de la République l’a clairement affirmé devant le Parlement réuni en Congrès.

Depuis dix jours, nos forces aériennes ont intensifié leurs frappes ; elles ont élargi leurs cibles ; elles ont étendu le périmètre et la fréquence de leurs missions. Nos chasseurs-bombardiers ont lancé huit raids sur Raqqa et bombardé de nouveaux sites de Daech en Irak, hier encore à Mossoul. Ces opérations portent à plus de trois cents le nombre de frappes menées depuis que nos forces sont engagées au Levant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre action va prendre encore plus d’ampleur. Présent depuis quarante-huit heures en Méditerranée orientale, notre porte-avions, le Charles-de-Gaulle, nous donne une force accrue pour amplifier nos opérations, aussi bien en Syrie qu’en Irak. Nos capacités sur zone sont multipliées par trois.

Je tiens à rendre une nouvelle fois un hommage appuyé à tous nos militaires déployés au Moyen-Orient. Je veux saluer leur courage et leur engagement. Nous avons pu constater leur sens du devoir et leur professionnalisme à maintes reprises ; M. le Premier ministre en a encore eu l’occasion récemment, en visitant l’une de nos bases aériennes en Jordanie.

Ces femmes et ces hommes, comme celles et ceux de l’opération Barkhane, font la fierté de toute notre nation. La France est derrière ses militaires qui se battent là-bas pour notre sécurité ici. Ils agissent sous l’impulsion du ministre de la défense, mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian, dont nous voulons saluer l’action ; son sens de la décision est particulièrement précieux au moment où tout le Gouvernement est mobilisé au service de la défense et de la sécurité de notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France est au cœur de cette guerre contre Daech, aux avant-postes. Mais ce combat contre le terrorisme est aussi celui des Nations unies. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité a fait preuve de responsabilité en adoptant à l’unanimité la résolution 2249, préparée par la France, qui appelle à amplifier la lutte contre les groupes terroristes djihadistes. C’était une demande de la France, du Président de la République et de notre diplomatie, exprimée dès le lendemain des attentats.

Ce combat, nous le menons aussi, dès à présent, dans le cadre d’une coalition comportant une trentaine d’États engagés militairement en Irak ou en Syrie.

Nous progressons, en sorte que, malgré les difficultés, le rapport de force sur le terrain commence à s’inverser : avec l’appui de la coalition, les unités irakiennes et kurdes, ainsi que l’opposition modérée syrienne, ont réussi à endiguer l’expansion territoriale de Daech ; et, en Irak, les villes de Sinjar et Baïji ont été reconquises, ce qui coupe des axes stratégiques entre Mossoul et Raqqa. C’est bien le signe que l’emprise de l’armée terroriste sur cette zone n’est pas une fatalité.

Daech commence à subir des dommages sérieux et à éprouver des difficultés pour organiser les ravitaillements à Mossoul, ainsi que pour payer ses combattants. Les recrues sont de plus en plus jeunes pour faire face aux pertes humaines et aux désertions. D’importantes restrictions en eau et en électricité touchent la population, tandis que les prix augmentent. La dégradation de la situation va s’accentuer avec l’arrivée de l’hiver.

Daech commence donc à reculer, ce qui prouve qu’il peut être vaincu. Seulement, pour vaincre, nous devons aller plus loin, parce que cette armée terroriste conserve des ressources et peut encore mener des offensives.

Aller plus loin, c’est mobiliser une coalition plus large ; c’est la position de la France, une position constante.

Nous devons le faire, bien entendu, avec les États-Unis, pour lesquels le 13 novembre a aussi changé la donne, comme le Président de la République, M. Le Drian et moi-même l’avons constaté hier, lors de notre rencontre avec le président Obama à Washington. Nos deux pays, pays alliés toujours soudés face aux épreuves, ont affirmé une volonté commune : agir encore plus étroitement, sur les plans militaire et diplomatique. Après ce qui s’est passé à Paris, il n’y a évidemment plus d’hésitation à avoir.

Une coalition plus large, c’est aussi une coalition dans laquelle les Européens doivent assumer leur responsabilité, qui est historique. Le combat contre le terrorisme n’est pas seulement le combat de la France : il est le combat de l’Europe entière et doit être celui de tous les pays de l’Union européenne, car les terroristes se jouent et se moquent des frontières ; ils frappent à Paris, à Bruxelles ou à Copenhague, comme ils ont frappé hier à Madrid ou à Londres. Parce que l’Europe fait face à une même menace, c’est dans son ensemble qu’elle doit se mobiliser. Aucun pays d’Europe ne peut se croire à l’abri et hors de ce combat.

Au lendemain des attentats et pour la première fois, nous avons invoqué l’article 42, alinéa 7, du traité sur l’Union européenne pour faire appel à la solidarité de nos partenaires, afin qu’ils contribuent directement aux opérations militaires et qu’ils nous prêtent leur concours logistique, de sorte que nous ne portions pas seuls le fardeau de la guerre. Tous nos partenaires ont entendu cet appel. Il faut maintenant passer aux actes.

Dès à présent, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark sont engagés à nos côtés en Irak. Mais nous avons besoin de tous, en Irak et en Syrie, ainsi qu’au Sahel ; l’attentat de Bamako est venu souligner, hélas, que les menaces qui ont justifié notre intervention dans cette région il y a deux ans demeurent, en tout cas certaines d’entre elles.

Demain, nous aurons peut-être besoin de l’Europe, sous une autre forme, en Libye. En effet, nos regards inquiets se tournent vers cette partie de l’Afrique du Nord qui pourrait devenir un nouveau repaire des terroristes de Daech à nos portes.

Déjà, la Tunisie subit des assauts très lourds – songeons au musée du Bardo, à la ville de Sousse et à l’attaque qui a visé hier la garde présidentielle à Tunis. En notre nom à tous, je veux marquer une nouvelle fois notre solidarité à l’égard de la Tunisie et du peuple tunisien. Ce pays est un exemple de démocratie et de laïcité, et c’est cet exemple que les terroristes ont voulu abattre. La Tunisie mérite tout le soutien de la France, de l’Europe et de la communauté internationale !

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