Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 25 novembre 2015 à 14h30
Autorisation de prolongation de l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, plane sur notre débat l’image lancinante et douloureuse des cent trente morts et des centaines de blessés des attentats du 13 novembre, funèbre cortège auquel s’ajoutent les victimes du mois de janvier dernier !

Au-dessus de ce débat planent la souffrance irrémissible des victimes et la colère légitime de notre pays.

À la différence de mon groupe, voilà quelques mois, j’avais exprimé des réticences à l’égard de notre décision d’intervenir en Irak puis en Syrie en septembre dernier.

Mais comme l’ensemble de mon groupe, je considère aujourd’hui que, eu égard à la violence et l’ampleur de l’agression à laquelle notre pays doit faire face, nous avons le devoir de porter le fer là où se trouvent ceux qui nous ont agressés, là où, comme l’a dit le Président de la République, « ils ne sont pas hors d’atteinte ! »

Non par esprit de vengeance, car ce sentiment n’appartient pas au registre des grandes démocraties et n’appartient pas au registre de la France, mais par amour de la justice qui impose qu’il n’y ait nulle impunité qui puisse profiter aux auteurs d’un tel forfait ! Par amour du droit qui a parfois besoin de s’armer pour se faire respecter !

Non par haine de ceux qui nous haïssent, mais par amour de notre vieille nation qui, tout au long de son histoire, a toujours refusé de se laisser dicter sa conduite ou son destin par la menace ou par la force !

Non par goût de la violence, mais par amour de notre patrie, ce patriotisme qui nous relie à une histoire dont nous sommes comptables, et à ce peuple dont nous sommes les représentants et que nous ne pouvons laisser meurtrir sans réagir !

C’est d’ailleurs au nom de ce même patriotisme que nous veillons – vous l’avez dit monsieur le ministre – à ne mettre ni passion ni aventurisme dans l’intervention que nous soutenons aujourd’hui.

C’est ce patriotisme qui nous conduit à considérer qu’une intervention au sol, en particulier, serait une mesure folle !

C’est ce même patriotisme qui nous conduit aujourd’hui à regarder lucidement et avec sang-froid la difficulté de la situation. Certes, celle-ci est aujourd’hui un peu plus favorable qu’il y a quelques mois.

Au mois de septembre dernier, nous étions avec les États-Unis plutôt isolés. Or voici que nous rejoignent d’autres puissances, d’autres nations, à commencer par la Russie officiellement – je dis bien « officiellement » – déterminée à mettre toutes ses forces au service de ce combat.

Après l’épouvantable attentat de Charm el-Cheikh, aux victimes duquel je tiens d’ailleurs à rendre hommage ici, comme à celles des attentats de Bamako, d’Istanbul, de Beyrouth ou de Tunis hier, d’autres États envisagent désormais, sous l’impulsion du Président de la République, de nous rejoindre et ont déjà exprimé leur solidarité.

Au mois de septembre dernier, nous étions intervenus sur le fondement juridique de la légitime défense et de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Sans pouvoir encore nous référer au chapitre VII de celle-ci, nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur la résolution 2249 du Conseil de sécurité des Nations unies, invitant tous les membres de la communauté internationale à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre l’organisation État islamique.

Au mois de septembre dernier, enfin, nous étions privés de véritable perspective politique. Depuis lors, deux conférences à Vienne ont remis en marche, non sans grincements, un processus de dialogue entre toutes les parties qui était interrompu depuis longtemps et que nous devons maintenant veiller à entretenir, comme l’a dit à l’instant Laurent Fabius.

Mais si la situation est un peu plus favorable, elle n’en reste pas moins particulièrement délicate et exige de la France, comme des autres puissances engagées dans ce conflit, de regarder les réalités en face.

Nous savons tous ici que, avec ces bombardements, nous pourrons non pas détruire la menace qui, depuis Mossoul et Raqqa, s’est dressée contre nous, mais seulement la réduire.

Nous savons tous ici que, si le défi qui nous est lancé est militaire, son règlement définitif ne pourra être que politique, ce que rendront particulièrement difficile les ambiguïtés, parfois les arrière-pensées, de celles et ceux que nous tentons aujourd'hui de rassembler.

Nous savons tous ici que la haine qui s’exprime contre notre démocratie, si elle prétend se nourrir de la religion, a pour motif la situation qui prévaut aussi depuis longtemps dans la région, c'est-à-dire cette confusion qui a entraîné désordre et violence.

En frottant la lampe moyen-orientale, les États-Unis ont libéré le génie des haines confessionnelles et des guerres, un génie qu’il sera difficile de contenir et qui est déjà déchaîné.

Si l’on veut bien y regarder de près, ce génie n’est pas seulement l’expression d’un fanatisme. Il est aussi la conséquence monstrueuse d’une décomposition progressive des États de la région et de la dégénérescence du nationalisme arabe, privé de ses vecteurs politiques.

Ce processus tente de reprendre à son compte, d’une manière folle et meurtrière, une forme d’anti-impérialisme sans repères ni ambitions. Il est aujourd'hui renforcé par l’apport de jeunes Européens non pas communautarisés – penser cela reviendrait à céder à nos préjugés, plutôt que de regarder la réalité –, mais d’une certaine manière désaffiliés, livrés à eux-mêmes, passant du coup sans transition du petit banditisme au terrorisme, en quête d’aventure, comme de nouveaux Lacombe Lucien, ce personnage sans idéal de Louis Malle, cherchant dans la violence une forme de régénérescence ou de rédemption.

Nous sommes confrontés au résultat d’une décomposition des sociétés arabes à laquelle l’Europe comme les États-Unis ont parfois malheureusement contribué.

Par conséquent, nous savons tous que c’est armé non seulement de bombes et d’avions, mais surtout d’une vision globale des avenirs possibles de la région, qu’il nous faudra imaginer les pistes de solution, comme s’y est consacré M. le ministre à la fin de son intervention.

Ces pistes nous obligent à reconsidérer les rapports de force qui sont à l’œuvre dans la région. Nous avons eu en effet trop tendance, pour paraphraser le général de Gaulle, à voler vers l’Orient d’aujourd’hui, toujours compliqué, avec des idées d’hier.

Voilà en effet longtemps que l’axe de la guerre dans la région n’est plus constitué – ne nous en déplaise ! – par le conflit israélo-palestinien, dont l’enlisement témoigne de l’indifférence scandaleuse qu’il suscite désormais à l’étranger, à l’exception notable de la France.

Cet axe n’est pas non plus construit, quoi que nous en pensions, autour de la lutte entre l’islamisme et les régimes laïcs, comme le démontre l’issue des printemps arabes qui se traduit partout, de manière certes différente en Tunisie ou en Égypte, par l’élimination ou le recul des Frères musulmans.

Cet axe n’est pas non plus structuré autour de la guerre contre Daech, comme nous pourrions le souhaiter, tant les motivations des uns et des autres, qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Iran, de la Russie, ou encore des États du Golfe, illustrent des préoccupations différentes. L’incident qui s’est produit hier nous en a malheureusement apporté de nouveau la démonstration.

Nous devons avoir aujourd’hui conscience que c’est en réalité l’affrontement entre deux grandes puissances, l’Iran et l’Arabie saoudite, qui constitue désormais le problème axial, affrontement qui s’opère d’ailleurs par clients interposés au Yémen comme en Syrie.

Nous devons nous garder de prendre ouvertement parti dans cet affrontement, afin de préserver notre vocation et notre rôle de médiation. Puissance médiatrice, tel est le rôle de la France pour les années qui viennent.

Les pistes de solution passent donc nécessairement par la reconstruction des États, dont l’affaissement en Libye, en Irak ou en Syrie a permis cette anarchie meurtrière.

C’est cette préoccupation qui doit nous guider, sachant que l’effort seul à même de bloquer le processus d’éclatement à l’œuvre devra porter non seulement sur la Syrie, mais aussi sur l’Irak via un projet fédéral incluant les sunnites. Il suffit certes d’évoquer ces priorités pour saisir l’ampleur de la tâche auquel le Gouvernement et le Président de la République se sont courageusement attelés.

Mais nous savons bien que c’est en regardant au-delà du moment, et de l’émotion qu’il impose, que nous devons chercher les raisons d’espérer. La France a, par son histoire et la connaissance qu’elle a de cette région, peut-être plus que d’autres, les moyens d’influencer l’avenir de celle-ci.

À l’indifférence parfois, au cynisme souvent, à la résignation devant la dégradation continue de la situation qui a prévalu au cours des décennies passées, il est sans doute nécessaire de substituer une approche plus large, plus consciente et peut-être plus généreuse visant à aider les peuples arabes à se construire un avenir débarrassé de la dictature militaire ou religieuse. La richesse culturelle, économique, politique du monde arabe plaide en ce sens.

Je forme le vœu que notre engagement militaire, que nous approuvons tous aujourd’hui, puisse aussi servir une ambition : celle d’un monde arabe qui construise son avenir dans la paix, dans une perspective de développement, en coopération avec l’Europe, et dans lequel la France puisse jouer tout son rôle !

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