Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 25 novembre 2015 à 14h30
Autorisation de prolongation de l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin :

Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le respect de nos morts, la force de nos institutions, l’avenir de la France, nous rassemblent ; c’est notre devoir.

Après le choc, le temps de l’émotion, du rassemblement et de l’hommage, voici venu l’enjeu de l’action. C’est à l’action que nous appellent le débat et le vote de ce soir. C’est de l’efficacité que les Français exigent maintenant. La gravité sans l’efficacité serait le stade ultime de l’irresponsabilité. Nous ne pouvons trahir ceux qui sont morts monstrueusement.

Attention aux mots ! « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Camus.

Devant le Congrès, le Président de la République n’a pas qualifié l’ennemi – le terrorisme islamiste sunnite –, ce que le Premier ministre a fait le lendemain ; mais il a employé le mot « guerre ».

Attention ! Car la guerre, c’est la victoire ou le malheur. Attention ! Car la guerre, c’est une mobilisation totale des moyens et des âmes. Il n’y a pas de guerre sans sacrifice. La guerre ne connaît pas la demi-mesure.

Ce soir, je prends acte de trois inflexions positives et je formule trois mises en garde à l’intention du Gouvernement.

Premier constat positif : une réponse forte est donnée sur le plan de la sécurité intérieure. Dont acte ! L’extrême gravité du moment l’imposait. Nous avons voté la loi renforçant la lutte contre le terrorisme. Nous avons voté l’actualisation de la loi de programmation militaire, avec des moyens nouveaux.

Nous avons voté la loi relative au renseignement – Philippe Bas et moi-même étions respectivement rapporteur et rapporteur pour avis –, que nous avions préparée au sein de la délégation parlementaire au renseignement. Nous avons voté l’état d’urgence, comme nous avions été un certain nombre à le faire en 2005. Nous allons encore aujourd’hui montrer cette unité dans l’action.

Dans les circonstances présentes, je ne me demande pas si je suis de la majorité ou de l’opposition : je vote pour la France ! Des amendements sont présentés en faveur de moyens de sécurité supplémentaires ; nous les voterons. Notre éthique de responsabilité nous le dicte.

Je rends, comme vous tous, hommage à nos militaires mobilisés en nombre pour la défense du territoire national et la lutte hors de nos frontières, aussi. Nous saluons toutes nos forces de sécurité.

Deuxième constat positif : le virage de notre politique étrangère.

Virage, tournant, inflexion, changement des circonstances ? Peu importent les mots : la réalité, c’est que nous sommes enfin libérés du « ni-ni », « ni Bachar ni Daech », qui nous a quelque peu paralysés.

Bachar al-Assad est l’ennemi de son peuple, oui, sans aucun doute. Mais Daech est l’ennemi de la France !

La Russie est à nouveau un partenaire sur ce dossier ; le Président sera demain à Moscou. La commission avait demandé une telle initiative il y a plus d’un mois. Des questions restent en suspens – de moins en moins, d’ailleurs, depuis que la réorientation bienvenue des frappes russes sur Raqqa vise directement Daech.

Évidemment, la tension avec la Turquie est particulièrement préoccupante. Mais, chacun le reconnaît, le dialogue franco-russe est indispensable pour l’efficacité de notre action.

Troisième point positif : l’accélération du tempo militaire et le changement de braquet de l’opération Chammal.

« C’est au Levant que se joue notre sécurité », nous a dit le Premier ministre, ici même, vendredi dernier. Oui ! Évidemment ! Une réponse militaire est indispensable, mais, chacun l’a dit, elle ne sera pas suffisante. Nous savons bien que la guerre crée au moins autant de terroristes qu’elle en élimine.

Je tiens, de ce point de vue, à rappeler l’importance des discussions de Vienne, auxquelles la France participe, et du volet diplomatique et politique de ce dossier. C’est à Vienne, et aussi à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies, que peut se débloquer la situation.

La France, dont l’« ADN diplomatique » est de parler à tous, doit veiller à l’équilibre de ses alliances : je pense notamment à la tragique tension entre sunnites et chiites.

Oui à l’intensification des frappes aériennes ! Oui à l’envoi du Charles-de-Gaulle et du Groupe aéronaval, qui va multiplier par trois notre force de frappe ! Oui à la collaboration avec les Américains, mais aussi avec les Russes, pour le renseignement et donc, concrètement, pour nous aider à frapper juste ! Oui aussi à la stratégie consistant à faire reposer la reprise du terrain, au sol, sur les forces armées locales : nous n’avons pas d’autre choix.

Un bémol, toutefois : compte tenu de leur niveau d’engagement – 10 000 hommes mobilisés dans la durée sur le territoire national, 10 000 hommes déployés dans près de vingt OPEX, dont Barkhane et Chammal, opérations à haute intensité –, la surchauffe guette nos armées, qui font preuve d’une maturité opérationnelle exceptionnelle. Nous devons la saluer, mais être lucides : l’éreintement est un risque. Il faut se régénérer.

Comme on pouvait s’y attendre, nos lacunes capacitaires – moyens d’observation, ravitaillement en vol – brident quelque peu notre action militaire. Notre format est juste suffisant, nos matériels sont surutilisés. Nous faudra-t-il déshabiller Pierre pour habiller Paul, renforcer Chammal au détriment de Barkhane, alors que la situation au Sahel n’est pas stabilisée ? Les Français comprennent mal que nous ne puissions faire davantage face à l’urgence vitale.

Trop d’engagements d’une armée saturée d’opérations nuisent à la concentration indispensable des forces sur notre principal adversaire : une fois engagés dans un conflit, il nous appartient, et il nous retient, comme le montre le dossier de la République centrafricaine.

Notre commission lancera d’ailleurs cette année, sous l’impulsion notamment de nos collègues Jacques Gautier et Daniel Reiner, une réflexion d’ensemble sur l’évaluation – militaire, mais surtout politique – des OPEX, vision d’ensemble qui fait encore actuellement défaut.

J’adresserai aussi trois mises en garde.

Tout d’abord, les moyens doivent évidemment être en ligne avec les objectifs.

Nous attendons la mise en œuvre des annonces présidentielles sur l’annulation des suppressions d’emplois prévues d’ici à 2019 dans les armées. Nous saluons ces annonces. Bien sûr, une nouvelle actualisation de la loi de programmation militaire sera nécessaire.

Mais je le dis tout net : il est insupportable de voir les décisions du Président, à peine prononcées, être contestées de l’autre côté de la Seine, où l’on essaie toujours de jouer le match retour. Bercy a pris l’habitude de considérer la défense, qui ne fait pas grève et qui sait obéir, comme la variable d’ajustement budgétaire. C’est inacceptable !

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