Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tenter de répondre globalement aux différents orateurs qui se sont exprimés sur la prolongation de l’opération Chammal en Syrie.
Le sujet qui nous rassemble aujourd’hui, c’est la lutte contre Daech. Pour mener cette lutte, nous avons une stratégie qui nous est propre, et que le ministre de la défense a déjà eu l’occasion d’exposer devant votre commission, monsieur Raffarin. Cette stratégie tient en quatre points, qui sont clairs et nets.
Il faut, d’abord, faire reculer Daech, lui infliger des défaites militaires, aider à la reconquête des territoires pris, atteindre ainsi ses capacités, sa puissance et, par suite, son prestige. C’est ce que nous faisons et ce que nous ferons de plus en plus dans les prochaines semaines et dans les prochains mois.
Il faut, en même temps, priver Daech de ses ressources et de ses bases, y compris économiques et logistiques, en Irak comme en Syrie. Cela implique des frappes systémiques. Notre action en ce sens en Irak est engagée ; elle débute en Syrie.
Il faut, en outre, empêcher Daech de gagner du terrain autour des zones qu’il contrôle déjà au Proche-Orient. Pour le dire clairement, il faut l’empêcher de pénétrer et de prendre des positions en Jordanie, au Liban, en Turquie.
Il faut enfin contenir la dispersion de la menace et cloisonner davantage les théâtres, en empêchant l’extension du groupe qui se profile au Maghreb et en Afrique subsaharienne.
Cette stratégie – c’est le premier point sur lequel je veux revenir – s’inscrit dans un cadre juridique bien établi.
L’intervention française en Syrie est fondée sur la légitime défense, que la Charte des Nations unies reconnaît, en son article 51, aux États qui font l’objet d’une agression armée et à ceux qui leur prêtent assistance.
L’invocation de cet article a d’ailleurs été notifiée par les autorités françaises au Conseil de sécurité des Nations unies dès le 8 septembre dernier.
Cet article vise, en principe, une agression étatique, mais la France a considéré que les caractéristiques de l’organisation terroriste qu’est Daech, l’ampleur de ses capacités militaires et l’importance du territoire et de la population qu’elle contrôle, justifiaient, compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, l’invocation de l’article 51 à l’encontre de cet acteur d’une nature inédite, qui n’est pas un État, mais qui prétend l’être…
Jusqu’au 13 novembre, la légitime défense invoquée par la France était, à titre principal, la légitime défense collective. Elle reposait en effet sur la demande d’assistance formulée par les autorités irakiennes envers la communauté internationale pour l’aider à se défendre contre l’agression armée subie par l’Irak de la part de Daech, agissant depuis le territoire syrien.
Les considérations de sécurité nationale et la menace exceptionnelle que faisait peser cette organisation sur notre pays avaient très fortement pesé dans la décision de répondre positivement à la demande d’assistance irakienne.
Le 13 novembre dernier, cette menace s’est malheureusement concrétisée. La France a subi une agression armée fomentée et organisée par Daech. La légitime défense individuelle est donc venue compléter le fondement tiré de la légitime défense collective.
La légitimité de l’intervention militaire française en Syrie et en Irak vient par ailleurs d’être confortée par l’adoption à l’unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies, à la demande de la France, de la résolution 2249, le vendredi 20 novembre.
Cette résolution appelle en effet les États à intervenir, dans le cadre du droit international et dans le respect de la Charte, pour mettre fin aux actions de Daech qui menacent la paix et la sécurité internationales. Les États peuvent, à cette fin, employer « tous les moyens nécessaires ».
Je souligne enfin que la France mène en Syrie une opération militaire régie par le droit des conflits armés eu égard à la situation au Levant. La conduite des hostilités répond bien à une logique de guerre.
D’un point de vue militaire, dans le cadre de cette stratégie et à la suite des attaques du 13 novembre, la France a considérablement accru le rythme de ses opérations aériennes.
À partir du 15 novembre, nous avons effectué des raids importants sur les positions de Daech dans la région de Raqqa. Les frappes, de l’ordre de 60 bombes tirées, ont visé des centres de commandement, d’entraînement et de logistique, ainsi que des moyens d’approvisionnement en matières premières de Daech.
Dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, cet effort est appelé à se poursuivre. Le porte-avions Charles -de -Gaulle est arrivé dimanche 22 novembre dans la zone des opérations, en Méditerranée. Nous disposons désormais de 36 chasseurs dans la zone. C’est un effort important, mais il est surtout justifié, et nous sommes en mesure de l’assumer.
Le Groupe aéronaval opère en Syrie depuis lundi, conjointement avec nos autres forces aériennes et avec nos alliés américains. Il mène aussi bien des frappes planifiées que des actions d’opportunité pour nos chasseurs ; aucune cible significative de l’organisation Daech n’est à l’abri de nos actions et de celles de nos plus proches alliés.
La France a demandé à ses partenaires d’intensifier leur action de concert avec elle. Le Président de la République vient de conforter l’accord passé avec les Américains à cet égard, lors de son déplacement à Washington.
Lorsque le Groupe aéronaval poursuivra sa route vers le Golfe arabo-persique, les opérations se poursuivront à partir de nos bases terrestres, dans la région d’Al-Dhafra et d’Al-Safawi. Une fois dans le Golfe, vers la mi-décembre, il reprendra ses opérations contre Daech, tant en Irak qu’en Syrie.
Cette stratégie a un volet politique pour déboucher sur une action collective la plus large possible – c’est le sens, notamment, de la résolution 2249 du Conseil de sécurité – et la consolidation d’une coalition qui soit également la plus large possible.
Le ministre de la défense était avec le Président de la République à Washington, pour des rencontres avec le président Obama et des entretiens avec son homologue Ashton Carter avec lequel il est en contact régulier pour le volet militaire et de renseignement de notre action.
Il accompagnera également le Président de la République demain à Moscou, pour échanger avec Vladimir Poutine.
C’est un même effort que nous devons faire : à partir du constat que Daech est notre ennemi commun, il faut trouver les voies d’une action collective, pour frapper cette menace au cœur, et lui porter ainsi des coups décisifs.
Cela implique cependant, de la part de la Russie, si elle souhaite une action véritablement concertée, un accord de fond sur nos objectifs, qui n’est pas encore acquis. Nous ne partageons pas l’analyse selon laquelle tous les opposants au président Assad sont des terroristes. On ne peut pas à la fois vouloir unir nos efforts dans un même ensemble et frapper des insurgés qui se battent depuis des années contre Assad, et que nous soutenons.
Oui, monsieur Bockel, vous avez raison, tout comme monsieur Hue, d’ailleurs : la recherche d’une action collective large est également l’enjeu de l’activation par la France de l’article 42. 7 du Traité sur l’Union européenne, qui a été un succès.
Dans ce cadre, nous avons adressé à nos partenaires une première liste de demandes, qui sont de trois ordres : un soutien direct sur le théâtre syrien ; un soutien indirect à nos opérations au Levant, sous la forme de fourniture de capacités critiques ; enfin, un soutien indirect sur d’autres théâtres où les forces françaises sont engagées pour le bénéfice de tous.
Vous le voyez, madame Aïchi, nos partenaires européens sont à nos côtés dans cet engagement de nos forces.
Certaines de ces demandes pourront également être transmises à d’autres pays qui nous sont particulièrement proches. Je pense tout particulièrement aux Émirats arabes unis, qui se sont montrés très ouverts à notre égard.
Nos alliés, enfin, ont fait, dès le lundi 16 novembre, dans le cadre du Conseil de l’Alliance atlantique une déclaration très ferme.
Comme l’ont souhaité Mme Demessine et M. Gorce, la dimension politique et diplomatique est une partie intégrante de notre approche.
Madame Demessine, je puis vous assurer qu’à Vienne la France est force de proposition.
Les principaux acteurs internationaux du conflit syrien, réunis à Vienne le samedi 21 novembre, ont adopté un communiqué préconisant des négociations intersyriennes, un cessez-le-feu généralisé et un calendrier de transition, sans mentionner le nom de Bachar al-Assad.
L’Arabie saoudite, pour sa part, accueillera, dès décembre, une réunion rassemblant des représentants des groupes armés syriens et des opposants politiques au régime de Damas, afin de bâtir une plateforme commune de l’opposition en vue de futurs pourparlers de paix. Cet événement a reçu le soutien de l’émissaire de l’ONU en Syrie. La réunion de Riyad doit permettre à l’opposition d’arriver plus unie aux prochains pourparlers sur un règlement du conflit.
L’objectif pourrait être l’engagement d’un processus politique début janvier et l’ouverture d’une période de négociation de six mois environ. Il faudrait alors définir les contours de la future transition et les modalités d’un cessez-le-feu entre forces participant à ce dialogue.
Dans cette démarche, nous devons, bien sûr, rester vigilants, avec ici deux impératifs.
Premier impératif, nous assurer que tous nos partenaires partagent les mêmes objectifs politiques. La Russie a bougé ces derniers jours, mais nous devrons nous assurer que ce mouvement devient vraiment à la fois significatif et durable.
Second impératif, mettre en œuvre ensemble une stratégie d’action commune. Celle-ci doit conduire à la destruction de Daech par des actions coordonnées. On a posé la question de l’action au sol. Nous n’y sommes pas favorables. C’est aux forces locales de reprendre le terrain sur lequel Daech a mis la main.
Il faut que des forces locales réalisent cette opération, avec notre aide, nos appuis, notre contribution à la formation, notre assistance militaire. C’est ce qui s’est passé en Irak ces dernières semaines, à Sinjar ou à Baïji. C’est ce qui s’est passé à Kobané. Cela doit s’étendre en Syrie. Et, pour cela, nous intensifions notre coopération avec tous nos alliés.
Vous avez raison, monsieur Raffarin, cette stratégie de lutte contre Daech en Syrie s’appuie sur une politique de défense que le Président de la République vient encore de renforcer, en garantissant à nos armées des moyens à la hauteur des défis qu’elles doivent relever.
Nous n’avons pas l’intention de réduire les moyens de Barkhane.
En effet, comme vous le savez pour y avoir apporté toute votre contribution, mesdames, messieurs les sénateurs, l’actualisation de la loi de programmation militaire, en juillet dernier, a marqué une inflexion majeure, à la hausse, en cours de programmation.
Le Président de la République a récemment annoncé, devant le Congrès, un nouvel effort au profit de la défense, marqué par l’arrêt des déflations d’effectifs qui étaient encore prévues. Cela revient à annuler de l’ordre de 10 000 suppressions de postes, avec les ressources et les moyens de fonctionnement correspondants.