Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, gardienne des libertés individuelles et de l’État de droit, la justice est l’attribut démocratique par excellence. Les événements dramatiques survenus le 13 novembre dernier nous rappellent cette nécessité : Thémis doit l’emporter sur Némésis, la justice sur la vengeance, le droit sur la barbarie.
Les crédits de la mission « Justice » ont fait l’objet d’un accroissement constant sous le présent quinquennat ; c’est encore plus nécessaire aujourd’hui. Cela se traduit cette année par une augmentation de 1, 5 % des crédits de la présente mission par rapport à 2015 et de 8 % sur les quatre dernières années. Dans un contexte de restriction budgétaire, nous saluons cet effort notable, largement justifié, en faveur de ce service public régalien.
Les crédits programmés doivent permettre de financer les réformes mises en place sous le présent quinquennat, que le groupe du RDSE a largement approuvées, qu’il s’agisse de la mise en place de la contrainte pénale, du service d’accueil unique du justiciable, de la dématérialisation et de la simplification progressive des procédures ou de la réforme de l’aide juridictionnelle engagée à l’issue d’un dialogue constructif avec les ordres des avocats. Au cœur de ces réformes se trouvent des principes auxquels nous sommes très attachés, qui vont du renforcement de l’accès à la justice à l’efficacité des peines et à leur individualisation.
Comme l’a annoncé le Gouvernement – et nous l’approuvons ! –, la priorité doit aujourd’hui consister à donner à la justice les moyens de mieux lutter contre la criminalité à grande échelle, notamment contre le terrorisme. Les attentats qui ont frappé notre pays en moins d’une année font de la question sécuritaire la principale préoccupation des Français, et c’est bien normal !
Les services de renseignement doivent collaborer avec les forces de l’ordre et travailler avec la justice, afin de lui permettre d’exercer pleinement sa compétence en matière judiciaire, notamment par le renforcement des capacités d’enquête, la prévention de la radicalisation et l’efficacité du renseignement pénitentiaire. Une collaboration active de tous les services ne pourra qu’être positive dans la lutte contre les infractions, la condamnation des personnes qui seront passées à l’acte et, enfin, le suivi de la réinsertion.
Nos établissements pénitentiaires sont aujourd’hui des lieux de radicalisation pour des jeunes désocialisés et en perte de repères, des proies faciles pour des « guides spirituels » autoproclamés. Après les attentats de janvier dernier, des mesures ont été prises pour contrer ce processus. L’expérience qui est menée à Fresnes depuis un an pour regrouper et isoler les détenus identifiés comme islamistes radicaux a été déclinée dans les maisons d’arrêt franciliennes de Fleury-Mérogis et d’Osny. Toutefois, ces procédures ne concernent que les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme dès lors qu’ils présentent des signes de radicalisation, alors que ce phénomène est bien plus complexe. Aussi, il semble que ces expériences méritent d’être plus rigoureusement encadrées. Est-il normal que des prisonniers islamistes parviennent à se procurer des téléphones portables sans grande difficulté, restant ainsi en contact avec leurs relations, y compris en Syrie ? Il semblerait même qu’ils puissent disposer, en toute impunité, de publications contenant une propagande incitant à la haine et à la violence.
Ainsi, même si nous avons salué les efforts budgétaires consentis en faveur de cette mission, il n’en demeure pas moins qu’il faut accorder encore plus de moyens à la justice, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle, notamment en matière de prévention de la récidive.
Par ailleurs, la politique pénale laisse trop souvent de côté la question de l’exécution des peines. Celles-ci sont souvent inappliquées, inutilisées par le juge ou exécutées de manière tellement tardive qu’elles perdent alors tout leur sens. Pour ne pas me focaliser sur les attentats récents, je vais vous parler de mon expérience sur mon territoire de Saint-Martin, où les peines ne sont pas exécutées, et ce pour diverses raisons : surpopulation carcérale, délais de jugement anormalement longs. Il arrive même que des prévenus accompagnés des forces de l’ordre rentrent à Saint-Martin par le même vol retour, et ce malgré les procédures de comparution immédiate récemment instaurées. Même si nous saluons les efforts réalisés en matière de comparution immédiate, tout cela est stupéfiant !
En outre, le suivi des personnes placées sous le contrôle du juge de l’application des peines ou assuré par les services pénitentiaires d’insertion et de probation doit également être renforcé.
De surcroît, il nous semble très important que les peines d’intérêt général, créées depuis trente ans, soient davantage utilisées comme un outil de réinsertion des personnes condamnées à de petites peines ; nous déplorons qu’elles ne représentent que 4 % de l’ensemble des peines prononcées chaque année.
Il serait aussi intéressant de reconsidérer la question de la mise en place de centres éducatifs fermés. Je l’ai déjà précisé l’an dernier, dans le cadre de cette même discussion budgétaire, ce serait, pour Saint-Martin, me semble-t-il, une solution adaptée. Espérons que ma requête soit cette fois-ci mieux entendue…
Enfin, sans m’ériger en défenseur de magistrats ou d’anciens magistrats de l’antiterrorisme, ni même en défenseur de la pérennisation de cette fonction, il me semble que la question de l’inamovibilité de ces magistrats au terme d’une période de dix ans peut légitimement être abordée.
Oui, madame la garde des sceaux, la mission de la justice est incommensurable, et les moyens humains, financiers et matériels mis en œuvre se doivent d’être à la hauteur des enjeux ! Parce que c’est une mission régalienne de l’État, et eu égard à la triste période que nous vivons, les sénateurs du RDSE se prononceront sans hésitation en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Justice » ; ils souhaitent que l’ensemble des sénateurs votent en ce sens.