Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 26 novembre 2015 à 21h30
Loi de finances pour 2016 — Justice

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après trois années de hausses successives, le budget de la justice pour 2016 augmente de 1, 3 %. De manière générale, c’est principalement le plan de lutte antiterroriste qui permet au ministère de la justice de sauvegarder, globalement, ses moyens. D’ailleurs, le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens, que nous voterons, je le dis d’emblée, mais nous y reviendrons ultérieurement.

Outre le renforcement des moyens attribués en matière de politique antiterroriste, que nous ne pouvons qu’approuver, nous nous demandons si les crédits alloués à cette mission en 2016 suffiront à permettre aux services de la justice de fonctionner convenablement pour ce qui concerne le traitement des « affaires courantes ». Pourtant, il est aujourd'hui indispensable d’améliorer le service public de la justice, en réduisant en particulier les délais de traitement dans les juridictions, qui sont quasiment tous en augmentation. En effet, dans un contexte de demandes accrues des justiciables, la médiocrité des moyens de fonctionnement et leur raréfaction ont un impact certain sur les délais de traitement des procédures par les juridictions. Il est donc nécessaire de donner à ces juridictions, notamment aux juridictions judiciaires, les moyens d’accomplir leur mission.

À cet égard, nous regrettons que le premier budget de la justice soit consacré, pour la quatrième année consécutive, à l’administration pénitentiaire. La justice est régulièrement présentée comme une priorité – nous abondons dans ce sens –, mais c’est en réalité l’administration pénitentiaire qui bénéficie en premier lieu de moyens supplémentaires. Reste que la légère hausse de 1 % de son budget est essentiellement due à la poursuite des ouvertures d’établissements, aux autorisations d’engagement de crédits, à la mise en œuvre de la politique pénale et au plan de lutte contre la radicalisation. Si 752 emplois seront créés en 2016 dans l’administration pénitentiaire, cela ne permettra pas de combler l’ensemble des besoins. Le manque de surveillants reste flagrant, et les conditions de travail s’aggravent d’année en année : manque de personnels, surplus d’heures supplémentaires, rythmes de travail harassants, pression hiérarchique. Les personnels pénitentiaires manifestaient d’ailleurs leur mécontentement le mois dernier.

S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, son budget augmente de 2, 3 % par rapport à 2015, comme cela a été souligné. Cette augmentation est en grande partie absorbée par les formations contre la radicalisation et l’ouverture d’un nouveau centre éducatif fermé associatif à Marseille. Ce sont soixante emplois qui seront créés pour ce service, dont six pour le plan anti-radicalisation.

Au regard de la situation désastreuse dans laquelle se trouve la protection judiciaire de la jeunesse, les cinquante-quatre emplois restants, qui sont « destinés au renforcement des CEF, du milieu ouvert et de la continuité des parcours des mineurs pris en charge », ne suffiront pas à répondre aux besoins, d’autant que l’on ignore encore à ce jour la répartition de ces postes entre les centres éducatifs fermés et les autres structures. Depuis plusieurs années, rappelons-le, les atteintes aux droits fondamentaux, la faiblesse de l’encadrement, le manque de projets éducatifs dans les centres éducatifs fermés sont pointés du doigt, en particulier par le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Alors que de nouveaux dysfonctionnements ont été signalés à la rentrée, il est grand temps, nous semble-t-il, de faire le bilan du fonctionnement et de l’efficacité des centres éducatifs fermés. Quant aux mesures à venir, notamment en ce qui concerne la réforme de l’ordonnance de 1945 et la suppression des tribunaux pour mineurs, nous nous réjouissons, comme nous l’avons fait l’an dernier, de l’annonce du dépôt d’un projet de loi en 2016, même si le calendrier, nous le savons toutes et tous, incite à la prudence.

Concernant les services judiciaires, là encore le nombre de créations de postes apparaît largement insuffisant. Les 157 créations nettes d’emploi ne permettront pas de soutenir les réformes majeures : mise en œuvre de la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, réformes dans le cadre de la justice du XXIe siècle, poursuite de la mise en place de la loi relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation et mise en place de la loi renforçant le secret des sources des journalistes.

Enfin, en matière d’accès au droit, seul un effort financier important et suivi pourrait être de nature à améliorer la situation en matière d’aide juridictionnelle, pourtant seule à même d’assurer une assistance aux justiciables les plus démunis. Or force est de constater que la solution visant à assurer un financement pérenne de l’aide juridictionnelle n’est pas encore trouvée, malgré le protocole d’accord entre le ministère de la justice et les avocats, qui a abouti au retrait de l’essentiel des propositions introduites dans l’article 15 dans sa rédaction initiale.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer au cours de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, les quelques efforts accomplis pour améliorer l’accueil des justiciables dans les palais de justice et les modifications à la marge apportées aux dispositifs d’accès au droit par le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, que nous avons examiné au début de ce mois, ne suffiront pas à masquer cette politique budgétaire. Je réaffirme ce soir qu’il revient à l’État de prendre en charge le financement du système de solidarité nationale grâce auquel toute personne, quels que soient ses moyens, peut accéder au droit et à la justice.

En définitive, si le budget de la justice pour 2016 reste un budget prioritaire, les moyens contraints qui lui seront alloués, la question du financement de l’aide juridictionnelle et la précarité de nombreux agents du service public de la justice conduisent les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, non pas à rejeter les crédits de la mission « Justice », mais à opter pour ce que j’appellerai une abstention d’appel…

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