Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en cette période d’épreuve que vit notre nation, nous examinons les crédits de la mission « Justice ». Ce beau nom de « justice » nous renvoie aux principes et aux valeurs de notre République, sauvagement attaquée ces jours-ci. Dans le marbre de notre Constitution est inscrit le principe de la dignité de la personne humaine ; plus que jamais, ce principe doit guider notre action.
Nous avons une justice républicaine : elle protège la dignité et les droits des personnes, garantit les droits de la défense et le droit au procès équitable et doit appliquer des peines justes ; elle n’admet pas la torture, ni les traitements dégradants pour la personne humaine ; elle est au service des victimes et des plus faibles et doit traiter tous les justiciables de manière égale. Tout le contraire de la barbarie que manifestent les assaillants de ces derniers jours !
Je tiens à rendre hommage à notre justice républicaine, aux magistrats et à nos forces de gendarmerie et de police, qui tous ont si bien œuvré ces derniers jours, comme ils le font au quotidien. Madame la garde des sceaux, soyez sûre de notre détermination à leur fournir tous les moyens juridiques et politiques nécessaires à leur action.
Le budget de la justice évolue constamment au gré des événements et des annonces successives, ce qui rend difficile l’appréhension des efforts budgétaires. L’équilibre de la mission « Justice » va être modifié à la suite des mesures que le Président de la République a annoncées devant le Congrès. En 2016, le ministère de la justice devrait disposer de 7, 9 milliards d’euros de crédits de paiement et de plus de 8 milliards d’euros d’autorisations d’engagement. Les crédits de paiement de cette mission, hors dépenses de personnel, diminueront entre 2015 et 2016 de 47, 7 millions d’euros, soit de 1, 6 %. Les économies hors titre 2 ne suffisent pas à respecter la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques, l’écart étant de 58 millions d’euros.
Madame la garde des sceaux, votre budget prévoit le recrutement de magistrats et fonctionnaires supplémentaires. Or les rapporteurs soulignent un écart entre l’annonce de la création de nouveaux postes et les nominations effectives. Ainsi, en 2014, alors que le plafond d’emplois s’élevait à 77 951 ETPT, plus de 1 400 d’entre eux, soit 1, 8 %, n’ont pas été réellement pourvus. Il faudra veiller à ce que ces postes soient effectivement pourvus, surtout dans le cadre des mesures prises contre le terrorisme.
Le décret d’avance notifié à la commission des finances le 18 novembre dernier, qui prévoit 18 % d’annulations de crédits, soit 70 millions d’euros mis en réserve l’année dernière pour le budget de la justice, complique encore la compréhension de la cohérence de ce budget, des annonces du Président de la République et de la réalité des chiffres.
Après les attentats de cette année, il est nécessaire de renforcer le pool des magistrats antiterroristes de Paris et de mettre à leur disposition des moyens technologiques modernes. Une soixantaine d’entre eux se consacrent directement à la lutte antiterroriste : trente-sept magistrats au tribunal de grande instance de Paris, vingt-cinq magistrats du siège à la cour d’appel de Paris et plusieurs magistrats du parquet général. Pour réagir efficacement contre la pieuvre terroriste, il est indispensable de mobiliser des moyens supplémentaires. Nous attendons donc la concrétisation budgétaire des annonces du Président de la République : 2 500 postes nouveaux dans l’administration pénitentiaire et les services judiciaires.
De nouvelles modalités de prise en charge des personnes radicalisées sont prévues. Je pense en particulier à la création de cinq unités spécialisées, qu’il faut structurer ; les détenus y suivront des programmes de déradicalisation encadrés par des binômes d’éducateurs-psychologues. La création de trente nouveaux postes d’aumôniers dans les prisons permettra de lutter contre l’extrémisme sur le plan spirituel, auquel les jeunes délinquants sont particulièrement sensibles.
La déradicalisation passe aussi par l’amélioration de la prise en charge des personnes écrouées : les cellules et les espaces communs doivent être rénovés, et l’accent mis sur la hausse des activités en détention et le développement de programmes de réinsertion et de prévention de la récidive. Madame la garde des sceaux, qu’en est-il de la réflexion engagée sur le regroupement des détenus et des condamnés radicalisés ? Pouvez-vous nous préciser vos objectifs actuels et les mesures prises à la suite de cette réflexion ? Sur ces questions, nous formulons depuis de nombreuses années des préconisations restées jusqu’ici sans écho gouvernemental.
Après les récents attentats, l’aide aux victimes du terrorisme s’impose comme une priorité nationale. Il faut organiser la coordination des services compétents en France comme à l’étranger et, surtout en ce moment, informer les victimes sur les modalités de leur indemnisation immédiate et future et de la prise en charge sanitaire des blessés et des personnes en état de stress psychologique. La commission d’indemnisation des victimes d’infraction intervient déjà très concrètement ; elle aura certainement besoin de crédits et de personnels supplémentaires. Qu’avez-vous prévu dans ce domaine, notamment pour appliquer la circulaire du 12 novembre ?
La situation des jeunes délinquants occupe une place importante dans le budget de la mission « Justice ». Malgré le manque de moyens que dénoncent différents acteurs, le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » bénéficie de crédits stables.
M. le rapporteur spécial indique qu’il est difficile de recruter des personnels dans ce secteur et évoque un certain turn-over. Or la présence de personnels sur le terrain est indispensable pour suivre nombre de jeunes à la dérive et pour les accompagner vers une vie plus responsable.
Comment évoluera ce programme après l’examen du projet de loi sur la justice des mineurs qui nous a été annoncé ? Ce texte nécessitera sans doute de nouveaux crédits et moyens en personnel. Pourriez-vous nous parler de vos perspectives dans ce domaine ?
Le budget de l’aide juridictionnelle augmentera de 25 millions d’euros en 2016 et de 50 millions d’euros en 2017. Cela doit permettre aux personnes les plus pauvres et les plus délaissées de bénéficier de l’aide et à leurs avocats de bénéficier d’une juste indemnisation pour leurs interventions. Pourtant, les mesures initiales du présent projet de loi de finances ne remplissaient pas ce second objectif. Ce n’est qu’après une intense mobilisation des avocats que vous avez dû signer un protocole d’accord le 28 octobre dernier, qui s’est concrétisé par l’adoption en première partie des amendements nécessaires à sa réalisation.
Enfin, j’évoquerai le projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle, que le Sénat a voté après l’avoir utilement complété et amendé. Vous nous avez assuré que le financement en serait garanti. Cela sera-t-il bien le cas, compte tenu des modifications apportées au projet de loi de finances et des nouvelles mesures annoncées en matière de terrorisme ?
Une autre question mobilise les élus : le transfert de l’enregistrement des pactes civils de solidarité aux officiers d’état civil. Cette mesure devait alléger la charge des tribunaux d’instance pour un gain évalué à 79 équivalents temps plein et une économie estimée à 2, 5 millions d’euros. Le Sénat a rejeté cette disposition parce qu’aucune compensation financière de l’État n’était prévue. Rien n’empêcherait pourtant l’État de verser cette somme. Quelles sont donc vos intentions à ce sujet ?
Telles sont les quelques observations que je souhaitais formuler au nom de mon groupe sur ce budget en constante évolution. Sous les réserves de principe que je viens d’énoncer, nous suivrons la position de la commission des finances.