Toutefois, c’est surtout la question du manque de moyens humains qui perdure. Comme depuis de nombreuses années, le nombre des vacances de postes s’est accru cette année, en dépit des créations d’emplois qui ont été décidées. Le décalage qui persiste entre les prévisions du Gouvernement en loi de finances et la réalité telle que nous l’observons à l’issue de l’exercice budgétaire nous interpelle.
Plus largement, ce décalage systématique entre le montant des crédits ouverts et celui des crédits effectivement dépensés affecte la sincérité de la programmation budgétaire. Cette remarque vaut probablement pour d’autres missions que la mission « Justice », mais elle pose, malgré tout, une vraie question de principe dans un domaine particulièrement sensible.
Enfin, le nombre de magistrats qui exercent réellement au sein des juridictions reste insuffisant. Ce constat est d’autant plus vrai que l’on observe, comme le fait notre collègue Yves Détraigne dans son rapport, une « mauvaise prise en compte, par le budget, des réformes en cours ».
Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France – la commission mixte paritaire de mardi dernier n’est d’ailleurs pas parvenue à un accord – nous en offre un parfait exemple. Ainsi, les juges des libertés et de la détention seront bientôt compétents pour se prononcer sur la légalité du placement en rétention administrative des étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Or ce sont plus de 25 000 placements de majeurs en rétention qui sont prononcés chaque année ; il est bien évident que cette charge contentieuse nouvelle et très lourde aura des incidences importantes sur l’activité de ces magistrats.
J’aimerais également revenir quelques instants sur les annonces gouvernementales en matière de lutte antiterroriste.
En janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, le Gouvernement avait annoncé la création de 950 emplois supplémentaires au sein du ministère de la justice au cours des trois prochaines années. Aujourd’hui, madame la garde des sceaux, vous nous présentez un amendement qui prévoit la création de 1 175 postes pour les services judiciaires, 1 100 postes pour l’administration pénitentiaire, 75 postes pour la protection judiciaire de la jeunesse et enfin 150 postes pour renforcer les moyens informatiques des interceptions judiciaires et la consolidation des applications pénales. On ne peut que soutenir cette mobilisation exceptionnelle. Gardons malgré tout à l’esprit que la création d’un poste ne signifie pas, tant s’en faut, un magistrat ou un greffier en plus dans une juridiction. En effet, la formation d’un magistrat à l’École nationale de la magistrature obéit à ses propres impératifs et dure trente et un mois.
Le volet pénitentiaire du plan de lutte antiterroriste du ministère de la justice est également très important : il doit renforcer les capacités de renseignement de l’administration pénitentiaire, créer des modules spécifiques de prise en charge et de prévention des phénomènes de radicalisation en prison et contribuer à former les agents. En tant que sénateur du Lot-et-Garonne, département dans lequel se trouve l’ENAP, l’École nationale de l’administration pénitentiaire – qui se situe plus précisément à Agen –, je peux témoigner ici de la motivation des équipes d’encadrement et de formation de cette école. Elles seront prêtes à accueillir ces futurs nouveaux agents.
La prévention de la radicalisation constituant un point central dans la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons donc qu’approuver ces mesures et soutiendrons l’amendement du Gouvernement.
Enfin, je veux évoquer le problème de l’aide juridictionnelle et déplorer les multiples hésitations et renoncements que nous avons observés depuis près de deux ans sur cette question, qui témoignent d’une véritable improvisation.
En janvier 2014, le Gouvernement a supprimé la contribution pour l’aide juridique. Or, depuis lors, il n’a cessé d’augmenter les taxes avec la revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, puis avec la hausse du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel. Il aura fallu un mouvement de grève sans précédent des avocats pour que le Gouvernement renonce à financer l’augmentation de l’aide juridictionnelle par un prélèvement sur les CARPA, les caisses des règlements pécuniaires des avocats, dispositif que l’Assemblée nationale avait pourtant voté une semaine auparavant.
L’amendement du Gouvernement à l’article 15 du présent projet de loi de finances, qui a été adopté par le Sénat lundi dernier, prend acte du protocole d’accord signé entre la Chancellerie et les représentants de la profession d’avocat le 28 octobre 2015. D’une part, il fixe l’unité de valeur de référence à 26, 50 euros au lieu de 22, 50 euros actuellement et élargit la rétribution de l’avocat lors d’auditions libres ou de mesures de retenues et de rétention. D’autre part, il supprime le prélèvement sur les produits financiers des fonds qui transitent par les CARPA.
Compte tenu de ce retournement in extremis mais salutaire du Gouvernement, les protestations des avocats se sont calmées. Néanmoins, la question du financement pérenne de l’aide juridictionnelle reste posée. D’autant plus que vous avez souhaité, madame la garde des sceaux, accroître le nombre de bénéficiaires de cette aide en relevant à hauteur de 1 000 euros le plafond des ressources pour y prétendre, ce qui permettra à près de 100 000 nouveaux justiciables d’être éligibles à ce dispositif. Le chantier du financement de l’aide juridictionnelle reste donc ouvert.
Pour conclure, tout en réaffirmant les réserves que je viens de formuler, j’indique que le groupe UDI-UC soutiendra l’adoption des crédits de la mission « Justice », afin de marquer son adhésion aux mesures importantes présentées par le Gouvernement en matière de lutte antiterroriste.