Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre discussion intervient alors que notre pays est en état d’urgence, après les terribles attentats qui l’ont à nouveau endeuillé. Je m’associe à l’hommage national rendu ce matin aux victimes.
Dans ce contexte, l’urgence est aussi de lutter contre l’ignorance, contre tout rétrécissement de la pensée, par l’éducation et la culture. Les moyens accordés à l’enseignement supérieur et la recherche y participent pleinement.
En septembre dernier, la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur a été remise au Président de la République. Elle porte, à juste titre, une grande ambition pour l’enseignement supérieur et la recherche de notre pays.
Or, à la lecture des documents budgétaires, je constate une véritable déconnexion entre le niveau d’ambition affiché et la faiblesse des moyens mobilisés.
Concernant les crédits alloués aux universités pour « assurer la réussite de tous les étudiants », un « effort » de 100 millions d’euros, qualifié d’« exceptionnel », est consenti sur les crédits du programme 150, alors que l’on comptait 45 000 étudiants supplémentaires à la rentrée 2015.
Si l’on fait le ratio entre cette somme et le nombre de nouveaux étudiants, on arrive à une enveloppe annuelle, pour chaque étudiant, de 2 000 euros, alors que les universités consacrent annuellement par étudiant 8 300 euros en moyenne.
Une telle inégalité creusera les disparités déjà existantes entre filières et d’une université à l’autre, avec des budgets par étudiant variant de 6 000 à 13 000 euros. À titre d’exemple, dans les écoles d’ingénieurs publiques, le budget moyen par étudiant est de 16 300 euros.
Comment, dans ces conditions, assurer la réussite de tous ? Comment amener, d’ici à 2025, 60 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement du supérieur – l’un des objectifs de la STRANES -, alors que le taux de réussite en L1 a encore baissé cette année ?
On nous parle de « sanctuarisation des moyens », mais il est clair que l’augmentation de la démographie étudiante est sous-budgétisée et que les 1 000 postes budgétés feront de nouveau l’objet d’un gel dans les universités, pour affronter le quotidien.
On rogne sur la vie étudiante, et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, auront du mal à faire face au nouvel effort demandé, notamment dans le domaine du logement.
Ce budget ne permet même pas, de mon point de vue, de maintenir la situation en l’état, et le risque de paupérisation est bien réel. L’objectif fixé dans la STRANES de consacrer 2 % du PIB à l’enseignement supérieur, soit 40 milliards d’euros par an, paraît bien lointain.
Je m’inquiète aussi du coût des fusions, non budgété, alors même que les budgets des contrats de plan État-régions ont baissé de 48 % et que se dessine un nouveau paysage, avec treize grandes régions.
Monsieur le secrétaire d’État, vous invitez à repenser le « modèle économique de notre enseignement supérieur » et appelez au développement des ressources propres.
Certaines des solutions avancées – l’organisation de summer schools ou le développement de la formation continue – ne sauraient combler les besoins de financement des universités, sans compter que ces activités supplémentaires auront elles-mêmes un coût, en termes de fonctionnement.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, et M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la commission des finances, suggèrent une hausse des frais d’inscription. Je n’approuve pas cette recommandation. La hausse des frais d’inscription serait au contraire le pire des messages à envoyer.
Nous le voyons bien : l’exercice que représente la réduction des dépenses publiques est inextricable. De ce point de vue, l’invocation incessante de la notion de « réalisme» confine au dogmatisme.
Je soutiens, a contrario, l’une des propositions formulées par la STRANES, à savoir engager l’Europe à reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à son avenir. Concrètement, il s’agirait de porter, au niveau européen, une autre vision de la dépense publique, en excluant l’enseignement supérieur des normes de la Commission européenne pour le calcul des déficits publics.
Il y a urgence.
Quant à la recherche, les plafonds d’emplois des EPST, les établissements publics à caractère scientifique et technologique, ne traduisent plus la réalité. Pour reprendre la formule d’un enseignant-chercheur, on « sanctuarise du virtuel ».
Contrairement aux engagements pris, tous les départs en retraite ne sont pas remplacés – c’est le cas, par exemple, à l’INRA -, et les postes libérés pour d’autres motifs de départ ne le sont souvent pas plus. On oublie ainsi que, s’il faut deux ans pour fermer un laboratoire de recherche, il en faut dix pour en ouvrir un !
Dans le même temps, la précarité reste massive dans les laboratoires et dans les services, où l’on compte plus de 70 000 précaires.
Cette situation engendre un profond désarroi et alimente un sentiment d’apathie au sein des équipes de recherche.
Il faut faire davantage sur le terrain pour résorber la précarité, et donc ouvrir davantage de postes de titulaires.
Prenons le cas des jeunes docteurs. Il existe, là encore, un décalage entre le budget et l’objectif annoncé dans le rapport de la STRANES, qui consiste à porter à 20 000 par an le nombre de doctorats délivrés.
La France forme aujourd’hui, chaque année, environ 12 000 docteurs. Mais, avec un taux de chômage de 8 % déjà, qu’en sera-t-il demain, sans nouvelles dispositions ?
La STRANES préconise de conditionner l’octroi du CIR à l’embauche de nouveaux docteurs et de créer des voies d’accès réservées aux concours de la fonction publique.
Le budget ne comporte aucune proposition en ce sens, alors même que la dépense publique mobilisée au travers du crédit d’impôt recherche connaît une nouvelle progression de 240 millions d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, ce dispositif fiscal doit être, a minima, sécurisé. J’ai tenté par voie d’amendement, lundi dernier, de mettre fin à une première anomalie : la possibilité pour les entreprises de cumuler, sur une même base éligible, grâce à un chevauchement des deux assiettes, les bénéfices du CIR et du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Vous l’aurez compris, les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels sont confrontés l’enseignement supérieur et la recherche. Ils ne permettront de répondre ni au défi de la démocratisation ni à celui du changement de notre modèle de développement, nécessaire pour éradiquer les inégalités et garantir la préservation de notre planète.
Ces crédits ne recueilleront donc pas l’assentiment de notre groupe.