Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre séance s’est ouverte au moment où débutait l’hommage national rendu aux victimes des actes terroristes du 13 novembre dernier.
L’enseignement supérieur a été profondément touché par ces attentats, puisque onze étudiants ont perdu la vie, dont quatre étrangers, et six enseignants-chercheurs, ce qui porte à dix-sept le nombre des victimes que l’enseignement supérieur et de la recherche doit déplorer, soit le chiffre le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale.
Je me suis demandé si j’aurais l’esprit à défendre ce matin devant vous ce budget. Finalement, je me suis dit que c’était une heureuse coïncidence : il est utile, au moment où nous rendons à ces victimes l’hommage national qu’elles méritent, que nous réfléchissions ensemble à cette forme d’hommage particulier qu’est le soutien budgétaire apporté à notre système universitaire et à notre recherche nationale, en qui nous avons tous foi ici, quelles que soient nos convictions par ailleurs. La vitalité durable de notre université et de notre recherche constitue, sur un autre terrain, une forme de réponse aux attentats.
L’université, c’est le plus beau des projets démocratiques de notre pays, celui qui s’adresse à tous, qui permet à chacun de s’élever au-dessus de sa condition sociale initiale pour postuler aux plus belles fonctions de la société. C’est, en termes de valeurs, le développement de l’esprit critique. C’est l’endroit où l’on apprend à ne pas considérer tout ce qui est affirmé comme une vérité que l’on doit accepter sans questionner. C’est le lieu où l’on interroge sans arrêt la réalité. C’est aussi celui où l’on apprend le travail en équipe.
Chaque parcours étudiant est fait bien souvent de rencontres, avec des professeurs ou avec d’autres étudiants, et de destins qui se révèlent à eux-mêmes. C’est le moment de l’ouverture, celui où l’on découvre d’autres cultures, et parfois d’autres pays, aussi.
Ce sont toutes ces valeurs que certains ont voulu tuer il y a quelques jours.
Le système universitaire doit aussi et surtout redevenir un intellectuel collectif. Les hommes et les femmes qui font l’université sont des gens qui parlent à la société, qui étanchent sa soif de sens, seule façon in fine de vaincre les peurs. Car si l’on a peur quand on se sent en insécurité, on a peur aussi quand la réalité que l’on vit se dérobe sous nos pieds.
Idem pour la recherche, dont nous avons plus que jamais besoin afin de comprendre le sens de ces événements, pour identifier les poches de violence latente dans notre société, pour essayer de concevoir comment, finalement, un jeune peut, très brutalement, basculer dans les formes les plus extrêmes d’engagement qui l’amèneront à tuer d’autres jeunes, sans même parfois avoir suivi un parcours religieux, lui qui va tuer au nom d’une religion !
C’est aussi la recherche qui peut nous apprendre comment ce formidable outil qu’est internet peut également être vecteur de fascination pour le morbide et se transformer en véritable instrument de manipulation mentale.
Ce matin, dans vos interventions, vous avez tous et toutes, malgré des positions parfois différentes, fait cet acte de foi, véritable hommage que nous devons aux victimes des attentats. Je voulais très chaleureusement vous en remercier.
Vous n’avez pas à avoir honte de vous prononcer sur ce budget, car les crédits de cette mission progressent. Ils marquent même une inflexion dans l’histoire du quinquennat puisque, tous secteurs confondus, les crédits de la MIRES progressent de 400 millions d’euros du PLF 2015 au PLF 2016, ce qui est très significatif dans la période que nous connaissons. À l’intérieur de ces budgets, la recherche est protégée et l’enseignement supérieur voit ses crédits progresser de 165 millions d’euros, ce qui est également significatif.
Avant de répondre précisément à chacune de vos questions, permettez-moi deux remarques liminaires.
Premièrement, il ressort manifestement de vos interventions que le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche est en très profonde évolution. Ce n’est pas un phénomène à la marge, uniquement sur une année, mais c’est une très profonde évolution démographique et organisationnelle, avec la mise en place de cet outil formidable que sont les vingt-cinq COMUE, qui désormais structurent nos paysages. Indépendamment de leur capacité à définir des stratégies, à mener des politiques mutualisées et donc à réaliser des économies, ces communautés présentent surtout l’intérêt de faire travailler des universités et des écoles aux cultures différentes, de les rapprocher et donc d’hybrider qualitativement le système.
La toile de fond de tout cela, nous le verrons dans les mois qui viennent, c’est la réforme territoriale. Si elle se joue sur un terrain institutionnel différent de celui de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle ouvrira naturellement des voies nouvelles en matière de coopération entre acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche et acteurs territoriaux.
Deuxièmement, j’aperçois à travers ces évolutions très profondes de nouveaux défis : chacun doit avoir la modestie de reconnaître que nul ne détient seul la réponse. Nous devrons probablement, sur certains terrains, les trouver ensemble.
Il nous faudra relever le défi de la qualité – ce que j’appelle la démocratisation exigeante du système –, de la réussite en premier cycle universitaire, et réfléchir aux conditions pour réussir l’entrée dans l’enseignement supérieur. Nous devons davantage nous pencher sur l’orientation et le contenu même des études ainsi que sur les parcours collectifs au cours du premier cycle universitaire.
Bien souvent, en effet, les étudiants se trouvent seuls, livrés à eux-mêmes, ne sachant vers qui se tourner ou à qui s’adresser, dans un univers qu’il leur est complètement dédié, mais qui reste d’une approche encore complexe.
Il nous faudra également relever le défi social, qui accompagne la démocratisation. Je pense aux bourses, aux logements, à l’accès aux soins, à la lutte contre certaines souffrances comme la solitude, qui existe aussi sur les campus, et contre tous les maux issus d’un modèle économique déstabilisé, notamment par la puissance de la montée démographique.
Je pense aussi aux besoins d’investissement pour adapter les campus au numérique, sans parler des questions de rénovation et de réhabilitation pour un immobilier de qualité. Tout cela constitue pour nous tous un challenge.
Pour ce qui concerne l’emploi scientifique, vous avez tous à l’esprit le fameux paradoxe français : alors que 60 % de la recherche se fait dans les entreprises et 40 % dans le secteur public, plus de la moitié des chercheurs formés dans nos universités travaillent dans le public et 25 % seulement en entreprise.
Cette problématique de l’emploi scientifique, qui dépasse donc celle de la démographie des chercheurs, réside dans le désajustement entre une recherche majoritairement privée et des emplois majoritairement publics.
Nous devons également faire face à un défi transversal, que nous n’avons pas le temps d’évoquer aujourd’hui, mais que nous aborderons de nouveau dans les prochains mois : celui du numérique.
Je répondrai brièvement, mais le plus précisément possible, aux questions que vous avez posées.
M. Adnot, que je remercie pour la grande précision de son intervention, m’a demandé ce qu’étaient devenus les 1 000 emplois. Il s’agit en fait de 3 000 emplois au total, sur les trois années 2013, 2014 et 2015.
Ces 3 000 emplois se décomposent ainsi : 2 450 emplois pour les universités, 127 pour les écoles d’ingénieurs, 37 pour les instituts universitaires professionnalisés, et 230 pour une dizaine d’établissements spécifiques : les écoles supérieures d’agriculture, le centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, le Muséum national d’histoire naturelle, etc.
L’essentiel de ces emplois, soit 2 048, ont été affectés aux universités et aux établissements, au titre du rééquilibrage des dotations entre établissements, plutôt dans l’optique de favoriser la réussite des établissements. Sur la période, le taux de création effectif de ces emplois est supérieur à 89 %.
Les emplois réellement créés sur l’année 2015 représentent 93 % du total, 7 % ayant été différés. Pour la période 2013 à 2014, ils représentaient 88 % du total, soit 12 % de différés, ce qui est un chiffre assez important.
M. Adnot m’a interrogé, par ailleurs, sur l’évolution de la taxe d’apprentissage et le choc considérable que celle-ci représente pour les établissements.
Je suis actuellement en train d’examiner, établissement par établissement, les raisons profondes de cette évolution pour envisager les éventuels points d’inflexion d’une situation qui est très problématique pour certains établissements. Ainsi, 17 millions d’euros ont été perdus par les écoles d’ingénieurs, 35 millions d’euros par les autres écoles.
Ce sont des sommes considérables ! Il convient d’analyser de près les chiffrages pour que cette situation n’ait pas, à terme, d’impact négatif sur l’objectif que la Nation doit se fixer, je veux dire l’augmentation du nombre d’apprentis dans l’enseignement supérieur.
M. Adnot m’a également interrogé sur l’immobilier. Le temps me manquant, je ne peux que vous redire qu’il s’agit, selon moi, du dossier majeur des six prochains mois. Nous ne pouvons pas procéder à la dévolution sur les bases existantes ; pourtant, il faut la faire, car elle est indispensable.
Nos universités doivent franchir une nouvelle étape vers l’autonomie. Cette étape, c’est la propriété de leur immobilier, que cette propriété soit directe ou organisée par une puissance publique de substitution. Nous avons d’ores et déjà quelques idées sur ces modalités. Je vous associerai à ces travaux, qui seront notre priorité dans les six mois qui viennent.
Pour ce qui concerne le modèle SYMPA, que nous avions eu l’occasion d’évoquer lorsque j’ai été auditionné par la commission, je redis qu’il est difficile de le réformer pour l’instant, car les universités sont dans des situations très hétérogènes. Il existe, par ailleurs, des situations acquises.
Il nous faut donc retrouver des dynamiques budgétaires positives afin de mieux prendre en compte cette hétérogénéité et de faire évoluer les situations acquises.
M. Berson a identifié des problématiques extrêmement précises sur l’état de la recherche et mis le doigt là où ça fait mal... Je ne peux pas, là non plus, répondre à toutes ses questions, mais je tiens, à l’occasion de ce débat, à donner à votre assemblée des informations précises sur la question du gel des crédits et des mises en réserve.
Premièrement, je rappelle que le taux de gel des crédits, tous ministères confondus, est passé progressivement de 5 % à 8 %. Pour ce qui concerne notre ministère, nous avons négocié et conservé depuis des années un taux dérogatoire au profit des organismes qui est de l’ordre de 0, 35 % sur la part de la masse salariale et de 4, 85 % sur la part « fonctionnement » des subventions. Il s’agit donc de taux réduits par rapport au taux de gel de droit commun. Je peux d’ores et déjà vous dire que, pour 2016, nous avons la garantie de pouvoir maintenir ces taux réduits.
Deuxièmement, les universités bénéficient, elles aussi, d’un traitement spécifique puisque, sur 12 milliards d’euros, c’est un montant global forfaitaire de 70 millions d’euros qui est gelé. Là encore, nous avons obtenu voilà peu la garantie que ce montant forfaitaire très bas – comparé aux 12 milliards d’euros – serait conservé l’année prochaine.
Troisièmement, les crédits pour 2016 des universités comme des organismes de recherche seront préservés de tout coup de rabot : zéro euro pour les universités, zéro euro pour les organismes de recherche !
Vous disant cela, je souhaite revenir plus précisément sur l’un des engagements dont nous avions eu l’occasion de parler en commission. La ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a voulu, au moins pour l’enseignement supérieur et la recherche, que le budget que vous allez voter soit le plus proche possible de celui qui s’appliquera. Vous me rétorquerez que c’est la moindre des choses. Certes, mais ce n’est pas le cas partout et c’est une bataille à livrer. Cette garantie, nous vous la donnons.
M. Tandonnet m’a interrogé sur la question du coup de rabot, à laquelle je viens de répondre, et sur l’évolution à la baisse de la contribution du Centre national d’études spatiales à l’Agence spatiale européenne.
Premièrement, grâce au choix que nous avons fait, dans la discrétion – sans doute avons-nous eu tort, d’ailleurs, d’être aussi discrets ! –, la France est, à la fin de 2015, pour la première fois depuis des années, créditrice auprès de l’ESA. En effet, elle ne « traîne » plus la dette qu’elle lui devait au titre de sa participation.
Deuxièmement, la contribution du CNES à l’ESA augmentera significativement cette année, passant de 775 millions à 850 millions d’euros, afin de contribuer au financement d’Ariane 6.
Du fait de ces deux données, l’augmentation significative de cette contribution à l’ESA et le solde créditeur du CNES, les crédits que nous vous proposons d’inscrire définitivement au budget sont largement suffisants.
M. Grosperrin a posé, entre autres questions, celles de l’enseignement supérieur privé et des droits d’inscription.
S’agissant de la première question, nous avons veillé à ce que les crédits de l’enseignement supérieur privé pour 2016 soient strictement identiques à ceux de 2015, ce qui représente, là encore, une petite inflexion par rapport aux dernières années.
Il faut ajouter aux crédits de 73 millions d’euros destinés à l’enseignement privé les bourses qui sont versées aux étudiants du supérieur, lesquelles représentent plus de 150 millions d’euros chaque année. Il n’y a donc pas de désengagement budgétaire par rapport à l’enseignement privé, lequel est pour bonne partie sous contrat et contribue à l’effort du service public.
S’agissant maintenant des droits d’inscription, il faut aborder franchement la question, même au prix de désaccords, car il n’y a aucune raison de faire comme si le débat n’existait pas.
Vous connaissez la position du Gouvernement, qui n’est d’ailleurs pas seulement française, puisque les Allemands la partagent, de même que les pays nordiques. Selon nous, les droits d’inscription doivent être les plus faibles possible. L’Allemagne a même adopté le régime de la gratuité totale.
En effet, des études très précises établissent que tout « signal prix » donné à l’accès à l’université a immédiatement pour effet de limiter la démocratisation du système.
Vous proposez, monsieur Grosperrin, de multiplier par trois, voire par quatre les droits d’inscription. J’y insiste, ce « signal prix » très fort se paierait immanquablement par un ralentissement de la démocratisation, quand bien même vous compenseriez cette augmentation – je ne sais pas trop comment, d’ailleurs, mais on peut l’imaginer en théorie – par des bourses nouvelles ou un système de prêts.
J’attire votre attention sur le fait que des pays dans lesquels les droits d’inscription sont élevés se demandent à l’heure actuelle s’ils n’ont pas eu tort de procéder ainsi. C’est l’un des thèmes de la campagne pour l’élection présidentielle américaine. M. Obama a en effet expliqué devant le Congrès des États-Unis que le pays faisait peut-être fausse route en maintenant ce niveau de droits pour le college, c’est-à-dire les trois années consécutives à l’équivalent de notre baccalauréat. En effet, les études étant très coûteuses et nécessitant souvent l’obtention de prêts, les défaillances de remboursement se multiplient.
Il faut donc être très prudent sur ce point. Je tenais à vous le dire, loyalement, même au risque d’un désaccord avec vous.
Lors de sa première intervention, Mme Gillot a évoqué, notamment, la situation de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR.