Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Défense » pour 2016 intervient dans un contexte dramatique et tout à fait particulier.
Après les attentats terroristes de janvier, ceux du 13 novembre dernier ont entraîné la mort de cent trente de nos compatriotes ; c’est notre pays et son modèle de société qui sont directement attaqués.
À ces victimes s’ajoutent nos soldats tombés cette année au Mali, en opération extérieure de lutte contre le terrorisme djihadiste. C’est aussi pour intensifier notre combat contre cette forme de terrorisme que nous avons triplé nos capacités de frappes aériennes en Syrie et en Irak.
C’est dire combien le budget de la défense joue un rôle de premier plan pour préserver les intérêts fondamentaux de la nation, protéger notre territoire et nos concitoyens.
Avec l’augmentation des effectifs de l’opération Sentinelle à la suite des attentats et l’appareillage du porte-avions Charles-de-Gaulle, 34 000 militaires se trouvent engagés dans ce combat à long terme, en France et dans le monde.
Le premier traumatisme causé par les attentats du mois de janvier avait déjà donné lieu à des décisions fortes du Président de la République, prises au cours d’un conseil de défense en avril. Elles ont nécessité une actualisation de la loi de programmation militaire. Globalement, le présent projet de budget met en œuvre ces décisions. J’en relèverai deux caractéristiques majeures, qui découlent de l’évolution des menaces pesant sur notre pays.
La première, c’est que, après que 18 700 postes ont été préservés au mois de janvier, le projet de budget marque l’arrêt de la déflation des effectifs jusqu’en 2019, au bénéfice des unités opérationnelles de la cyberdéfense et du renseignement. Nous approuvons cette décision. Elle est courageuse, car elle a un coût budgétaire. En outre, elle met temporairement fin à une contradiction absurde consistant à cumuler les diminutions d’effectifs prévues par les lois de programmation militaire successives alors même que nos armées interviennent simultanément dans plusieurs pays étrangers et qu’elles se voient confier un nouveau contrat de protection du territoire national, pouvant amener au déploiement de jusqu’à 10 000 hommes.
La seconde caractéristique majeure de ce projet de budget, c’est d’avoir tiré les conséquences budgétaires de la nécessaire adaptation du format de nos armées à l’évolution des menaces, en attribuant 600 millions d’euros de crédits supplémentaires au budget de la défense, ce qui porte celui-ci à 32 milliards d’euros, au lieu des 31, 4 milliards d’euros prévus par la loi de programmation militaire initiale.
Sans entrer dans le détail, je relèverai d’autres motifs de satisfaction, tel le remplacement de la majeure partie des ressources exceptionnelles qui ont fait défaut cette année par des crédits budgétaires. Nous serons évidemment attentifs à ce que cette décision soit effectivement appliquée au travers du collectif budgétaire.
De même, nous souhaitons que soient tenus les engagements concernant les 57 millions d’euros avancés cet été à l’occasion du remboursement à la Russie des deux bâtiments de type Mistral non livrés.
Conformément à la loi de programmation militaire actualisée, les crédits d’équipement pour 2016 progressent de 16, 7 milliards d’euros en loi de finances initiale à près de 17 milliards d’euros, afin de permettre la poursuite de la modernisation des matériels, la montée en puissance des nouveaux équipements et la régénération des parcs plus anciens, fortement sollicités lors des OPEX.
Je note avec satisfaction l’évolution positive des crédits destinés à la préparation des forces et au maintien en condition opérationnelle des matériels, d’une importance déterminante pour que les hommes et les matériels puissent remplir des missions de plus en plus nombreuses et exigeantes.
Dans ces temps troublés où le lien entre les armées et la nation a besoin d’être renforcé, il est également important de valoriser les réserves et de porter le nombre des réservistes de 28 000 à 40 000 d’ici à 2019, conformément à la loi de programmation militaire. J’observe que 300 réservistes sont engagés sur le territoire national, l’objectif étant qu’ils soient 1 000 en 2016.
Reste la question récurrente, et toujours délicate, du financement des OPEX et des opérations menées sur le territoire national, telle l’opération Sentinelle.
Par définition, ces opérations sont imprévisibles. Elles sont souvent nécessaires, même si certaines sont discutables, et il serait difficilement concevable d’y renoncer par impossibilité de les financer.
Toutefois, du point de vue de la démocratie, une plus grande transparence serait nécessaire sur le financement du surcoût de 620 millions d’euros des OPEX et des 200 millions d’euros de dépenses de personnel, de frais de fonctionnement, d’équipement et de logement de l’opération Sentinelle. Ce financement est assuré à l’échelon interministériel, par le biais d’un décret d’avance et au prix d’annulations de crédits dans d’autres domaines.
Au final, monsieur le ministre, permettez-moi d’exprimer un certain scepticisme quant aux possibilités d’adaptation de votre budget aux défis auxquels notre pays est aujourd’hui confronté.
Les OPEX, par exemple, sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus longues. Elles répondent à des objectifs politiques de plus en plus difficiles à atteindre ; dans le même temps, votre équation budgétaire reste quasiment inchangée. C’est ainsi que les moyens engagés pour des interventions ponctuelles ou de longue durée restent les mêmes.
Dans ces conditions, je crains fort que, comme le dit un ancien directeur de l’École de guerre, officier général placé en deuxième section, nos armées ne soient « surdéployées » par rapport à leurs capacités et qu’elles ne s’usent, à l’instar de ce qui est arrivé aux armées britanniques.
Par ailleurs, l’opération Sentinelle étant appelée à se poursuivre, cette intervention sur le territoire national, dans le cadre qui a été défini, est-elle bien du ressort de nos armées ?
On sait d’ores et déjà que le nouveau contrat assigné à nos forces terrestres, outre son coût budgétaire, pourrait avoir des répercussions négatives sur l’action de nos forces engagées à l’extérieur. C’est pourquoi il est vraiment urgent que vous nous présentiez les conclusions de la réflexion sur une nouvelle doctrine d’emploi de nos forces terrestres.
Je conclurai mon propos en évoquant notre sujet de désaccord principal et récurrent : l’armement nucléaire. Outre qu’il constitue un obstacle aux politiques de désarmement, nous considérons qu’il ne représente plus une réponse pertinente aux menaces d’aujourd’hui. Surtout, son coût budgétaire et les investissements qu’il nécessitera dans l’avenir provoqueront un déséquilibre de notre politique de défense, au détriment de la crédibilité et de l’efficacité de nos forces conventionnelles.
Compte tenu des efforts budgétaires consentis, qui, du fait de leur inscription annoncée dans un pacte de sécurité, ne viendront pas réduire les crédits d’autres missions, dont la préservation et le renforcement sont tout aussi indispensables pour relever les défis qui s’imposent à nous, le groupe CRC s’abstiendra sur les crédits de la mission « Défense ».