Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à mon tour rendre hommage au sergent-chef Alexis Guarato, du commando parachutiste de l’air n° 10 – CPA 10 –, récemment décédé à la suite d’un attentat au nord du Mali. Je serai amené à présider l’hommage qui lui sera rendu par la nation au début de la semaine prochaine.
Je voudrais aussi en profiter pour saluer à mon tour l’engagement, le dévouement et le courage de nos forces, qui opèrent aujourd’hui sur le théâtre extérieur, à travers les opérations Barkhane, Sangaris et Chammal, au Liban et en prépositionnement sur un certain nombre de lieux, mais aussi sur notre sol, dans le cadre de l’opération Sentinelle – j’aurai l’occasion d’y revenir.
Je vous remercie, les uns et les autres, d’avoir pensé à leur rendre hommage, ce sentiment étant partagé, je n’en doute pas, par l’ensemble du pays.
L’examen de notre budget 2016 intervient dans un contexte d’une gravité particulière, que vous me permettrez d’évoquer pour commencer. Depuis l’adoption du projet de loi de finances pour 2016 en conseil des ministres, et son vote par l’Assemblée nationale, la France a basculé dans la guerre.
Vendredi 13 novembre, ce que nous redoutions, ce que nous appréhendions, en particulier depuis le 7 janvier dernier, s’est dramatiquement concrétisé : la France a subi une attaque armée sur son sol, perpétrée par les membres d’un groupe terroriste militarisé qui prétend s’ériger en État.
Un hommage national vient d’être rendu ce matin aux morts et aux blessés de cette agression, au cours duquel le Président de la République a exprimé la compassion et la détermination de la nation.
Au moment de conclure cette discussion, je voudrais saluer ici, mesdames, messieurs les sénateurs, votre mobilisation permanente, depuis trois ans et demi, en faveur des moyens de notre défense, plus que jamais sollicités par cette actualité tragique.
Au cours des différentes discussions que nous avons pu avoir dans cette enceinte, vous nous avez toujours soutenus, vous avez toujours apporté votre contribution, en particulier, tout récemment, lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire, qui nous permet aujourd’hui de disposer d’une base solide pour aborder le budget 2016.
Mes remerciements s’adressent en particulier à M. le président de la commission, à M. le rapporteur spécial et à l’ensemble des porte-parole des différents groupes qui se sont exprimés tout à l’heure.
Ce soutien est très précieux en cette période, et le vote que vous allez émettre, mesdames, messieurs les sénateurs, sera aussi une manière forte de lutter contre Daech, en montrant que l’effort en faveur de la sécurité et de la défense de notre territoire se poursuit et rencontre un consensus fort.
Je n’ai pas le temps de répondre à l’ensemble des observations qui ont été formulées.
Comme je vous le disais à l’instant, monsieur Raffarin, je pourrais peut-être, dans les jours qui viennent, fournir à la commission des réponses plus techniques sur un certain nombre de points.
Je me concentrerai aujourd’hui sur les éléments les plus directement en rapport avec le budget.
À la suite des décisions annoncées par le Président de la République le 16 novembre devant le Congrès, j’ai déposé un amendement qui prévoit, pour 2016, une hausse de 100 millions d’euros des crédits de paiement et de 173 millions des autorisations d’engagement par rapport au projet de budget qui vous était soumis initialement.
Cet amendement, dont je détaillerai tout à l’heure le contenu, vise en particulier à couvrir les besoins en munitions pour les opérations en Syrie et en Irak. Les flux de munitions peuvent être éligibles aux OPEX, au contraire des stocks. Il nous faut donc inscrire ces crédits au budget, de même que quelques moyens supplémentaires permettant de répondre aux orientations fixées par le Président de la République, en particulier le renforcement du renseignement, de la cyberdéfense et de la réserve opérationnelle dès l’année 2016.
Au-delà de cet amendement, qui s’inscrit dans le droit fil des orientations qui avaient été arrêtées au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire, je voudrais revenir sur quelques points relatifs aux effectifs, aux engagements financiers pour 2015 et 2016 et aux engagements capacitaires, pour répondre aux questions posées et lever toute ambiguïté.
S’agissant des effectifs, nous devons avoir à l’esprit l’ensemble des chiffres.
Dans la loi de programmation militaire 2014-2019, 34 000 suppressions de postes étaient prévues, mais elles intégraient 10 000 suppressions de postes issues de la loi de programmation militaire 2009-2014 – sur les 54 000 suppressions de postes que celle-ci avait prévues, un peu plus de 40 000 avaient été exécutées ; il en restait donc 10 000, qui s’ajoutaient aux 24 000 suppressions découlant du Livre blanc.
Depuis lors, l’actualisation de la loi de programmation militaire a permis le rétablissement de 18 500 postes. Nous honorerons ces engagements en 2015 et en 2016, ce qui nous permet, au budget 2016, d’afficher un solde positif de 2 300 postes. S’y ajouteront 10 000 postes supplémentaires à l’horizon 2017, 2018 et 2019, qui seront sauvegardés en application de la décision du Président de la République et affectés à la cyberdéfense, au renseignement et aux forces opérationnelles.
Puisque la question m’a été posée par M. Lorgeoux ou par M. Reiner, je précise que 1 000 postes supplémentaires seront affectés au renseignement à l’horizon 2017, 2018, et 2019 par rapport aux chiffres contenus dans l’actualisation de la loi de programmation.
Cette orientation ne modifie en rien la nécessité de rationaliser, de réorganiser et de transformer nos armées, de nous adapter aux nouvelles menaces. Ainsi, les programmes prévus par les chefs d’état-major des différentes armées, notamment le programme d’adaptation « Au contact » pour l’armée de terre, seront mis en œuvre, avec toutefois un peu plus de souplesse et de moyens, ce qui les aidera à accomplir leurs missions. Cette adaptation de nos forces aux nouvelles menaces est nécessaire.
Dans ce contexte, pour tirer les conséquences des engagements pris par le Président de la République devant le Congrès, je précise aussi que nous allons renforcer notre capacité de réserve.
Plusieurs orateurs, en particulier Mme Garriaud-Maylam, ont parlé de cette perspective avec enthousiasme. Comme vous le savez, c’est l’une de mes préoccupations depuis que j’exerce mes responsabilités ministérielles. Les réserves, c’est vrai, servaient souvent de variables d’ajustement dans les choix budgétaires. De fait, les engagements passeront, pour la période 2016-2019, de 28 000 à 40 000 réservistes, en favorisant l’élargissement des recrutements.
Nous engagerons également une réflexion – j’insiste sur ce point – sur le lien opérationnel entre la garde nationale et la réserve territoriale. Comment faire pour que l’accroissement de la réserve puisse, en se territorialisant, devenir une forme de réserve-garde nationale ? Telle est la question à laquelle le Président de la République me demande de réfléchir, à la suite des engagements qu’il a pris devant le Congrès. Je souhaite bien entendu que vous soyez, les uns et les autres, associés à cette réflexion. D’ores et déjà, l’amendement présenté par le Gouvernement permet une montée en puissance de notre capacité de réserve à l’horizon 2016.
Je voudrais aussi prendre note avec vous – Mme Demessine, comme d’autres orateurs, a soulevé cette difficulté – des contraintes qu’entraîne l’opération Sentinelle.
En effet, cette dernière a été mise en œuvre très rapidement, et les recrutements prévus ne produiront leurs effets qu’en 2016. L’année 2015 contribue pour moitié au recrutement supplémentaire destiné à la force opérationnelle terrestre, mais il faut le temps de recruter et de former les nouveaux personnels. En 2016, la deuxième phase permettra d’aboutir au résultat escompté.
L’année 2015 est donc particulièrement difficile pour les soldats engagés dans l’opération Sentinelle. J’ai pris des mesures d’accompagnement indispensables dans le domaine de l’hébergement, des primes et des décorations, et je vais souvent à la rencontre de nos soldats. Il est vrai que nous traversons une période de forte tension à la suite des tragédies que nous avons vécues, mais l’horizon va sensiblement se dégager grâce aux inflexions qui ont été apportées et aux recrutements qui sont en cours.
Je voudrais encore ajouter deux choses à propos de l’opération Sentinelle.
D’abord, notre pays compte une armée, et une seule. Il n’y aura pas une armée spécialisée dans les opérations intérieures et une autre spécialisée dans les opérations extérieures ; c’est le même ennemi, il sera combattu par la même armée, celle qui, aujourd’hui, intervient aussi bien dans les OPEX que dans les opérations intérieures. C’est un point majeur, et j’ajoute, comme je l’avais déjà annoncé au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire, qu’il nous faudra réfléchir ensemble au nouveau concept de « sécurité intérieure » et au lien qu’il entretient avec la sécurité extérieure.
Je serai amené à soumettre au Parlement, avant la fin du mois de janvier, des propositions qui nous permettront d’engager un débat sur ce point. Nous sommes confrontés à une nouvelle donne, nous avons fait le choix de la cohérence globale de l’action de nos forces armées sur les théâtres extérieurs comme sur le terrain intérieur, mais il convient de définir plus précisément le concept.
J’ajoute – ce point est peut-être passé un peu inaperçu à l’Assemblée nationale mercredi dernier – que le Premier ministre a décidé, à la demande du Président de la République, d’engager une réflexion commune sur l’articulation entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. Cette réflexion, à laquelle chacun sera associé, permettra de définir plus précisément les concepts.
Nous avons donc une vraie question et une amorce de réponse, mais nous devons encore intensifier notre réflexion en vue d’aboutir, dès le début de l’année prochaine, à une élaboration conceptuelle plus forte.
À M. le rapporteur spécial, qui m’a interrogé à juste titre sur la validité et l’opérabilité de mes propos, je veux dire que les arbitrages budgétaires qui ont été rendus sont en tout point conformes aux engagements pris lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire et lors du débat que nous avons eu, ici même, pour l’exercice de fin de gestion et le budget 2016.
Pour l’exercice de fin de gestion, tous les engagements que j’avais pris sont respectés, grâce au décret d’avance et au projet de loi de finances rectificative de fin d’année, parfaitement conforme à la volonté du Parlement.
S’agissant des OPEX, leur surcoût pour 2015, au-delà des 450 millions d’euros inscrits en loi de finances initiale, s’élève à 625 millions d’euros et, conformément à la loi de programmation militaire, ce montant sera intégralement couvert par le décret d’avance.
Quant aux dépenses de l’opération Sentinelle, dont plusieurs sénateurs se sont souciés, notamment MM. Gautier et Reiner, qui, sur ce sujet comme sur d’autres, font front commun, elles seront intégralement financées par le décret d’avance, pour un montant de 171 millions d’euros.
C’est un engagement que j’avais pris.
Par ailleurs, le ministère de la défense va « autoassurer », au sein de la mission « Défense », les dépassements de crédits de masse salariale, dus, notamment, aux déboires de Louvois. C’était un autre de mes engagements, et nous avons réussi à le mettre en œuvre en interne.
En ce qui concerne, toujours, le budget 2015, la suppression des ressources exceptionnelles se traduit par l’ouverture de crédits budgétaires propres, à hauteur de 2, 144 milliards d’euros, dans le projet de loi de finances rectificative qui a été présenté en conseil des ministres au matin du vendredi 13 novembre dernier. S’y ajouteront les 57 millions d’euros de charges induites par le remboursement à l’État russe des deux bâtiments de projection et de commandement non livrés, ce qui rend l’opération parfaitement blanche, monsieur le rapporteur spécial.
Enfin, une annulation de 200 millions d’euros, répartie entre le décret d’avance et le projet de loi de finances rectificative, constituera la contribution de la mission « Défense » à la solidarité interministérielle de fin de gestion – vous avez soulevé cette aspérité. Ce montant sera presque intégralement compensé par la reprise, en 2015, de 187 millions d’euros d’intérêts financiers accumulés sur les comptes de l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l’OCCAr, si bien que l’annulation « nette », pour la mission « Défense », ne portera que sur 13 millions d’euros.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avouez que l’ensemble présente, globalement, la forme d’une sanctuarisation de nos crédits !