Intervention de Francis Delattre

Réunion du 27 novembre 2015 à 14h30
Loi de finances pour 2016 — Compte d'affectation spéciale : participations financières de l'état

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre :

La mission « Engagements financiers de l’État » regroupe cinq programmes, dont le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l’État », qui concentre en réalité l’essentiel des crédits dévolus et inscrits à la mission.

À la phrase, désormais historique, selon laquelle « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité », nous répondrons très clairement, monsieur le ministre, que notre effort nécessaire de guerre ne doit pas légitimer un déficit public excessif et le renoncement à la rigueur.

Alors que l’État vit déjà à crédit depuis ces deux derniers mois – tous les chiffres le corroborent –, nous assistons encore, à l’occasion de la préparation de ce budget 2016, à un accroissement, que dis-je, une ascension de la dette pour 2016.

Oserai-je ajouter que, dans notre histoire, les dettes ont souvent nourri les guerres, et je vous renvoie à cet égard au traité de Versailles, bien connu de nous tous ?

Depuis 2014, la dette croît à un rythme soutenu, au point de dépasser l’étiage symbolique des 2 000 milliards d’euros. Ce rythme, loin de décélérer, s’est encore accentué au premier semestre 2015 : la dette a ainsi atteint plus de 2 100 milliards d’euros, soit 97, 6 % du PIB. Nous pensons, monsieur le ministre, que ce montant est déjà trop élevé pour permettre à notre économie de se redresser, même avec des taux très bas. Les 52 000 chômeurs supplémentaires sonnent, à cet égard, comme une véritable alerte.

La réalité que l’on se refuse à voir est pourtant évidente : avec une augmentation de 2, 1 milliards d’euros de la charge de sa dette prévue pour 2016, la France s’avance dangereusement vers la paralysie et, avant les événements dramatiques du 13 novembre, la Commission européenne faisait savoir son scepticisme quant à la capacité du Gouvernement, monsieur le ministre, à ramener son déficit sous la barre des 3 % en 2017.

Ce taux de 3 %, mes chers collègues, n’est ni un dogme ni un totem européen ; il représente le seuil en deçà duquel, plus ou moins, la dette ne se creuse pas.

Ces chiffres sanctionnent l’absence de toute réforme d’envergure, les trop maigres efforts financiers réalisés reposant sur la seule logique du rabot. Votre manque d’audace réformatrice explique que, depuis 2012, vous ayez sans cesse dû reporter la date à laquelle vous annonciez un recul de la dette publique. D’abord évalué à 91, 3 % du PIB en 2013, le niveau maximal de la dette publique fut ainsi, dès l’année suivante, rehaussé à 94, 3 % du PIB, niveau plafond à nouveau revu à la hausse par le programme de stabilité 2014-2017, porté à 95, 6 % du PIB, avant d’être lui-même aussitôt pulvérisé !

Autre chiffre inquiétant dans cette mission « Engagements financiers de l’État », excellemment rapportée par M. le rapporteur spécial, le besoin de financement de la France atteindra en 2016 un niveau record d’autant plus inquiétant qu’il est inédit au sein de la zone euro. Pour le seul financement de son déficit et l’amortissement de ses emprunts, l’État devra, en effet, emprunter près de 200 milliards d’euros.

Ces résultats traduisent un lent enlisement en matière de politique fiscale et budgétaire.

La France demeure plus que jamais exposée à une hausse des taux d’intérêt, comme semble l’envisager la Fed, la Réserve fédérale des États-Unis, pour son taux directeur, avec des effets d’entraînement mondiaux bien connus. De fait, toute augmentation des taux d’intérêt, maintenus jusque-là à un niveau exceptionnellement bas, creusera inévitablement et dangereusement la charge de la dette.

S’il fut un temps possible, monsieur le ministre, de créer de la croissance avec de la dette, aujourd’hui, c’est par la maîtrise de la dépense publique qu’elle se déclenche durablement. Or en aggravant la fiscalité de 90 milliards d’euros entre 2012 et 2014, vous avez consolidé le niveau des prélèvements obligatoires autour de 45 %, à contre-courant de ce qu’ont fait nos partenaires et concurrents.

Comme l’a souligné le rapporteur spécial, seule une politique de baisse des dépenses publiques plus ambitieuse que celle qui est conduite à l’heure actuelle permettrait de faire diminuer l’impact de la dette de l’État sur la croissance.

Pourquoi, dès lors, ne pas avoir engagé plus tôt et plus amplement, à l’image de nos voisins, les réformes structurelles que commande une situation insupportable ? Il nous faut pourtant bien la supporter, et nous pensons tous aux 5, 5 millions de personnes au chômage ou sans emploi. Je songe donc tout particulièrement à des réformes relatives à notre marché du travail, à l’assurance chômage, au financement de l’économie, véritable problème qui repose trop exclusivement sur les banques, à l’ajustement des droits à la retraite et à l’accord AGIRC-ARRCO, ou encore à la sécurité sociale et à la nécessaire maîtrise des dépenses des administrations sociales, qui s’élèvent aujourd’hui, monsieur le ministre, à 492 milliards d’euros.

Il n’est pas exagéré de dire que le véritable défi civil de ce pays pour les prochaines années sera de créer 2 millions d’emplois marchands. Les prévisions, ce qui est annoncé par cette mission, nous obligent tous à réfléchir à la façon de redéployer les moyens de ce pays pour endiguer enfin cette dette qui, un jour ou l’autre, nous sanctionnera durement.

Il est temps d’abandonner les oripeaux keynésiens, que l’on met trop souvent en avant dans cet hémicycle, ainsi que le culte de la dépense publique qui nous engloutit aujourd'hui.

Le groupe Les Républicains votera néanmoins les crédits de cette mission, car nous ne pouvons remettre en cause les engagements financiers de la France à l’égard de ses créanciers. Monsieur le ministre, nous n’attendons pas pour autant de vous des remerciements, qui pourraient ne pas être totalement sincères !

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