Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 27 novembre 2015 à 21h00
Loi de finances pour 2016 — Compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

La mondialisation a apporté une certaine prospérité à notre monde, mais la grande pauvreté est encore loin d’être vaincue. Ce paradoxe n’est qu’apparent, pour la simple et bonne raison, mes chers collègues, que la globalisation financière et commerciale dans laquelle nous sommes engagés ne s’est pas accompagnée d’une mondialisation de la solidarité, selon l’expression du secrétaire général adjoint des Nations unies, Philippe Douste-Blazy.

Nous vivons dans un monde dans lequel les élites économiques ont pris le pas sur les élites politiques, de sorte que le capitalisme financier internationalisé s’est substitué au capitalisme social incarné par l’État-providence, notamment en France. Dans ce monde, un enfant meurt toutes les trois secondes d’une maladie curable du seul fait qu’il manque parfois quelques centimes d’euros pour acheter des médicaments. On ne peut pas imaginer qu’un tel monde vive en paix !

Ces inégalités sont tellement criantes et insupportables qu’elles font le lit du ressentiment, de la haine et, pour finir, de l’extrémisme.

L’aide au développement n’est donc pas qu’un impératif moral pour nos sociétés finalement favorisées par rapport au reste du monde : c’est une nécessité d’ordre public pour juguler des menaces désormais globales. La crise économique et financière qui a frappé les finances publiques des États occidentaux dès 2008 n’a fait qu’aggraver la situation.

Nous constatons aujourd’hui que l’effort budgétaire de solidarité mondiale représenté par l’aide publique au développement a été sacrifié à l’incontournable assainissement des comptes publics. La mission « Aide publique au développement » que nous sommes conduits à examiner ce jour voit ainsi ses crédits diminuer en 2016 de plus de 6 %, soit 160 millions d’euros.

Cette contraction concerne les deux programmes de cette mission sans distinction, et vise aussi bien, dans une logique plus transversale et opérationnelle, les dons que les subventions pour projets.

Au-delà des seuls crédits de cette mission et avec une focale plus large, on observe que, depuis le maximum atteint en 2010, l’aide publique au développement versée par notre pays n’a cessé de diminuer, passant de 12, 9 milliards d’euros, soit 0, 50 % du RNB, à 10, 4 milliards d’euros, soit 0, 36 %, en 2014, ce qui représente une baisse de 20 % en valeur et de 28 % en pourcentage du RNB.

La France est donc encore loin de parvenir à l’objectif de 0, 7 % du RNB, et cela est d’autant plus critiquable que l’aide au développement mondial devrait retrouver une dynamique favorable cette année. A fortiori, on peut s’interroger sur le ciblage de ces ressources qui sont pourtant rares et, par conséquent, précieuses.

Ainsi, selon les données fournies par nos rapporteurs spéciaux Fabienne Keller et Yvon Collin, le Maroc serait le premier bénéficiaire de l’aide bilatérale, avec 539 millions d'euros, alors qu’en septembre 2013 une étude de la banque Morgan Stanley estimait que ce pays faisait partie de la frange supérieure des pays en voie de développement. Que penser aussi du versement de 223 millions d’euros au Brésil, de 220 millions d’euros au Mexique, de 183 millions d’euros à la Turquie ou même de 92 millions d’euros à la Chine, qui est tout de même la deuxième économie mondiale ?

Au regard de la forte actualité relative à l’effort mondial en faveur de l’APD, il me semble possible de considérer que les pouvoirs publics commencent à mesurer la nécessité de réformer notre outil de solidarité mondial.

Le 8 septembre 2015, devant l’Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République a ainsi prévu d’augmenter les financements en faveur du développement de 4 milliards d’euros en 2020, dont 2 milliards d’euros pour la lutte contre le changement climatique. François Hollande a également annoncé un rapprochement entre l’Agence française de développement, l’AFD, et la Caisse des dépôts et consignations, ce qui devrait renforcer la professionnalisation de la gestion de ces fonds.

Au-delà de ce contexte purement national, la conférence d’Addis-Abeba de juillet dernier a mis l’accent sur les opportunités de diversification du financement de l’APD. Je pense bien évidemment aux financements innovants.

Il s’agit soit de financements très spécifiques et localisés, à l’image du micro-crédit, soit de canaux plus larges érigés au plan mondial. Il s’agit d’asseoir sur des flux mondiaux le financement de biens publics mondiaux, comme la lutte contre les épidémies, la protection de l’environnement ou encore le développement au sens large du terme.

La France a su jouer un grand rôle en la matière au début des années 2000, avec la création de UNITAID, qui est particulièrement active en matière de lutte contre le sida et le paludisme, en Afrique, notamment, où les résultats sont spectaculaires. L’action d’UNITAID est financée par une taxe mondiale sur les billets d’avion, mais ce modèle reste fragile. La baisse de 25 millions d’euros l’année dernière de la contribution française à UNITAID correspond à une perte de 20 millions de traitements contre le paludisme et de plus de 200 000 traitements contre le sida pour les enfants.

Rien n’est acquis en la matière. Tout reste à faire. C’est le cas, par exemple, de la taxe sur les transactions financières sur laquelle nos collègues Fabienne Keller et Yvon Collin ont produit plusieurs rapports ces trois dernières années. Cette taxe, instaurée en 2011, dans le prolongement du G20 de Cannes, a concentré de grandes espérances, surtout sur le plan européen. Après quatre années d’existence, son produit demeure encore inférieur aux espoirs d’alors et, surtout, elle reste une taxe essentiellement Française.

Le projet de taxe financière sur les transactions porté par la Commission européenne dès 2011 n’a pas, en effet, rencontré le succès escompté en dépit du soutien du Parlement européen. C’est principalement du fait, vous le savez, de l’opposition marquée de l’Angleterre – ce paradis fiscal légal, le plus grand paradis fiscal du monde ! – et des milieux financiers. Cela n’a pas empêché, fort heureusement, un « repli stratégique », selon l’expression employée par Fabienne Keller dans son rapport d’information de 2013.

À l’heure actuelle, le projet d’instauration de cette taxe dans le cadre d’une coopération renforcée à onze pays avance lentement. D’après les récentes déclarations du commissaire Moscovici, on peut espérer une mise en œuvre à l’horizon 2017, mais cela reste encore incertain.

Concernant l’affectation de son produit, la France a eu raison d’en attribuer 15 % en 2013 aux pays les plus pauvres. Je ne peux que regretter que cet exemple n’ait pas été plus largement suivi. Les interrogations demeurent tant sur l’assiette de la taxe que sur la destination de son produit : faut-il soutenir l’environnement ? Faut-il amplifier l’aide au développement, la reverser à l’Union européenne ou à la Banque européenne de reconstruction et de développement, la BERD ? Les interrogations demeurent au nord de la Méditerranée.

Une prise de conscience importante a eu lieu en septembre 2014 lors de l’Assemblée générale des Nations unies lorsque le président du Congo a annoncé qu’il allait suivre les recommandations de Philippe Douste-Blazy et prélever 10 cents de dollar sur chaque baril de pétrole. Cette taxe de 0, 001 % permettrait de financer la lutte contre la malnutrition infantile qui concerne 30 % des enfants en Afrique et en Asie du Sud-Est. Ce fléau provoque d’importants retards de développement chez les enfants, avec souvent de lourdes conséquences cérébrales. Ce scandale humanitaire est aussi un formidable gâchis en termes de potentiel de croissance. Dans le cas du Cameroun, 25 millions de dollars ventilés sur cinq ans permettraient de régler le problème et conduiraient ce pays à passer de 4, 5 % à 11 % de croissance par an. Cette initiative propre aux pays du Sud mérite d’être saluée et encouragée par notre pays.

Nous vivons donc un moment crucial et charnière dans l’histoire de l’aide au développement. Il y a eu une prise de conscience internationale en dépit de la crise. Chacun sait désormais à quel point cet enjeu est incontournable et chacun sait également que les finances publiques nationales ne suffiront pas.

Nous pouvons nous féliciter des annonces financières faites à Addis-Abeba, à l’ONU et même de celles qui seront faites à l’occasion de la COP 21. Restons prudents toutefois. Gardons-nous des annonces volontaristes à 100 milliards d’euros à chaque conférence internationale, …

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