Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 27 novembre 2015 à 21h00
Loi de finances pour 2016 — Compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Madame la secrétaire d'État, ce budget va loin, hélas, dans l’insincérité.

En 2012, François Hollande s’était engagé à augmenter considérablement l’APD. Depuis, ce budget a baissé de 600 millions d’euros...

Au mois de septembre dernier, le Président de la République annonçait à la tribune de l’ONU que la France allait consacrer 4 milliards d'euros supplémentaires à l’APD. Cette posture démagogique aura rapidement été démontée : les 4 milliards d'euros ne seront débloqués que sous forme de prêts et bonifications, et seulement « à partir de 2020 », soit après la fin du quinquennat ! Après moi, le déluge ?

Dans l’immédiat, c’est au contraire une baisse de l’APD qui nous est proposée dans le projet de loi de finances pour 2016. Les députés ont tenté de la limiter en augmentant la part de financements innovants fléchés vers l’aide au développement. Mal leur en a pris : le Gouvernement a contrebalancé cette hausse des recettes en rabotant de 162 millions d’euros le budget du programme 209. Ce jeu de bonneteau – pardonnez-moi de le dire – me semble indécent.

Aujourd’hui, devrions-nous applaudir au fait d’être revenus au niveau de 2014 ? C’était pourtant une année historiquement basse... De plus, si l’on regarde en détail, les crédits sont loin d’avoir été sanctuarisés.

La politique de développement est simplement débudgétisée : les crédits budgétaires de certains programmes baissent de manière vertigineuse et cette chute n’est que partiellement compensée par le recours aux financements innovants.

Les crédits du Fonds de solidarité prioritaire accusent ainsi une nouvelle coupe de 25 %, après une baisse de 10 % l’an dernier. Les financements innovants, comme la taxe sur les billets d’avion, dite « taxe Chirac », ou la taxe sur les transactions financières, avaient vocation à compléter notre APD, pas à s’y substituer.

Ce dévoiement est d’autant plus inquiétant que le cadre de suivi et d’évaluation est beaucoup plus clair pour l’APD traditionnelle que pour ces recettes hors budget.

Faire reposer l’APD de plus en plus fortement sur les recettes fiscales crée aussi le risque d’instaurer une aide au développement perçue par la population comme « punitive ». Ne reproduisons pas l’écueil déjà expérimenté avec l’écologie.

Par ailleurs, malgré un budget qui stagne, la politique d’aide au développement est censée couvrir de nouvelles missions. Attention à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Même s’il est de bon ton, avant la COP 21, d’afficher sa mobilisation, le mélange des genres est contre-productif. Les annonces médiatiques sur les engagements de la France en faveur du climat ou des réfugiés ne doivent pas se solder par une ponction sur les budgets d’aide au développement.

L’APD doit continuer à jouer un rôle préventif pour favoriser la création d’emploi, la sécurité alimentaire et l’amélioration des services de base des pays du Sud. Ces missions traditionnelles de l’APD doivent non seulement être préservées, mais même monter en puissance. À cet égard, je m’interroge sur la disparition du budget consacré aux actions de codéveloppement.

Je m’étonne aussi de retrouver des crédits pour la francophonie dans le programme 209, alors qu’ils devraient à mon sens figurer dans les programmes 110 et 185. La francophonie, outil majeur pour notre rayonnement, me semble devoir être un indicateur transversal aux divers leviers de l’action extérieure de l’État, pas un poste budgétaire isolé dans le programme 209 – qui subit d’ailleurs une coupe infiniment regrettable de 2 millions d’euros.

Le contexte budgétaire plus contraint que jamais devrait nous amener à des évolutions qualitatives. Évidemment, cela suppose des efforts accrus en matière de transparence et d’évaluation. Des progrès ont été réalisés, mais le chemin est encore long pour nous mettre au niveau d’autres partenaires de l’OCDE.

Beaucoup reste aussi à faire en matière de lutte contre la corruption et contre l’évasion fiscale. Le CCFD, première ONG française de lutte pour le développement, estime ainsi que, pour un euro d’aide versé par les pays du Nord, ce sont dix euros qui s’échappent dans les paradis fiscaux. L’enjeu ici n’est pas d’aligner des millions sur une maquette budgétaire, mais bien de défendre une réelle volonté politique de faire bouger les lignes, en coopération avec les États du Sud, et d’opérer un contrôle véritable sur l’utilisation de ces fonds. C’est là sans doute l’enjeu majeur pour notre APD.

Je m’interroge sur la volonté politique de notre gouvernement, qui n’a pas soutenu hier l’amendement adopté par le Sénat, visant à taxer les profits des grandes entreprises, largement détournés via le montage de filiales ou les paradis fiscaux.

À Addis-Abeba, au mois de juillet dernier, des pays en voie de développement ont souhaité la création d’un tax body, un organisme fiscal intergouvernemental au sein de l’ONU pour lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Nous avons pourtant préféré maintenir ce sujet au sein de l’OCDE. Il est sous doute dommage d’avoir refusé cette occasion. En tout cas, il est désormais urgent que la France prenne des mesures pour la mise en œuvre du nouveau plan contre la fraude fiscale de l’OCDE.

Avant de conclure, j’évoque le rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations. Il nous semble essentiel que l’AFD ne soit pas purement et simplement absorbée par la CDC. Nous avons besoin d’assurances qu’elle gardera son identité et son autonomie, en particulier avec des ressources propres. La mission de configuration qui a été confiée à Rémy Rioux sera à cet égard essentielle et nous souhaiterions que son rapport puisse faire l’objet d’une présentation commune à la commission des finances et à la commission des affaires étrangères.

Je conclus en insistant, comme j’ai commencé, sur l’importance de ne pas creuser le décalage entre les postures et les actes. Les effets d’annonce, lorsqu’ils sont suivis de coupes budgétaires, sont désastreux. Assumer ses décisions est le marqueur d’une politique de responsabilité. Les Français y sont de plus en plus attentifs. Mais c’est également essentiel pour notre crédibilité à l’international.

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