Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Culture », sur lequel nous allons voter, ne relève pas, surtout en ces temps troublés, de la seule équation budgétaire.
Que valent toutes les paroles entendues actuellement sur la liberté, l’égalité et la fraternité sans un engagement déterminé à promouvoir en toutes circonstances la liberté de création, sans placer l’artiste, l’art, le geste créateur au centre de notre projet de société, sans garantir à chacune et à chacun le droit à l’émancipation par la culture et l’éducation ?
La réponse solidaire, fraternelle, ouverte au monde et au brassage des cultures qu’appellent les crimes odieux qui ont fauché la vie de cent trente personnes à Paris, le 13 novembre dernier, sera impossible sans l’art et la culture. Toute faiblesse, tout renoncement, toute abdication en la matière seraient non seulement une victoire de la logique de terreur et de guerre, mais laisseraient la porte ouverte à tous les obscurantismes, à tous les crimes contre la pensée.
C’est à l’aune de cet enjeu central qu’il nous faut examiner la place réelle que nous accordons à l’ambition culturelle.
Le Président de la République a eu raison de dire hier, lors de l’hommage national aux victimes des attentats, que la France devrait continuer à chanter.
Comme le clamait avec tant de force poétique Maurice Fanon, dans une chanson réécoutée ces jours-ci sur les réseaux sociaux :
« Pour ceux qui entrent dans la danse
« Au nom de la grande espérance [...]
« Mon fils chante ».
Que penser, alors, du budget qui nous est présenté pour défendre le patrimoine, assurer la liberté de création, permettre la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture, puisque tels sont les programmes que nous examinons ? Qu’il est bien trop modeste, à l’évidence, et qu’il n’est pas normal que nous soyons obligés, chaque année, de batailler pour empêcher simplement qu’il ne recule encore.
Oui, nous nous félicitons que ce budget, enfin, se redresse de nouveau, après deux années de baisse dont nous mesurons à quel point elles furent une grave erreur.
Oui, nous voulons croire que cette hausse du budget, après deux années de baisse – 4 % en 2013 et 2% en 2014 –, soit l’annonce d’une relance durable, et non une maigre compensation conjoncturelle.
La culture n’est pas une variable d’ajustement. Elle est le sens même, une pièce maîtresse de notre combat pour la liberté.
Si le verrou de l’austérité a sauté pour la sécurité, qu’attendons-nous pour le faire sauter durablement afin de promouvoir l’art et tous les espaces d’émancipation culturelle, car cette arme-là sera bien plus puissante que toutes les autres ?
Il faut d’ailleurs saluer le combat mené par les artistes de notre pays et par toutes les professions du monde de la création, car, sans eux, sans leur action, le budget aurait continué à baisser. Ce sont eux qui, par leurs luttes et leurs actions, ont arraché l’an dernier au Gouvernement la décision et l’engagement de préserver et d’augmenter les crédits pour 2016.
Toutefois, nos inquiétudes ne sont pas éteintes, car le projet de budget que nous allons voter nous est soumis alors même que des nuages continuent de s’accumuler. La baisse des dotations des collectivités locales, les attaques contre la culture menées par les collectivités de droite – monsieur Duvernois, vous devriez tenir vos propos aux maires du Blanc-Mesnil, de Saint-Ouen et à tous les édiles de droite qui sont en train de sacrifier les budgets de la culture ! – et la réforme des régions qui fait peser de lourdes menaces sur l’avenir des DRAC en sont quelques exemples. Fermeture de lieux, annulation de festivals, non-remplacement de départs à la retraite : les conséquences sont déjà nombreuses.
Ces moyens sont indispensables aux financements croisés de la culture : sans eux, tout l’édifice culturel s’effondrerait. Alors qu’ils sont comprimés à la baisse, les besoins, eux, vont continuer à croître pour les raisons fondamentales que j’évoquais, mais aussi parce que le Gouvernement s’engage, avec l’adoption du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine qui est actuellement en navette, à développer de nouveaux dispositifs. Madame la ministre, comment comptez-vous faire pour répondre à ces nouveaux besoins avec un tel budget ?
Pour cette raison, nous ne voudrions pas que les moyens gagnés d’un côté soient repris d’un autre, en maintenant, par exemple, la pression sur les grandes institutions au prétexte qu’elles devraient financer leur développement par leurs ressources propres. Je pourrais en citer d’autres, mais l’exemple du projet de budget pour 2016 de l’Opéra national de Paris est parlant : prétendre pallier la réduction de 1 million d’euros de la subvention d’équilibre par une démarche dite d’« optimisation » n’est pas fait pour nous rassurer.
Concernant le patrimoine, il est heureux que l’INRAP bénéficie de nouveau d’une subvention pour charges de service public. Cette réforme, qui constitue le gros de l’augmentation du programme avec 118 millions d’euros, ne doit pas être boudée, face aux limites atteintes par le financement de l’INRAP.
Nous nous interrogeons, en revanche, sur la baisse des crédits alloués au patrimoine linguistique, au moment même où la promotion des langues régionales et minoritaires est remise à l’ordre du jour.
Sur le programme 131, « Création », on ne peut que constater la modestie de l’augmentation des dotations, après les années de baisse.
Le programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » nécessite lui aussi une explication. On peut se féliciter qu’il y ait un réel investissement sur les actions n° 1 et 2 relatives respectivement au soutien aux établissements d’enseignement supérieur et à l’insertion professionnelle et au soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle, notamment pour ce qui concerne le développement des bourses spécifiques aux étudiants des établissements d’arts et des classes préparatoires publiques, la création de cursus de troisième cycle, la formation continue et les dispositifs d’éducation et d’accessibilité artistiques dans les zones rurales et prioritaires. Si ces mesures sont effectivement mises en place, ce sera positif.
En revanche, nous sommes plus circonspects sur le transfert d’une partie de l’action n° 3, Action culturelle internationale, vers le programme 334, « Livre et Industries culturelles ». Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur le sens de ce transfert en nous indiquant où vont se retrouver les 2 millions d’euros soustraits du programme 224 ?
Dernier élément, si l’on peut se réjouir de l’augmentation de 137 équivalents temps plein pour 2016, je note toutefois qu’il s’agit davantage d’un jeu de vases communicants que de la création ad hoc d’emplois, malgré les 90 apprentis prévus dans le cadre du plan de développement de l’apprentissage dans la fonction publique.
Au total, si, à nos yeux, la hausse du budget de la mission « Culture » est bien évidemment une bonne nouvelle, elle semble toujours en deçà, à la fois, des défis que notre société doit relever, particulièrement en ce moment, des ambitions nécessaires et des besoins et manques criants qui demeurent exprimés par les professionnels.
C'est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce budget.