Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 28 novembre 2015 à 14h30
Loi de finances pour 2016 — Culture

Fleur Pellerin :

Depuis 2012, il avait fait de l’Odéon-Théâtre de l’Europe l’un des creusets les plus vibrants, les plus brûlants de la création contemporaine, en y transposant l’esprit qui avait fait les beaux jours de la Schaubühne ou des Wiener Festwochen, qu’il avait magnifiquement dirigées.

Nombre de ses spectacles – Sylvie Robert en a rappelé certains – nous ont marqués : Ivanov, les Fausses Confidences, le Retour ou Tartuffe à l’Odéon, mais aussi, plus éloignées, ses mises en scène historiques comme Terre étrangère, à Nanterre, en 1984.

En cet instant, j’ai une pensée pour sa femme, Marie-Louise, ses enfants, sa famille, pour le personnel du théâtre national de l’Odéon, qui est bouleversé. Je veux dire la tristesse qui nous étreint et leur présente – en mon nom, mais également, je n’en doute pas, en votre nom – mes plus sincères condoléances.

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, madame la présidente de la commission de la culture, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous remercier avant toute chose pour la très grande qualité de vos prises de parole. Je vais m’efforcer de répondre à mon tour aux interrogations que vous avez formulées.

Chacun mesure, je le sais, la gravité des circonstances dans lesquelles il vous revient d’examiner le projet de budget de mon ministère pour l’année 2016. Vous y avez tous fait référence.

Hier, la Nation tout entière a rendu hommage à celles et ceux qui ont perdu la vie dans les attentats du 13 novembre.

Ces femmes et ces hommes, qui étaient la jeunesse de France, ont été assassinés alors qu’ils prenaient part à la vie culturelle de notre pays, à ces moments de joie, de liberté, de partage, d’émotion, de convivialité qui donnent de l’épaisseur à notre existence et nous rassemblent par-dessus tout. C’est aussi cet esprit que les terroristes ont voulu abattre. Ils n’y sont pas parvenus, et je crois qu’ils n’y parviendront pas.

La France, en effet, est déterminée à combattre les fanatiques qui ont ordonné et perpétré ces attentats, tout comme l’obscurantisme qui les a inspirés. Ce combat s’incarne aussi, et surtout, dans la culture.

Plus que jamais, la France doit demeurer cette terre de création qu’elle veut être, et n’a jamais cessé d’être. Au fanatisme, nous opposerons donc toujours plus de spectacles, toujours plus de musique, de films ou de livres, toujours plus de diversité, toujours plus de renouvellement créatif.

Plus que jamais, la culture doit être accessible à tous. Auprès de ceux qui se vivent loin de la vie culturelle, mais n’aspirent qu’à y participer, nous devons faire venir la culture.

C’est grâce à une vie culturelle toujours plus riche, plus intense, plus diverse, toujours plus créative et ouverte, que nous pourrons opposer, à ceux qui s’en prennent à la France, un pays toujours plus uni et des citoyens toujours plus libres. Telle est la conviction du Gouvernement, conviction que traduit concrètement ce projet de loi de finances pour 2016.

Pour tendre vers cet objectif, il vous est donc proposé d’augmenter de 2, 7 % le budget de mon ministère, en le portant à 7, 3 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter le fonds de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, qui disposera, en 2016, de 672 millions d’euros.

Avant d’évoquer plus précisément les politiques publiques de la culture que je souhaite abonder en priorité et le montant des crédits que le Gouvernement vous propose de leur consacrer, permettez-moi de m’attarder un instant sur les mesures d’urgence que nous avons prises pour protéger la culture et l’aider à faire face aux conséquences des attaques qui nous ont frappés.

J’ai d’abord voulu m’assurer que la sécurité soit renforcée dans les lieux de culture.

En lien avec le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris, mon ministère a pris une série de mesures dès le lendemain des attentats. Il les a complétées au fil des jours, en fonction des besoins des établissements publics et privés, des services et des entreprises de spectacle.

Les sites les plus sensibles, qu’ils soient donc publics ou privés, ont fait l’objet d’une attention particulière. Ces mesures de sécurité sont mises en œuvre grâce aux nouveaux moyens financiers et humains déployés, à la demande du Président de la République, dans le cadre de l’état d’urgence.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, le renforcement de la sécurité ne s’oppose pas au renforcement de la culture. Je vous sais convaincus comme moi sur ce point : si l’on veut que les Français se rendent dans les lieux de culture, que les artistes continuent de jouer toujours davantage, il faut commencer par les rassurer et leur garantir qu’ils pourront le faire en toute sérénité.

À la suite des attentats du 13 novembre, les lieux de culture ont connu une baisse sensible de leur fréquentation.

Même si la situation s’est redressée au cours des derniers jours, cette baisse peut menacer la viabilité économique de certaines entreprises, notamment pour le spectacle vivant. C’est pourquoi j’ai annoncé, dès le 16 novembre, la création d’un fonds de soutien exceptionnel dédié au spectacle vivant, pour faire face aux annulations comme au financement de nouvelles mesures de sécurité.

Pour l’instant, ce fonds est doté de 4 millions d’euros, dont 500 000 euros apportés par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SACEM. Ce n’est qu’un début, et j’invite fortement ceux qui le peuvent, contributeurs du monde culturel, donateurs privés, à venir l’abonder. Un amendement au projet de loi de finances rectificative sera d’ailleurs prochainement proposé par le Gouvernement en ce sens.

J’ajoute, avec un soupçon de fierté, que le vendredi même où ces événements tragiques ont eu lieu, l’Assemblée nationale adoptait un amendement parlementaire tendant à créer un crédit d’impôt pour le spectacle vivant. Les professionnels du spectacle peuvent compter sur l’accompagnement et le soutien de mon ministère.

S’agissant des salles de cinéma, les dépenses d’équipement supplémentaires pour la sécurité seront désormais éligibles aux fonds de soutien du CNC. Enfin, un service en ligne est disponible pour tous les organisateurs de manifestations culturelles et les artistes qui en auraient besoin.

Ces efforts s’articulent, bien sûr, avec d’autres dispositifs de financement interministériel et avec les fonds débloqués par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence.

Le ministère de la culture est donc mobilisé, aux côtés des artistes, des publics et de l’ensemble des professionnels de la culture, pour aider chacun à passer ces moments difficiles et douloureux.

Mais l’urgence n’est pas tout. Il nous faut également agir sur le moyen et le long terme. C’est tout particulièrement l’ambition de la mission « Culture », dont le Gouvernement vous propose de porter les crédits à 2, 7 milliards d’euros.

Conformément aux priorités définies par le Président de la République, et en cohérence avec la réforme de l’intermittence que nous avons engagée, j’ai choisi d’agir prioritairement pour renforcer la participation de tous à la vie culturelle, pour accompagner davantage la création et pour moderniser les politiques publiques du ministère, et ce afin de mieux préparer l’avenir.

Ce projet de budget, enrichi en première lecture par l’Assemblée nationale, est le reflet de ce triple objectif.

Pour renforcer la participation de tous à la vie culturelle, ce qui est notre première priorité, les crédits que nous affectons à la démocratisation culturelle atteindront près de 100 millions d’euros en 2016, contre 75 millions d’euros en 2012.

L’éducation artistique et culturelle représente plus de la moitié de nos financements en la matière : 54, 6 millions d’euros y seront consacrés, soit 35 % d’augmentation par rapport à 2015.

Ces crédits en hausse viennent notamment appuyer le retour de l’État dans le financement des conservatoires conventionnés – en progression de 8 millions d’euros –, le renforcement du plan d’éducation artistique et culturelle – porté l’an prochain à 14, 5 millions d’euros – ou encore le soutien à des projets d’accès à la pratique orchestrale, comme le Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, ou DEMOS, qui verra ses crédits augmenter de 1 million d’euros.

Nous créerons aussi 65 postes supplémentaires entre 2015 et 2016 pour accompagner l’ouverture, aux enfants et aux publics les plus éloignés de la culture, des musées d’Orsay et du Louvre, ainsi que du château de Versailles.

Les territoires pourront compter sur le soutien de l’État pour développer l’accès de tous à la culture. De fait, les crédits en région augmenteront de 2, 2 % par rapport à 2015, pour atteindre 780 millions d’euros.

Je précise, à l’attention de Mme Marie-Pierre Monier qui m’interrogeait sur la visibilité des crédits des DRAC, que les conférences de stratégie et de gestion, telles que l’on nomme ces réunions internes au ministère de la culture, viennent juste de se terminer. Par conséquent, les DRAC se verront notifier le montant annuel de leurs crédits d’ici la mi-décembre. Cela leur permettra, bien évidemment, d’anticiper au mieux la gestion desdits crédits pour 2016.

Par ailleurs, les moyens consacrés aux pactes culturels que j’ai signés avec les collectivités territoriales qui maintiennent leurs efforts en matière de culture, seront renforcés. Les élus qui ont fait, font ou feront le choix de la culture pourront donc compter sur le soutien de l’État.

Je précise qu’à ce jour 45 pactes ont été signés avec des collectivités territoriales pour couvrir environ 3, 6 millions d’habitants, ce qui représente 400 millions d’euros de dépenses culturelles stabilisées pour les trois prochaines années.

Bien sûr, l’État n’a pas vocation à se substituer aux collectivités qui réduisent leurs engagements en faveur de la culture, mais je compte beaucoup sur ces pactes, et sur l’implication des collectivités territoriales en faveur de la culture, pour pouvoir rassurer l’ensemble des acteurs culturels locaux.

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