Intervention de Daniel Gremillet

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 décembre 2015 à 9h35
Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, rapporteur :

Déposée par Jean-Claude Lenoir et plusieurs collègues le 16 octobre dernier, la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire est discutée dans un contexte de forte crise des filières d'élevage - lait, viande porcine ou bovine. Si l'année 2015 a été dure, le début de l'année 2016 s'annonce également difficile, avec des prix de vente qui risquent de rester bas. Depuis les premières manifestations de la crise agricole au printemps dernier, le Sénat n'est pas resté inactif : le 4 juin, notre commission a invité le ministre, M. Le Foll, à faire un point sur la situation ; le 16 juillet, à l'initiative du Président Larcher, une table ronde avec les professionnels des filières agricoles et alimentaires s'est tenue au Sénat ; le 22 septembre, notre commission a entendu les initiateurs de la grande manifestation nationale du 3 septembre à Paris : la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs nous ont exposé leurs analyses et leurs revendications ; le 6 octobre, nous avons entendu la déclaration du Gouvernement puis débattu en séance sur la situation et l'avenir de l'agriculture ; le 8 octobre, notre commission, avec la commission des affaires européennes, a reçu le commissaire européen Phil Hogan.

La réponse passe par des mesures conjoncturelles, prévues par le plan de soutien à l'élevage du Gouvernement. Cependant cette crise a aussi une dimension structurelle, liée à la dégradation de la compétitivité de nos filières agricoles et agroalimentaires. En témoigne la baisse de la balance commerciale agricole et agroalimentaire, passée d'un excédent de 12 à 13 milliards d'euros en 2011-2012 à 9,2 milliards d'euros en 2014. La balance est tout juste équilibrée lorsque l'on ne prend pas en compte les vins et spiritueux. La dégradation de notre autosuffisance en productions animales est flagrante, avec des pertes de production dans le secteur porcin, et un recul de nos parts de marché à l'export dans le lait.

Selon le rapport Agriculture Innovation 2025, remis par quatre experts au ministre de l'agriculture le mois dernier, nous avons partout perdu du terrain : dans les pays du nord de l'Europe, la part des importations d'origine française est passée de 12,4 % en 2005 à 9,8 % en 2013. Le rapport recommande de créer un observatoire de la compétitivité pour mieux mesurer le phénomène, une bonne idée que l'article 40 de la Constitution nous empêche de concrétiser par la loi.

La proposition de loi répond à l'enjeu majeur de la compétitivité, dans un environnement européen moins protecteur et dans des marchés agricoles plus volatils. Elle arme mieux la production mais aussi la transformation, car l'industrie agroalimentaire et l'agriculture ont un destin lié : les usines de lait, de sucre, les abattoirs et les ateliers de découpe assurent le maillage de nos territoires ruraux. Sans transformation, nos agriculteurs n'ont plus de clients, et sans agriculteurs, la transformation n'a plus de fournisseurs. Cette solidarité de fait est cependant mise à mal par la crise, qui exacerbe les conflits de répartition.

Même si, par ses remarquables travaux, l'Observatoire des prix et des marges a objectivé les situations, les filières sont minées par des désaccords stratégiques et une faible confiance réciproque. Or, définir des stratégies communes est indispensable pour la réussite de nos filières à l'export, et la nécessité de chasser en meute commence à être comprise dans les secteurs de la viande bovine ou porcine.

La proposition de loi joue d'une série de leviers pour améliorer la compétitivité de l'agriculture et de l'agroalimentaire : une meilleure entente entre maillons des filières, qui s'encourage mais ne se décrète pas ; l'investissement en agriculture et agroalimentaire, pour faire progresser notre outil de production face à des concurrents européens qui ont investi massivement ; un allègement des normes trop contraignantes ; un encouragement à la gestion des risques ; une baisse des charges qui dégradent la compétitivité-prix des productions animales et végétales.

Le texte comporte 13 articles répartis en quatre chapitres. Deux articles améliorent les relations entre maillons des filières agricoles et agroalimentaires : l'article 1er dispose que la contractualisation prendra en compte les coûts de production des agriculteurs, pour mieux répartir les efforts à réaliser dans les filières ; l'article 2 instaure une conférence agricole annuelle pour réunir tous les acteurs de chaque filière, afin de rapprocher leurs points de vue et leurs anticipations sur la situation des marchés.

Grâce à l'article 3, le consommateur pourra connaître l'origine des produits transformés à base de viande ou de lait qu'il achète. Le dispositif contourne astucieusement l'interdiction européenne d'imposer l'étiquetage de l'origine. Selon un rapport de la Commission européenne de mai dernier, cela renchérirait jusqu'à 30 % le coût d'approvisionnement des industriels. Une telle allégation paraît tout à fait fantaisiste, dès lors qu'une traçabilité des produits dans les usines est obligatoire.

Deux articles facilitent l'accès au crédit des agriculteurs et des acteurs de l'agroalimentaire : l'article 4 met en place une modulation automatique du remboursement du capital des emprunts souscrits par les agriculteurs pour financer l'investissement, lorsqu'une crise intervient dans leur secteur d'activité. De telles flexibilités existent déjà dans certains contrats de prêts. Ainsi les agriculteurs n'auront pas à négocier en situation de faiblesse, au plus fort de la crise, lorsque leur trésorerie est exsangue. Ils pourront faire face plus facilement à des creux dans leur activité.

L'article 5 instaure un livret vert, sur le modèle du livret de développement durable, pour drainer l'épargne populaire vers des investissements en agriculture et agroalimentaire. Même si le secteur agricole et agroalimentaire ne souffre pas d'un manque de financement, il faut attirer des capitaux extérieurs tout en ne dépossédant pas l'agriculteur de la maîtrise de son outil de travail. Sans être la panacée, le livret vert aide à construire un lien financier entre l'agriculture et la population, à travers l'épargne.

La proposition de loi améliore la gestion des risques en agriculture. L'article 6 étend la déduction pour investissement, mais surtout modifie le mécanisme de la déduction pour aléas avec une réserve spéciale d'exploitation agricole (RSEA), d'utilisation beaucoup plus simple : en cas de forte baisse de la valeur ajoutée produite sur l'exploitation, la RSEA pourra être utilisée librement par l'agriculteur. Est prévue aussi une augmentation du plafond de ce dispositif fiscal pour tenir compte de la taille des entreprises agricoles. L'article 7 encourage l'investissement en ouvrant le bénéfice du dispositif du suramortissement Macron voté en avril dernier aux investissements dans les bâtiments agricoles et les installations de stockage qui seront réalisés en 2016. Cela favorisera la mise aux normes, notamment pour respecter la directive « nitrates ». L'objectif est aussi et surtout de moderniser les bâtiments, rénover les fermes, gagner en efficacité.

Deux articles simplifient les normes applicables à l'agriculture : l'article 8 allège le régime des installations classées dans le secteur de l'élevage, en ne maintenant le régime d'autorisation que lorsqu'il est exigé par la directive européenne du 24 novembre 2010 afin de lutter fermement contre la sur-transposition. L'article 12 exige qu'un plan de simplification des normes en agriculture et agroalimentaire soit présenté et adopté au Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CSO) et rendu public. La simplification ne doit pas être uniquement une question technique mais un enjeu politique, partagé par tous les acteurs, y compris la société civile.

Trois articles sont purement orientés en faveur de la compétitivité-coût des exploitations agricoles : l'article 9 allège les charges qui pèsent sur le travail des salariés agricoles. Une disposition similaire, votée en loi de finances initiale pour 2012, n'a jamais été mise en oeuvre par crainte de contestation par Bruxelles. Or, chaque État-membre de l'Union européenne a sa stratégie en matière de protection et de droits sociaux. Empêcher la France de définir un dispositif spécifique de prise en charge de la protection sociale des salariés agricoles est tout à fait contestable : l'article 9 a parfaitement sa place, sans attendre un quelconque feu vert de Bruxelles. L'article 10 porte l'exonération dégressive de charges sociales des jeunes agriculteurs de cinq à six ans, car les deux premières années ne sont pas forcément les plus dures pour un nouvel installé. Le Sénat a d'ailleurs repris cet article le 9 novembre dernier lors de la discussion du projet de loi de finances. L'article 11 autorise exceptionnellement les agriculteurs ayant opté pour le calcul de leurs impôts à la moyenne triennale de revenir à un calcul sur l'année en cours, afin de ne pas les imposer lourdement en 2016 au titre de 2015, alors que la crise a effondré leurs revenus. Le dernier article gage les dispositifs.

Depuis début novembre, j'ai mené plus de 25 auditions, ouvertes à tous mes collègues, pour recueillir l'avis des parties prenantes et des propositions complémentaires. Le diagnostic sur la perte de compétitivité de l'agriculture et l'agroalimentaire est largement partagé. L'urgence d'agir est également soulignée. Que l'on soit d'accord ou pas avec l'orientation vers les marchés de la PAC, celle-ci s'impose à nous, et nous n'avons pas le choix : il faut être performants. Les voies de la performance sont multiples, mais on ne pourra pas faire l'impasse sur la compétitivité-prix et sur l'optimisation des coûts, sauf à se condamner à n'intervenir que sur des marchés de niche, qui ne feront pas vivre tous nos agriculteurs.

Destiné à renforcer l'efficacité de la proposition de loi, le premier bloc d'amendements concerne les relations commerciales agricoles : la prise en compte des coûts de production individuels n'étant pas possible dans le cadre de la contractualisation, je propose de conserver l'obligation de référence à la notion de coûts sous forme d'indicateurs d'évolution des coûts de production. Il s'agit d'indexer les prix payés aux producteurs non seulement sur les prix mondiaux, mais aussi sur les charges dans une logique de partage des efforts. C'est possible, certains industriels comme Danone le font déjà. Pour éviter le risque d'entente sur les prix, je vous inviterai à modifier l'article 2 pour mettre en place des conférences de filière sous l'égide du médiateur des relations commerciales agricoles.

Le deuxième bloc d'amendements concerne la gestion des risques : je vous soumets plusieurs modifications à l'article 6, pour renforcer l'efficacité de la RSEA qui remplace la déduction pour aléas. Je suggère d'imposer aux jeunes agriculteurs qu'ils s'assurent contre le risque climatique : ne pas s'assurer est totalement irresponsable. Les agriculteurs doivent pouvoir assurer les risques économiques couvrant leurs approvisionnements ou leurs livraisons. Encourageons cette pratique en mettant en place un crédit d'impôt sur une fraction des primes d'assurance versées à cet effet, et qui ne bénéficient pas du dispositif de subvention aux assurances climatiques.

Le troisième bloc d'amendements concerne l'encouragement des investissements en agriculture : je propose d'étendre aux coopératives le dispositif de suramortissement Macron sur les bâtiments et installations de stockage, mais de supprimer à l'article 6 l'extension aux bâtiments du bénéfice de la déduction pour investissement (DPI), dans la mesure où les deux dispositifs sont concurrents, et qu'une DPI élargie peut provoquer de nombreux effets d'aubaine, conduisant, à terme, à une remise en cause totale. Il est plus prudent de choisir une seule voie pour encourager l'investissement : le suramortissement.

Le quatrième et dernier bloc concerne le droit de l'environnement applicable à l'agriculture et en particulier à l'élevage. La conduite de projets impliquant l'obtention d'une autorisation au titre des installations classées constitue souvent un parcours du combattant. Une fois sur quatre, les autorisations sont contestées en justice, et une fois sur huit, l'autorisation est annulée par la justice. Il faut à la fois alléger les procédures et les accélérer. La réduction des délais de recours dans la loi Macron va dans le bon sens, même si du chemin reste à parcourir. J'ai rencontré le groupe qui travaille sur la simplification des normes. La solution retenue dans l'article 8 met fin à toute sur-transposition, mais présente aussi un risque de sous-transposition : elle interdit de passer par la procédure d'autorisation pour des dossiers lourds non prévus par l'annexe de la directive européenne, alors que cette directive exige des États membres une analyse au cas par cas. Mon amendement relève le seuil des autorisations pour le secteur bovin (lait et viande) ; les seuils des secteurs porcins et volailles ont déjà été relevés par décret ces dernières années.

Je propose également d'aligner jusqu'à fin 2019, à titre expérimental, les exigences de contenu des études d'impact sur les exigences européennes. Selon mes auditions, la discordance entre le texte européen et le texte national peut être source de contentieux.

Avec les collègues qui ont participé aux auditions, nous avons rencontré des gens passionnants et passionnés, qui croient en l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Tous ont souligné l'intérêt de cette proposition de loi. Ils attendent beaucoup de nous, mais pour continuer d'y croire, ils ont besoin de notre appui et de notre mobilisation, tout en ayant conscience que nos marges de manoeuvre sont limitées : ce n'est pas ici que nous allons modifier les règles de la PAC. Mais c'est peut-être ici qu'on pourra imaginer les meilleurs moyens de s'y adapter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion