Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce début de XXIe siècle, tous les pays prennent conscience que les affaires étrangères sont intimement liées aux affaires intérieures. Les partis populistes qui veulent instaurer des barrières partout ne gagneront jamais contre ce mouvement inhérent à l’homme de découverte de territoires nouveaux qui nous a amenés dans l’espace lorsque nous avons enfin réalisé que le monde était un et connecté. La France l’a compris et s’est naturellement inscrite dans la mondialisation grâce à ses valeurs universelles et à une politique d’action extérieure ambitieuse, parce qu’elle aspire à rester un grand pays qui, malgré sa taille modeste, est attendu et entendu sur la scène internationale.
La France joue aujourd’hui pleinement son rôle dans la lutte contre le dérèglement climatique en organisant la COP 21 à Paris et en votant la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Elle demeure présente partout en assumant l’universalité de son réseau diplomatique, tout en l’adaptant au type de présence nécessaire : consulaire, si de nombreux Français sont présents, économique, culturel ou simplement politique. Elle soutient la francophonie grâce à ses écoles et lycées, son programme FLAM, ses instituts et alliances françaises, et promeut ainsi nos valeurs au-delà de la langue. Elle coordonne efficacement son action militaire et diplomatique, afin de concilier les besoins sécuritaires de nos emprises et de nos communautés, ainsi que les relations politiques avec les autorités locales. Elle participe aux négociations internationales pour assurer la paix et la stabilité dans le monde. Enfin, elle demeure l’un des plus gros contributeurs à l’aide au développement et accompagne la résolution des crises humanitaires.
Dans l’Union européenne, la France est force de propositions en matière de régulation économique pour rechercher des solutions à l’évasion fiscale, au dumping social, aux crises financières.
Nous l’avons tous compris, les décisions prises à l’échelon international en matière de climat, de sécurité, de culture, d’éducation, d’économie affectent directement notre vie quotidienne. Alors, nous n’avons pas le choix. Si nous désirons rester maîtres de nos destins, nous devons être présents, prendre part au processus décisionnel et tenir notre place. C’est le choix politique qui est fait depuis plusieurs décennies. Il n’est pas aisé, dans le contexte budgétaire actuel, d’assurer cette présence. Nous avons besoin de moyens, mais nous ne les avons plus. Alors, il nous reste notre capacité d’invention et de réforme pour nous adapter aux évolutions rapides du monde, tout en continuant à assurer un service public de qualité.
Le budget pour 2016 est « économe », pour reprendre le terme de Laurent Fabius, et participe du redressement des finances publiques. Il est cependant regrettable que le ministère au plus petit budget continue à être soumis au même régime que les autres. Cela l’oblige à être plus créatif et certainement plus rapide pour répondre aux défis qui se présentent à nous.
Le premier défi à relever est celui d’une France dotée d’une diplomatie globale couvrant l’ensemble des domaines de l’action extérieure, dont les effectifs et les moyens ont diminué, jusqu’alors, chaque année. Pour 2016, le budget de la mission « Action extérieure de l’État » est stable. Il reste donc les réformes. Elles sont nombreuses depuis 2012.
Après la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, dont les coupes dramatiques ont affecté l’ensemble des programmes, une différenciation des postes en fonction des priorités et des besoins locaux a été mise en place. Ainsi, les moyens ont été progressivement réorientés vers les pays émergents et la cartographie du réseau a été graduellement adaptée aux intérêts de la France.
L’élargissement du périmètre du ministère des affaires étrangères au commerce extérieur et à la promotion du tourisme participe de la volonté de rassembler l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour la diplomatie économique. Le regroupement de ceux-ci est très vite devenu une nécessité pour qu’ils travaillent sur des objectifs communs, tout en leur donnant plus de visibilité pour être encore plus performants. L’adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations est d’ailleurs un autre exemple de cette volonté de créer de nouvelles entités plus concurrentielles. Enfin, une meilleure exploitation des potentialités numériques a progressivement introduit la dématérialisation des démarches et rendu plus accessibles les services consulaires, comme l’a rappelé Marie-Françoise Perol-Dumont.
Néanmoins, aucun de ces changements n’aurait été réalisé sans le dévouement, la compétence et le sens du service public des agents du ministère qui acceptent la modification constante de leurs conditions de travail. Cette maison, que j’ai appris à connaître, n’a de cesse de se transformer, de s’adapter, de se moderniser. Les agents recrutés localement sont particulièrement précieux dans un dispositif auquel ils apportent la mémoire du poste. Leur travail mérite d’être salué tout autant que celui des agents souscrivant à la mobilité.
Je souhaite cependant vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur le périmètre d’intervention de nos services consulaires. Le financement des postes est sous tension, alors que le nombre de Français résidant ou séjournant temporairement à l’étranger augmente chaque année. La palette des services proposés par nos consulats est bien plus large que celle qui est offerte par les consulats des autres pays.
Il me semble que nous pouvons difficilement nous inscrire pleinement dans le multilatéralisme tout en maintenant cette singularité propre à notre pays. Je ne suggère pas de diminuer nos missions, à l’exception peut-être de l’exercice des compétences notariales hors de l’Union européenne ; je pense plutôt à la prise en charge de certaines missions par d’autres ministères ou au partage de certaines compétences avec d’autres pays. Je souhaite savoir si ces options sont envisagées, afin de soulager les équipes consulaires et de leur permettre de se concentrer sur les missions prioritaires.
Le second défi à relever est celui de notre diplomatie de rayonnement culturel. Il est utile de souligner que le renforcement de la langue française dans le monde constitue une priorité aux yeux de tous. Les pays francophones représentent 16 % du PIB mondial et connaissent un taux de croissance de 7 %. Quels moyens entendez-vous déployer, monsieur le secrétaire d'État, pour développer une véritable francophonie économique ?
La culture et l’éducation sont des instruments de rayonnement qui consolident et démultiplient notre influence dans le monde. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger mérite notre soutien. La préservation de ses crédits aurait constitué un signal fort et aurait permis son inscription dans la priorité nationale donnée à la jeunesse. Je n’en dirai pas plus, les collègues qui m’ont précédée étant suffisamment intervenus sur ce thème.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il existe indéniablement une présence physique de nos réseaux diplomatique, consulaire, économique, éducatif et culturel, mais notre véritable force est humaine. Près de 3 millions de nos compatriotes sont établis outre-frontières ; ils restent très attachés à la France et sont les spectateurs privilégiés de la mondialisation.
Si nous étions capables de synthétiser les intérêts foisonnants et de coordonner les actions extérieures dans le sens d’une plus grande efficacité globale pour la défense des intérêts de notre pays, ce serait une victoire collective pour la France. Je crois que les Français y sont prêts.
Je terminerai mon intervention en partageant trois témoignages, recueillis après les attentats du 13 novembre, et qui émanent de ceux dont l’attachement à la France n’est pas seulement sentimental :
« On se sent loin, seul, mais surtout coupable de ne pas être là, coupable d’être parti. J’ai eu l’impression que j’avais abandonné mon pays, je me suis sentie très égoïste. »
« Quand je vois mon drapeau flotter à l’étranger, ça ne me fait pas le même effet qu’en France. Cela représente les valeurs qui font de nous un pays uni. »
« Cela m’a fait réfléchir à long terme. Avant, je pensais facilement pouvoir faire ma vie en Suède. Maintenant, je commence à me dire que je pourrais rentrer en France. »
Cela étant, je soutiendrai bien entendu le projet de budget que vous présentez, monsieur le secrétaire d’État.