Intervention de Jean-Marie Le Guen

Réunion du 2 décembre 2015 à 14h45
Loi de finances pour 2016 — Conseil et contrôle de l'état

Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, avant toute chose, à remercier l’ensemble des orateurs pour leurs interventions précises, riches et constructives.

Vous avez tous souligné la bonne gestion et la performance des quatre institutions dont les crédits relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Ces institutions contribuent de manière significative au bon fonctionnement de l’État et de la démocratie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a tenu à préserver leurs crédits, tout en renforçant, cette année encore, les moyens dévolus aux juridictions administratives, qui font face, comme vous l’avez souligné, à une pression contentieuse de plus en plus forte.

Ces conditions budgétaires positives ont été soulignées tant par votre rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier, que par votre rapporteur pour avis, M. Michel Delebarre. Et je me réjouis qu’en conséquence les deux commissions compétentes aient émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.

Toutefois, à l’écoute attentive de chacune de vos interventions, j’ai compris que des interrogations légitimes persistaient sur plusieurs sujets.

Les bonnes performances des institutions dont les crédits relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l’État » et la préservation de leurs moyens budgétaires ne doivent pas nous exonérer d’une réflexion approfondie sur les tâches toujours plus nombreuses que le législateur leur confie. Je vais donc m’efforcer, dans le respect de l’indépendance des institutions concernées, d’apporter des réponses aussi claires que possible à vos interrogations.

Pour ce qui concerne les juridictions administratives, plusieurs orateurs ont souligné que le rythme de croissance des contentieux de masse risquait, à terme, de provoquer une dégradation des délais de jugement.

Pour illustrer mon propos, je rappellerai que les contentieux sociaux, qui comprennent notamment le contentieux du droit au logement opposable, le DALO, ou celui du revenu de solidarité active, le RSA, représentent 16 % des affaires enregistrées par les tribunaux administratifs. Par ailleurs, leur volume a augmenté de plus de 20 % dans la seule année 2014. L’activité de la Cour nationale du droit d’asile augmente elle aussi chaque année, à hauteur de 7 %.

La progression de ces contentieux appelle des réponses sérieuses et ambitieuses de la part du Gouvernement.

En premier lieu, comme l’ont souligné M. le rapporteur général de la commission des finances et M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, 35 postes nouveaux seront créés dans la justice administrative en 2016, comme en 2015. Ces créations d’emplois sont principalement destinées aux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d’asile. C’est la raison pour laquelle les crédits du programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » progresseront en 2016 de 1 % par rapport à 2015.

Certains orateurs ont fait part de leurs interrogations quant aux moyens octroyés à la CNDA pour respecter le nouveau délai de jugement, fixé à cinq mois par le législateur dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

L’augmentation des crédits de la CNDA, inscrite en PLF 2016, de près de 3, 6 % pour le titre 2 et de 5, 6 % pour les dépenses globales, s’inscrit dans une stratégie pluriannuelle : depuis 2009, 144 ETP supplémentaires sont venus renforcer la capacité de jugement de cette juridiction, ce qui a permis, dans le même temps, de diviser par deux le délai moyen de jugement, aujourd’hui de six mois.

Certes, nous savons que cette moyenne se dégradera en 2016, en raison du « déstockage » important de dossiers en instance de l’OFPRA. Cependant, cette dégradation sera conjoncturelle et ne saurait remettre en cause l’objectif de moyen terme que nous avons fixé ensemble à cinq mois.

En second lieu, le Gouvernement salue et encourage la mise en place de procédures allégées et plus rapides.

Le développement des procédures à juge unique, même s’il soulève un certain nombre d’interrogations, permet ainsi d’absorber une part de l’augmentation des recours, notamment en matière d’asile. En tout état de cause, je partage l’avis de M. Delebarre : ces procédures simplifiées doivent être réservées aux affaires dont l’issue est évidente. Je pense, par exemple, au contentieux du droit au logement opposable.

Je me réjouis que le juge administratif, en modernisant son office, soit parvenu à concilier deux droits du justiciable, à savoir le droit au procès équitable et le droit à un « délai raisonnable de jugement », affirmés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, nous ne saurions nous affranchir d’une réflexion plus large sur l’état de notre droit. Nous devrons notamment réfléchir, de manière approfondie et sincère, au droit au logement opposable.

Enfin, plusieurs d’entre vous ont, en commission ou dans leurs interventions, déploré que le délai de traitement des affaires ordinaires ne soit plus mentionné dans les indicateurs de performance de la justice administrative.

L’indicateur correspondant a en effet été supprimé dans le PLF 2015 afin de répondre au souhait du Parlement de rationaliser les indicateurs de performance, foisonnants, trop nombreux. Cependant, permettez-moi de souligner que les réponses adressées par les juridictions aux questionnaires des commissions compétentes font état de la poursuite de l’effort de « rajeunissement du stock », ce qui implique naturellement une amélioration du délai de traitement des affaires ordinaires.

Ainsi, la part des affaires enregistrées depuis plus de deux ans représente, en 2015, 9, 5 % du total des affaires en stock dans les tribunaux administratifs, contre 11, 6 % en 2013. Le délai moyen évoqué par MM. Delebarre et Canevet continue de s’améliorer, pour s’établir à un an, neuf mois et quatre jours devant les tribunaux administratifs, et à un an, deux mois et un jour devant les cours d’appel.

J’en viens à présent aux juridictions financières, et plus particulièrement à la Cour des comptes, que le Sénat connaît bien, puisqu’à sa demande, et en application de l’article 58, 2°, de la LOLF, la Cour lui a remis cinq rapports en 2015, comme l’a rappelé M. Canevet.

Le budget des juridictions financières est, lui aussi, préservé. Je crois qu’il s’agit là d’une nécessité, compte tenu des nouvelles missions que le législateur a confiées ou entend confier aux juridictions financières, qu’il s’agisse de la certification des comptes des collectivités locales ou du contrôle des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux prévu dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Concernant la certification des comptes des collectivités locales, je voudrais répondre aux remarques de M. le rapporteur général de la commission des finances. L’expérimentation, prévue par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, débutera en fait en 2018. La Cour a déjà installé une équipe « projet » chargée d’élaborer un plan d’action pour les huit ans à venir, et un cahier des charges doit prochainement être rédigé à l’intention des collectivités, dont plusieurs sont déjà candidates à l’expérimentation.

Il n’est cependant pas possible de définir pour l’instant les moyens complémentaires qui seront nécessaires pour l’accomplissement de cette nouvelle mission. Ils dépendront en effet du périmètre de l’expérimentation et du nombre de collectivités concernées. Néanmoins, il ne fait aucun doute que la capacité d’innovation des juridictions financières permettra aussi de relever ces nouveaux défis.

J’en veux pour preuve la réforme de la carte des juridictions financières de 2011, qui a réduit le nombre de chambres régionales des comptes de 20 à 15. Si elle a suscité de nombreuses critiques lors de sa conception, cette réforme s’est finalement déroulée dans un esprit consensuel, et son coût est inférieur à ce qui était prévu.

La loi relative à a délimitation des régions prévoit une nouvelle réduction du nombre des chambres régionales des comptes, qui passeront de 15 à 13, pour l’adapter à la carte des régions. Le Gouvernement sera attentif à ce que le coût de cette réforme soit supportable pour les juridictions financières.

À terme, grâce aux gains de productivité et aux économies d’échelle réalisés, les CRC pourront non seulement se montrer plus efficaces dans l’exercice de leurs missions traditionnelles, mais aussi atteindre la taille critique nécessaire pour remplir de nouvelles missions.

Je voudrais également saluer la gestion du Conseil économique, social et environnemental opérée sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye. Hors titre 2, le montant des crédits de paiement affectés à cette institution diminuera en 2016 de 2, 8 % par rapport à 2015, confirmant la tendance déjà observée en 2014. En 2016, 3 ETP seront supprimés. Je ne doute pas que le CESE poursuivra dans cette voie.

Vous aviez été nombreux à vous inquiéter, l’an dernier, de la situation de la caisse de retraite des anciens membres de cette institution. Sachez que le bureau du Conseil économique, social et environnemental a voté en 2015 une réforme importante visant à assurer la pérennité du régime en question au-delà de 2020, sans solliciter un concours supplémentaire de l’État.

Comme l’a souligné M. le rapporteur général de la commission des finances, le Conseil économique, social et environnemental s’est engagé dans un cycle vertueux, notamment en valorisant le Palais d’Iéna pour financer la rénovation des bétons d’Auguste Perret, qui figurent parmi ses très belles réalisations.

Je terminerai en disant quelques mots sur le Haut Conseil des finances publiques. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur général, les faibles crédits du Haut Conseil ne lui donnent qu’une place marginale dans l’architecture de la mission. Un rattachement au programme des juridictions financières, envisagé en commission des finances, mériterait d’être mûrement réfléchi.

Je rappellerai à votre assemblée qu’un programme ad hoc a été inscrit à l’article 22 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques par le vote d’un amendement de M. Philippe Marini : présidant à l’époque la commission des finances du Sénat, il avait ainsi souhaité donner au Haut Conseil « une dotation spécifique afin de souligner son indépendance matérielle et fonctionnelle. »

Ainsi se présentent, retracés à grands traits, mesdames, messieurs les sénateurs, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », que le Gouvernement vous invite à adopter.

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