Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs spéciaux, mes chers collègues, il est bien difficile d’aborder cette mission « Travail et emploi » tant le constat que nous faisons est amer. Je n’ai, semble-t-il, pas les mêmes lunettes que notre collègue Éric Jeansannetas ; aussi, je ne porte pas forcément le même regard que lui sur ces chiffres.
Je passerai sur les fameuses promesses en matière d’emploi, alors que les chiffres du chômage ne cessent d’augmenter. À cet égard, les deux derniers mois sont à nouveau particulièrement catastrophiques, les orateurs précédents l’ont rappelé.
À cela, il faut ajouter toutes ces personnes qui ont « basculé » – pardonnez-moi l’expression – du statut de demandeur d’emploi vers les dispositifs d’accompagnement dans l’insertion. Il suffit de voir la progression des lignes budgétaires du revenu de solidarité active dans les conseils départementaux : c’est édifiant, pour ne pas dire effrayant.
Pour illustrer mon propos, je note que le budget de cette mission est quasi stable, alors même que le nombre de demandeurs d’emploi explose, avec une progression de 5, 6 % cette année.
Je parlerai d’abord des fameux contrats en tout genre dont le Gouvernement se prévaut pour réduire le chômage : contrats aidés, contrats de génération ou encore emplois d’avenir.
S’agissant des contrats aidés, nous constatons une diminution de leur nombre dans le secteur marchand : 80 000 ont été signés en 2015 et seulement 60 000 nouveaux contrats sont prévus pour 2016 ! Parallèlement, faute de dotations budgétaires suffisantes, les collectivités locales ont, en grand nombre, décidé de mettre un terme à ces contrats aidés, qu’elles ne peuvent plus continuer à financer. C’est pourquoi je soutiens l’amendement de la commission des finances, qui vise à soutenir les contrats aidés dans le secteur marchand, qui sont plus porteurs.
Par ailleurs, seuls 52 000 contrats de génération ont été signés au 20 septembre 2015, alors qu’il était prévu, à l’origine, d’atteindre 500 000 bénéficiaires, comme l’a rappelé Jean-Marc Gabouty. Là aussi, on est très loin du compte !
Enfin, pour les emplois d’avenir, les prévisions pour 2016 semblent en baisse.
Pour ce qui est de l’accompagnement, je parlerai de Pôle emploi et des maisons de l’emploi et de la formation, les MEF.
En ce qui concerne Pôle emploi, j’avais déjà appelé votre attention sur les inégalités de traitement dont sont victimes les demandeurs d’emploi.
Permettez-moi de prendre pour exemple ma région, Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Alors que la Cour des comptes, dans un rapport de 2013, préconisait un renforcement des agences dans le département de l’Aisne, les statistiques montrent que le nombre de conseillers par agence de Pôle emploi est inversement proportionnel au nombre d’inscrits ! Le taux de chômage y atteint 14, 9 % de la population active et le nombre moyen de chômeurs suivis par un conseiller est de 175, contre une moyenne nationale de 116.
Parallèlement, je signale l’étonnante décision de la direction régionale de Pôle emploi Picardie de fermer ses agences chaque après-midi, depuis le 12 octobre 2015. Une telle initiative paraît incompréhensible, à la fois pour les demandeurs d’emploi, mais aussi pour les personnels. Notre collègue Annie David a évoqué la généralisation de cette mesure au 1er janvier 2016. Ainsi, la Picardie a essuyé les plâtres…
Dans ces conditions, il est difficile de pérenniser un service public dont les usagers – demandeurs d’emploi et entreprises – sont particulièrement fragiles : un contact facilité et permanent avec leur agence semble donc essentiel. J’ai entendu tout à l’heure que le chômeur était au centre du dispositif ; il faut croire que c’est uniquement le matin…
En ce qui concerne les maisons de l’emploi et de la formation, les MEF, si l’on peut se satisfaire d’une convention pluriannuelle sur trois ans, minimum vital pour une action dans la durée, qui correspond également au temps nécessaire pour monter les dossiers et obtenir les financements européens souhaités, tels que ceux du Fonds social européen pour lesquels une particulière pugnacité est requise, il apparaît aussi nécessaire de stabiliser les sources et la durée des financements de l’État, qui sont en déclin.
La MEF de ma ville de Laon, pour le même programme d’actions, recevait 400 000 euros de l’État en 2007 ; en 2016, ce financement s’élèvera à 80 000 euros. La baisse est vertigineuse !
Il importe de rendre possible, pour ces structures, l’anticipation de la couverture financière des programmes mis en place par l’État. À l’heure actuelle, les MEF ne disposent d’aucune visibilité sur le maintien ou non de la garantie jeunes après 2017, par exemple.
Pour une meilleure efficacité, ne peut-on envisager une mutualisation des bases de données entre les opérateurs du champ de l’emploi et de la formation ? Aujourd’hui, les MEF et Pôle emploi agissent en parallèle sur le même segment d’activité, mais sans avoir développé de véritables synergies. Certes, l’échange de bases de données est un levier d’amélioration, mais aussi un sujet de rivalité : Pôle emploi possède une meilleure base de données, mais souffre d’une moindre efficacité opérationnelle que les MEF. Il serait cependant utile de se pencher sur cette question et d’améliorer les partenariats.
Je souhaite maintenant parler de l’apprentissage, voie d’orientation prometteuse pour de nombreux jeunes.
Le Président de la République, cela a été rappelé, avait fixé un objectif de 500 000 jeunes en apprentissage en 2017. Or, de deux études publiées en février dernier, il ressort que le bilan est particulièrement négatif. En 2013, le nombre d’apprentis a fléchi de 3, 1 % par rapport à 2012. Les entrées en apprentissage ont baissé de 6, 5 %, alors même qu’il est unanimement reconnu que cette formation est synonyme d’insertion et d’emploi.
Son développement chez nos voisins membres de l’Union européenne, où les taux de chômage sont bien moindres, en est la preuve évidente. Il nous appartient de relancer cette voie d’orientation, en facilitant les garanties auprès des entreprises et en répandant ce dispositif au sein d’une fonction publique encore bien frileuse.
Un état des lieux devait être fait en septembre sur la mobilisation en faveur de l’apprentissage, décrétée en septembre 2014 par le Premier ministre, avec, le cas échéant, l’annonce de mesures complémentaires. Qu’en est-il, madame la ministre ? Je vous remercie de nous répondre sur ce point.
Enfin, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », a confirmé l’attribution aux nouvelles régions des compétences dans le domaine de l’emploi et de la formation professionnelle. Néanmoins, celles-ci n’auront pas la responsabilité de la politique de l’emploi, mais pourront obtenir de l’État une délégation de service public. Elles coordonneraient alors tous les acteurs, sauf Pôle emploi, qui garde son autonomie. L’apprentissage relèvera également de leur compétence.
Toujours dans ma région, les apprentis représentaient 19 % des effectifs du second cycle professionnel. Sur ce point, je suis obligé, à nouveau, d’évoquer la baisse des dotations aux collectivités territoriales et ses effets induits, notamment sur le secteur du BTP, dont les carnets de commandes se sont vidés, entraînant une diminution de 60 000 du nombre des apprentis dans cette branche d’activité depuis 2012.
Madame la ministre, comme je l’ai dit en introduction de mon propos, le constat est amer. Ce qui pourrait entraîner une création massive d’emplois, c’est, d’une part, une reprise économique, que nous voyons encore bien faible, et, d’autre part, une réforme du code du travail, dont les assouplissements nécessaires tardent à se manifester, puisqu’ils sont annoncés pour 2018 !
Vous comprendrez, madame la ministre, que les crédits de la mission ne peuvent nous satisfaire en l’état. Je les voterai néanmoins, si l’amendement de notre collègue rapporteur général sur les contrats aidés est adopté. Entre-temps, nous serons attentifs à vos réponses et à vos propositions.