La proposition de loi qui nous réunit ce matin doit être examinée au regard de notre compétence en matière de transports, mais également d'aménagement du territoire, et évidemment de développement durable. Elle s'inscrit, de fait, dans une démarche globale, toujours défendue par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, qui considèrent le transport comme un service public et non un service marchand.
Qu'est-ce que cela implique ? Cela signifie que chaque citoyen doit pouvoir disposer du même service, quel que soit l'endroit où il habite et le lieu où il travaille. C'est un point essentiel en termes d'aménagement du territoire. Comme pour le déploiement du numérique, le développement des infrastructures routières, l'accès aux soins, les services postaux ou bancaires, c'est l'ensemble de notre territoire national qui doit être irrigué par des services de transport de qualité au bénéfice de l'ensemble des citoyens.
Si l'on assimile le transport public à un service marchand, on laisse la logique de rentabilité et de recherche de profit prendre le dessus, avec les conséquences que l'on connaît : la notion de service est réduite à peau de chagrin, et les mécanismes de péréquation aussi ; seules les lignes de transport les plus rentables sont maintenues, au détriment des lignes capillaires.
Cela a deux effets. Sur le plan social, on laisse au bord du chemin tous ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter le long de ces axes considérés comme rentables. Sur le plan environnemental, on supprime une incitation à recourir au transport collectif, alors que c'est aujourd'hui l'un des principaux leviers disponibles pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre - comment l'ignorer en cette période de COP 21 ?
C'est pour ces raisons que nous refusons la libéralisation des transports par autocar prévue par la loi « Macron », et proposons de l'abroger, à l'article 1er de la proposition de loi. Car cette réforme revient à abandonner toute logique de péréquation dans l'organisation des transports collectifs. Les entreprises d'autocar pourront intervenir comme elles l'entendent, exploiter les lignes les plus rentables, engranger des profits, et tant pis pour ceux qui n'habiteront pas dans les territoires ainsi irrigués. Nous l'avons évoqué hier soir lors de l'audition du ministre : les entreprises pratiquent des prix d'appel, pouvant descendre jusqu'à un euro sur certains trajets, même longs, mais lorsqu'elles auront ainsi tué la concurrence, elles reverront ces tarifs.
Autant dire que cette libéralisation met frontalement en concurrence deux modes de transport, le mode ferroviaire et le mode routier, dans des conditions très inéquitables.
En effet, le mode ferroviaire qui est plus vertueux en matière de protection de l'environnement et de la santé mais aussi de sécurité, mériterait d'être encouragé. Or, il doit supporter des coûts importants liés à son infrastructure, au moyen des péages. Les autocars, eux, contribuent à peine à l'entretien des infrastructures routières - ils ne paient des péages que sur les autoroutes -, alors qu'ils contribuent fortement à les dégrader, et que leur impact sur la qualité de l'air a un coût élevé pour la société.
Cette mise en concurrence déloyale risque d'écarter du rail de nombreux usagers et d'amorcer une spirale négative, la baisse de fréquentation provoquant une perte de recettes pour les trains express régionaux et pour les trains d'équilibre du territoire, et rendra ces transports ferroviaires encore plus chers, au moment où ils seront moins utilisés. Du même coup, les autorités organisatrices seront moins encouragées à investir dans le domaine ferroviaire, ce qui dégradera la qualité du service public ferroviaire et écartera encore davantage d'usagers de ce mode de transport, et ainsi de suite jusqu'à la disparition de nombreuses lignes. En poussant cette logique à l'extrême, seules les lignes TGV les plus rentables seraient maintenues.
Et je parle bien du présent, non d'un futur lointain, car certains craignent déjà l'abandon, par les régions, de certains services ferroviaires, plus coûteux, au motif qu'ils sont désormais assurés par ces autocars privés. Ce matin même, la radio faisait état de la grogne des régions qui menacent la SNCF de se détourner de ces services.
C'est pour toutes ces raisons que nous souhaitons abroger la libéralisation des transports par autocar sans tarder, tant qu'il est encore temps.
Mais nous sommes aussi conscients que le maintien d'un service public de qualité exige des moyens financiers. Or, ceux-ci font cruellement défaut aux régions, pourtant devenues autorités organisatrices des transports ferroviaires régionaux en 2002. Faut-il rappeler qu'elles ont été les grandes perdantes de la suppression de la taxe professionnelle ?
Si l'on pouvait avoir des doutes, comme ce fut notre cas, sur l'intérêt d'un transfert aux régions de ce service public national, force est de constater qu'elles ont pris la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine. Elles ont ainsi dépensé, en 2013, 6,8 milliards d'euros au titre de leur compétence « transports » - c'est leur premier poste budgétaire. Au sein de cette enveloppe, 3,9 milliards étaient destinés au transport ferroviaire régional, dont 2,8 milliards d'euros pour l'exploitation des TER. Ces chiffres sont en constante augmentation au fil des ans, compte tenu de l'inflation ferroviaire. Les régions ont ainsi dû assumer une partie des augmentations successives de la TVA applicable aux transports, passée de 5,5 % à 7 % en 2012, puis à 10 % en 2014. Certes, elles n'ont pas été les seules à supporter cette hausse - les autres autorités organisatrices de la mobilité, les opérateurs et les usagers l'ont aussi subie -, mais l'impact de ces hausses doit être pris en compte.
Je rappelle aussi que les régions vont récupérer, à partir de 2017, les compétences des départements en matière de transport, en application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). D'après l'Association des régions de France, cela représentera près de 4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Si une compensation de ce transfert est prévue, les régions auront tout de même besoin d'une recette supplémentaire, pour assumer leurs dépenses actuelles en matière de transport ferroviaire et développer l'offre.
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait instauré, dans la loi de réforme ferroviaire d'août 2014, un versement transport au profit des régions, dit interstitiel car il n'aurait été applicable qu'en dehors des périmètres de transports urbains (PTU) sur lesquels les autorités organisatrices de la mobilité sont compétentes. Ce versement transport, dont le plafond avait été fixé à 0,55 % de la masse salariale, et qui devait rapporter quelque 450 millions d'euros, avait néanmoins été supprimé avant même sa mise en oeuvre, à la demande du Gouvernement, dans la loi de finances pour 2015.
Pour résorber les difficultés de financement que rencontrent les régions, nous proposons donc, à l'article 2, de rétablir un versement transport à leur profit, formé de deux composantes. En premier lieu, un versement transport additionnel, dans la limite de 0,2%, qui s'ajouterait au versement transport déjà perçu par les autorités organisatrices de la mobilité dans leur ressort territorial ; cela rapporterait près de 475 millions d'euros aux régions. En second lieu, un versement transport interstitiel, dans la limite de 0,3 %, sur les territoires situés hors du ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité. Ce versement, d'autant plus justifié que les régions vont désormais intervenir sur ces territoires, leur rapporterait 228 millions d'euros.
Enfin, nous proposons, à l'article 3, de rétablir un taux réduit de TVA de 5,5 % sur les transports publics urbains et interurbains de voyageurs. Un tel taux ayant déjà été appliqué aux transports par le passé, on ne pourra pas nous opposer sa non-conformité au droit européen. La mesure bénéficierait aux usagers de ces transports, ainsi qu'à l'ensemble des autorités organisatrices de transport, régions et autorités organisatrices de la mobilité, ainsi qu'aux entreprises. Elle s'inscrit dans la même logique, qui tend à permettre aux autorités publiques de maintenir un service public de qualité, offert de façon uniforme sur l'ensemble du territoire et pour tous les Français.
L'article 4 prévoit, pour compenser les pertes de recettes liées à cette réduction du taux de TVA, une baisse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, étant entendu que l'amélioration des transports bénéficiera aussi largement aux entreprises.
Au-delà de nos divergences politiques, je suis certaine, en cette période d `élections régionales, que vous serez sensible à la nécessité de dégager des marges de manoeuvre financières pour les autorités organisatrices de transport, en particulier régionales, dont l'action en matière de promotion du transport ferroviaire est, je crois, reconnue par tous.