La réunion est ouverte à 9 h 35.
Nous avons désigné Evelyne Didier rapporteure de sa proposition de loi, le 4 novembre dernier. Ce texte, qui comporte quatre articles, sera inscrit à l'ordre du jour dans l'espace réservé au groupe communiste, républicain et citoyen du jeudi 10 décembre 2015. L'article 1er s'inscrit dans la suite de l'audition de M. Macron, hier, puisqu'il s'agit de revenir sur la libéralisation du transport par autocar. La proposition de loi touche à deux autres sujets que notre commission a eu l'occasion d'aborder : la régionalisation du versement transport et le taux de TVA sur les transports publics.
La proposition de loi qui nous réunit ce matin doit être examinée au regard de notre compétence en matière de transports, mais également d'aménagement du territoire, et évidemment de développement durable. Elle s'inscrit, de fait, dans une démarche globale, toujours défendue par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, qui considèrent le transport comme un service public et non un service marchand.
Qu'est-ce que cela implique ? Cela signifie que chaque citoyen doit pouvoir disposer du même service, quel que soit l'endroit où il habite et le lieu où il travaille. C'est un point essentiel en termes d'aménagement du territoire. Comme pour le déploiement du numérique, le développement des infrastructures routières, l'accès aux soins, les services postaux ou bancaires, c'est l'ensemble de notre territoire national qui doit être irrigué par des services de transport de qualité au bénéfice de l'ensemble des citoyens.
Si l'on assimile le transport public à un service marchand, on laisse la logique de rentabilité et de recherche de profit prendre le dessus, avec les conséquences que l'on connaît : la notion de service est réduite à peau de chagrin, et les mécanismes de péréquation aussi ; seules les lignes de transport les plus rentables sont maintenues, au détriment des lignes capillaires.
Cela a deux effets. Sur le plan social, on laisse au bord du chemin tous ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter le long de ces axes considérés comme rentables. Sur le plan environnemental, on supprime une incitation à recourir au transport collectif, alors que c'est aujourd'hui l'un des principaux leviers disponibles pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre - comment l'ignorer en cette période de COP 21 ?
C'est pour ces raisons que nous refusons la libéralisation des transports par autocar prévue par la loi « Macron », et proposons de l'abroger, à l'article 1er de la proposition de loi. Car cette réforme revient à abandonner toute logique de péréquation dans l'organisation des transports collectifs. Les entreprises d'autocar pourront intervenir comme elles l'entendent, exploiter les lignes les plus rentables, engranger des profits, et tant pis pour ceux qui n'habiteront pas dans les territoires ainsi irrigués. Nous l'avons évoqué hier soir lors de l'audition du ministre : les entreprises pratiquent des prix d'appel, pouvant descendre jusqu'à un euro sur certains trajets, même longs, mais lorsqu'elles auront ainsi tué la concurrence, elles reverront ces tarifs.
Autant dire que cette libéralisation met frontalement en concurrence deux modes de transport, le mode ferroviaire et le mode routier, dans des conditions très inéquitables.
En effet, le mode ferroviaire qui est plus vertueux en matière de protection de l'environnement et de la santé mais aussi de sécurité, mériterait d'être encouragé. Or, il doit supporter des coûts importants liés à son infrastructure, au moyen des péages. Les autocars, eux, contribuent à peine à l'entretien des infrastructures routières - ils ne paient des péages que sur les autoroutes -, alors qu'ils contribuent fortement à les dégrader, et que leur impact sur la qualité de l'air a un coût élevé pour la société.
Cette mise en concurrence déloyale risque d'écarter du rail de nombreux usagers et d'amorcer une spirale négative, la baisse de fréquentation provoquant une perte de recettes pour les trains express régionaux et pour les trains d'équilibre du territoire, et rendra ces transports ferroviaires encore plus chers, au moment où ils seront moins utilisés. Du même coup, les autorités organisatrices seront moins encouragées à investir dans le domaine ferroviaire, ce qui dégradera la qualité du service public ferroviaire et écartera encore davantage d'usagers de ce mode de transport, et ainsi de suite jusqu'à la disparition de nombreuses lignes. En poussant cette logique à l'extrême, seules les lignes TGV les plus rentables seraient maintenues.
Et je parle bien du présent, non d'un futur lointain, car certains craignent déjà l'abandon, par les régions, de certains services ferroviaires, plus coûteux, au motif qu'ils sont désormais assurés par ces autocars privés. Ce matin même, la radio faisait état de la grogne des régions qui menacent la SNCF de se détourner de ces services.
C'est pour toutes ces raisons que nous souhaitons abroger la libéralisation des transports par autocar sans tarder, tant qu'il est encore temps.
Mais nous sommes aussi conscients que le maintien d'un service public de qualité exige des moyens financiers. Or, ceux-ci font cruellement défaut aux régions, pourtant devenues autorités organisatrices des transports ferroviaires régionaux en 2002. Faut-il rappeler qu'elles ont été les grandes perdantes de la suppression de la taxe professionnelle ?
Si l'on pouvait avoir des doutes, comme ce fut notre cas, sur l'intérêt d'un transfert aux régions de ce service public national, force est de constater qu'elles ont pris la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine. Elles ont ainsi dépensé, en 2013, 6,8 milliards d'euros au titre de leur compétence « transports » - c'est leur premier poste budgétaire. Au sein de cette enveloppe, 3,9 milliards étaient destinés au transport ferroviaire régional, dont 2,8 milliards d'euros pour l'exploitation des TER. Ces chiffres sont en constante augmentation au fil des ans, compte tenu de l'inflation ferroviaire. Les régions ont ainsi dû assumer une partie des augmentations successives de la TVA applicable aux transports, passée de 5,5 % à 7 % en 2012, puis à 10 % en 2014. Certes, elles n'ont pas été les seules à supporter cette hausse - les autres autorités organisatrices de la mobilité, les opérateurs et les usagers l'ont aussi subie -, mais l'impact de ces hausses doit être pris en compte.
Je rappelle aussi que les régions vont récupérer, à partir de 2017, les compétences des départements en matière de transport, en application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). D'après l'Association des régions de France, cela représentera près de 4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Si une compensation de ce transfert est prévue, les régions auront tout de même besoin d'une recette supplémentaire, pour assumer leurs dépenses actuelles en matière de transport ferroviaire et développer l'offre.
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait instauré, dans la loi de réforme ferroviaire d'août 2014, un versement transport au profit des régions, dit interstitiel car il n'aurait été applicable qu'en dehors des périmètres de transports urbains (PTU) sur lesquels les autorités organisatrices de la mobilité sont compétentes. Ce versement transport, dont le plafond avait été fixé à 0,55 % de la masse salariale, et qui devait rapporter quelque 450 millions d'euros, avait néanmoins été supprimé avant même sa mise en oeuvre, à la demande du Gouvernement, dans la loi de finances pour 2015.
Pour résorber les difficultés de financement que rencontrent les régions, nous proposons donc, à l'article 2, de rétablir un versement transport à leur profit, formé de deux composantes. En premier lieu, un versement transport additionnel, dans la limite de 0,2%, qui s'ajouterait au versement transport déjà perçu par les autorités organisatrices de la mobilité dans leur ressort territorial ; cela rapporterait près de 475 millions d'euros aux régions. En second lieu, un versement transport interstitiel, dans la limite de 0,3 %, sur les territoires situés hors du ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité. Ce versement, d'autant plus justifié que les régions vont désormais intervenir sur ces territoires, leur rapporterait 228 millions d'euros.
Enfin, nous proposons, à l'article 3, de rétablir un taux réduit de TVA de 5,5 % sur les transports publics urbains et interurbains de voyageurs. Un tel taux ayant déjà été appliqué aux transports par le passé, on ne pourra pas nous opposer sa non-conformité au droit européen. La mesure bénéficierait aux usagers de ces transports, ainsi qu'à l'ensemble des autorités organisatrices de transport, régions et autorités organisatrices de la mobilité, ainsi qu'aux entreprises. Elle s'inscrit dans la même logique, qui tend à permettre aux autorités publiques de maintenir un service public de qualité, offert de façon uniforme sur l'ensemble du territoire et pour tous les Français.
L'article 4 prévoit, pour compenser les pertes de recettes liées à cette réduction du taux de TVA, une baisse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, étant entendu que l'amélioration des transports bénéficiera aussi largement aux entreprises.
Au-delà de nos divergences politiques, je suis certaine, en cette période d `élections régionales, que vous serez sensible à la nécessité de dégager des marges de manoeuvre financières pour les autorités organisatrices de transport, en particulier régionales, dont l'action en matière de promotion du transport ferroviaire est, je crois, reconnue par tous.
Il est vrai qu'au-delà de nos divergences politiques, il est des points sur lesquels nous pouvons nous accorder, comme la préservation du service public et la réduction du taux de TVA.
Je salue notre rapporteure pour la qualité de son propos et son engagement. Je regrette, cependant, que sa proposition de loi parte d'un constat erroné, tant sur l'interprétation des préconisations du rapport de la commission sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, dit rapport TET que sur l'ouverture de nouvelles lignes d'autocar, autorisée par la loi « Macron » pour la croissance et l'activité, et sur laquelle vous entendez revenir.
Alors que vous faites du droit à la mobilité la pierre angulaire de votre texte, ce que vous proposez ne la favorise guère. Pour assurer ce droit, l'essentiel est en effet d'assurer une complémentarité entre les modes de transport, et c'est précisément ce que fait la loi « Macron », en permettant le développement d'une offre de mobilité là où elle n'existait pas.
Après avoir constaté la dégradation de cette offre, le rapport TET propose des pistes pour développer une offre pertinente entre les TER (trains express régionaux) et les TGV (trains à grande vitesse), en prenant en compte les besoins des usagers. Or, ce n'est pas exactement ce qu'il ressort de votre exposé. Ce rapport, sur lequel nous sommes quelques-uns à avoir travaillé, préconise non pas d'abandonner des lignes, mais de redynamiser et d'adapter l'offre de TET. Et la feuille de route présentée par le ministre Alain Vidalies, en juin 2015, redonne enfin toute sa place à l'État.
Le deuxième objectif de votre texte est la mise en place d'un versement transport au profit des régions. Dans le cadre de la réforme ferroviaire, le groupe socialiste avait défendu la création d'un versement transport interstitiel hors périmètres de transports urbains (PTU), pour lutter contre les stratégies d'optimisation fiscale, tout en ayant le souci de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises déjà assujetties au versement transport. Le Gouvernement a choisi de ne pas nous suivre, notamment pour des raisons de compatibilité avec le versement transport existant. En tout état de cause, la solution mixte proposée à l'article 2 de votre texte fait peser une nouvelle charge sur l'ensemble des entreprises et diffère de la solution que nous avions alors préconisée. Nous ne pourrons vous suivre sur cet article. J'ajoute que le Gouvernement s'est engagé à compenser en totalité les conséquences du relèvement de neuf à onze salariés du seuil d'exonération, prévu à l'article 4 du projet de loi de finances pour 2016.
L'article 3 de votre proposition de loi prévoit l'application aux transports publics du taux de TVA réduit de 5,5 %. C'est une mesure qui a été ici proposée à plusieurs reprises, par la voix de notre ancien collègue, maire de Strasbourg, et à laquelle nous avions adhéré. Le Gouvernement y reste défavorable et le ministre des finances, Michel Sapin, en a exposé les raisons dans un récent courrier à l'UTP (Union des transports publics et ferroviaires), rappelant, entre autres, qu'elle ne serait pas conforme au droit européen, puisque cette baisse de TVA ne s'appliquerait qu'aux seuls transports du quotidien. Sans compter que ce n'est pas dans une proposition de loi, aussi qualifiée soit son auteure, que l'on peut modifier un taux de TVA. J'ajoute que ce n'est vraisemblablement pas aux plus démunis que profiterait une telle baisse, puisqu'ils bénéficient déjà de réductions voire de la gratuité sur les transports. Dernier point, enfin, l'article 39 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit une compensation au titre des nouvelles compétences de transport scolaire et interurbain confiées aux régions, qui se verront dotées de 25 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, soit environ 4 milliards d'euros. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'abstiendra sur cet article.
Je loue la détermination, la fougue et la conviction avec lesquelles notre rapporteure a présenté cette proposition de loi, mais le problème est que nos convictions ne sont pas les mêmes. Si nous partageons l'objectif de développer sur le territoire national une offre de transport régional de qualité, nous divergeons sur les moyens de le proposer. À la suite de la loi du 13 août 2004, à laquelle sont venues s'ajouter les dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, la région est la collectivité qui bénéficie des transferts les plus importants, notamment en matière de transports. Elle devient l'autorité organisatrice de l'intégralité de la mobilité interurbaine, avec de nouvelles responsabilités.
À l'article 1er, vous entendez revenir sur la libéralisation du transport par autocar que nous devons à la loi « Macron ». Je rappelle que si un monopole a été accordé au service public de la SNCF, c'est à la suite de la décision, prise en 1948, de privilégier le rail pour le transport de voyageurs sur longues distances. Afin de favoriser la fréquentation du rail, ce monopole portait sur tous les trajets en chemin de fer. L'affrètement d'autocars restait libre pour les trajets occasionnels à longue distance, mais sujet à autorisation pour les liaisons régulières susceptibles de réduire la fréquentation des lignes de chemin de fer existantes. Il s'est ainsi développé un réseau très dense et très régulier de lignes de transport de voyageurs par rail. La loi « Macron », par son article 5, a supprimé ce monopole et librement autorisé la création de services de transport réguliers par autocar, au-delà d'un seuil de 100 km - je rappelle que le Sénat, qui n'a malheureusement pas été entendu par le Gouvernement, plaidait plutôt pour un seuil de 200 km, comme le souhaitait également le Groupement des autorités responsables de transport (GART).
L'objectif de la libéralisation des transports par autocar est de développer une nouvelle offre de transport collectif, mieux adaptée à certains territoires, mal desservis par le rail, et à certains publics, en raison de son coût modique, afin de diminuer le recours à la voiture individuelle, selon une logique parfaitement vertueuse. En Angleterre, en Allemagne, où se sont développés des réseaux de transport par autocar, une nouvelle clientèle s'est créée qui jusque-là ne pouvait accéder à d'autres modes de transport.
L'article 2, s'inspirant du modèle qui prévaut pour la région Ile-de-France, propose la généralisation du versement transport régional. Ce versement transport, institué par la loi du 12 juillet 1971 pour la seule région parisienne, a été étendu, à titre facultatif, aux autorités administratives des transports urbains des communes de plus de 300 000 habitants par la loi du 11 juillet 1973, avant que ce seuil ne soit abaissé à 100 000 par la loi du 13 décembre 2000. Le versement transport est dû par les personnes physiques ou morales, publiques ou privées - à l'exception des fondations à caractère social - employant plus de neuf salariés. Le Gouvernement a souhaité relever ce seuil d'assujettissement à onze salariés. Si notre groupe a toujours été favorable à des mesures d'allègement de charges pour les entreprises, il a également exprimé à plusieurs reprises ses plus vives préoccupations concernant le financement de la politique menée par le Gouvernement en matière de transports et veillera très attentivement au respect de l'engagement pris pour une compensation intégrale de cette dernière mesure. Il considère que les dispositions de votre proposition de loi conduiront à alourdir la fiscalité pesant sur les entreprises, ce que nous ne pouvons accepter.
L'article 3 vise à ramener le taux de TVA sur les transports en commun du quotidien à 5,5 %, soit celui qui est dévolu aux produits de première nécessité. En juillet dernier, tout semblait acté, et les annonces officielles devaient tomber à la rentrée. Il est clair aujourd'hui que le Gouvernement n'y est plus du tout disposé. C'est pourtant une revendication à nos yeux légitime, en particulier pour nos concitoyens les plus modestes. Ce revirement nous étonne d'autant plus à l'heure où s'ouvre la COP 21.
Bref, nous sommes d'accord sur l'objectif : oui, il faut rechercher la qualité. Nous sommes d'accord sur le constat - baisse des dotations et dégradation du service public, ainsi que vous l'avez vous-même souligné. Nous sommes d'accord sur l'insuffisance du financement de l'AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France). Nous sommes d'accord sur la TVA à 5,5 %. Mais en revanche, lorsque vous proposez d'atteindre la qualité en maintenant le monopole de la SNCF, nous ne sommes plus d'accord. Pour nous, à l'inverse, c'est par une ouverture à la concurrence que l'on sauvera la SNCF. Je le répète depuis 2008, et j'ai longtemps eu le sentiment de prêcher dans le désert, mais à présent, les lignes bougent, et on y vient. Vous êtes les seuls à rester sur vos positions.
Créer une taxe nouvelle sur les entreprises ? Est-ce bien le moment, madame la rapporteure, alors qu'elles sont déjà accablées par tous les impôts nouveaux qu'elles doivent désormais acquitter ?
Vous préconisez une reprise de la dette, en citant l'exemple de l'Allemagne. À ceci près que notre budget n'est pas, comme celui de ce pays, excédentaire. Et comment se charger d'un fardeau supplémentaire de 45 milliards quand notre dette s'élève déjà à plus de 2 000 milliards ? Sans compter que vous ne proposez aucune économie en regard.
Je m'étonne, par-dessus tout, que vous souhaitiez revenir sur la libéralisation du transport par autocar, alors qu'elle bénéficie aux couches les plus modestes de la population. Rendez-vous compte ! Voyager pour un euro, on ne peut pas rêver mieux quand on peine à boucler les fins de mois. Et vous y êtes opposés ! Je ne puis y croire !
Autant dire que je ne reconnais plus le parti communiste.
Notre groupe, soucieux de promouvoir la qualité des transports en commun, ne pourra vous suivre sur ce texte, et il votera contre.
- Présidence de M. Hervé Maurey, Président -
Un texte qui semble avoir réveillé chez M. Nègre un lyrisme tout méridional.
À mon tour de féliciter notre rapporteure pour son travail intéressant et précis, même si je rejoins le propos de Jean-Jacques Filleul.
Je m'attacherai à la question des TER et de l'action des régions. Vous avez, tout à l'heure, fait une sorte de mea culpa en reconnaissant qu'en dépit des craintes d'un éclatement du réseau national que vous exprimiez en 2002, le bilan du transfert des TER aux régions est largement positif : il a permis d'améliorer les conditions de transport, la fréquence des trains et la qualité du matériel. Bref, c'est une réussite. Je le souligne d'autant plus aisément que dans un certain nombre de régions, dont la mienne, les vice-présidents en charge de ce secteur étaient de votre sensibilité. Pour l'avoir moi-même testé, je préfère largement faire le trajet en TER qu'en TET : c'est incomparable. Encore un élément à mettre au crédit des régions.
Je vous comprends donc mal lorsque vous dites que le développement de l'échelon régional va à l'encontre de l'unité nationale, qu'il n'est pourtant pas question de remettre en cause. À chaque fois qu'un transfert aux régions a eu lieu, cela a été une réussite, et elles ont investi beaucoup plus que ne l'aurait fait l'État. (M. Revet le confirme).
Je remercie Evelyne Didier pour la vigueur de ses convictions, mais je ne partage pas, en l'occurrence, ses analyses. Comme élu de terrain et gestionnaire d'AOT (autorité organisatrice des transports), j'ai été confronté aux problèmes du milieu rural. C'est pourquoi j'estime que la libéralisation des transports par autocar est une chance pour beaucoup de ces départements ruraux. M. Macron nous a démontré hier, avec la force de persuasion qu'on lui connaît, l'intérêt de cette réforme pour le pays. Plutôt qu'y voir une concurrence aux TER, j'y vois une vraie chance, car c'est un élément de complémentarité. Je ne suis donc pas favorable à un retour en arrière. Et sans y mettre la faconde de M. Nègre, j'estime que c'est une vraie nécessité pour nos concitoyens.
En ce qui concerne le versement transport, le ministre nous a rassurés : le relèvement du seuil de neuf à onze salariés sera entièrement compensé, et de façon dynamique.
On peut certes se méfier de la compensation, mais si la ressource est dynamique, c'est autre chose.
Si j'ai défendu, à l'époque, avec mes collègues socialistes, un versement transport interstitiel, je suis contre l'ajout d'un nouveau versement transport régional. C'est certes une facilité, mais je puis vous dire que lorsque l'on est responsable d'une AOT, il faut bien mesurer quel en sera l'effet sur les entreprises - dont beaucoup sont assujetties sans même être desservies. Ne pesons pas davantage sur les charges des entreprises.
Si donc je partage certains de vos diagnostics, je ne puis vous suivre sur les solutions que vous préconisez.
Je félicite à mon tour notre rapporteure, qui va au fond des choses lorsqu'elle s'engage - comme elle l'a fait dans son travail sur les autoroutes. Cela dit, nous ne partageons pas les mêmes orientations sur un certain nombre de points.
Je n'ai malheureusement pu participer à l'audition de M. Macron, que j'aurais pourtant souhaité interroger sur la cohérence du dispositif qu'il a mis en place avec la politique que prétend défendre le Gouvernement. Comment préconiser un transfert vers le ferroviaire tout en développant le transport par autocar ?
À ceci près qu'il emprunte la route. Ces autocars rencontreront d'ailleurs les mêmes problèmes d'encombrement que les voitures aux entrées de ville. MM. Filleul et Nègre ne me démentiront pas : l'entretien que nous avons eu tous trois avec des spécialistes nous a convaincus que le transport routier provoque beaucoup plus de rejets dans l'atmosphère. Pour moi, la libéralisation du transport par autocar n'est qu'un palliatif. Si le Gouvernement s'y est résigné, c'est qu'il n'a pas les moyens de réhabiliter le secteur ferroviaire. Ce n'est pas cohérent.
Louis Nègre a évoqué les trains longue distance, en rappelant la loi de 1948, mais ce sont les trains de proximité qu'il faut, à mon sens, s'atteler à développer aujourd'hui. La France a la chance de pouvoir compter sur un réseau ferroviaire dont le maillage est le meilleur d'Europe. Si nous réhabilitions les trains de proximité, en s'appuyant sur le couple tram-train pour assurer la continuité entre villes et milieu rural, on désengorgerait la route et l'on permettrait aux familles, souvent contraintes, faute d'alternative, d'avoir plusieurs voitures, de faire des économies.
Dernier point, la question du monopole. Nous devrions approfondir notre réflexion sur le service public et son fonctionnement. Une entreprise qui assure un service public doit équilibrer son budget. Si la collectivité estime qu'il faut mettre en place des réductions ou la gratuité, c'est à elle de prendre en charge la différence. J'ajoute que quand existe un monopole, il y a un peu de laisser-aller. Si l'on commençait par réorganiser les structures, ce serait déjà une source d'économies.
Je salue très sincèrement le travail de notre rapporteure, mais je n'irai pas jusqu'à la féliciter, car le coeur n'y est pas.
Comment s'obstiner, dans le contexte actuel, à prétendre taxer les entreprises dès que l'on a besoin de ressources ? Comme entrepreneur, je paye le versement transport depuis plus de quarante ans, et je l'ai utilisé lorsque j'étais maire de Châteauroux, ce qui m'a permis de financer la gratuité des transports urbains en même temps que de desservir les zones industrielles, car ce serait pour moi un comble que de faire payer les entreprises sans les desservir.
La SNCF est en train de mourir du monopole, comme en est mort Air Inter, dont j'imagine que le sort a dû donner lieu, à l'époque, à de terribles joutes au Parlement. Souvenez-vous que cette entreprise réussissait l'exploit de facturer le vol Paris-Marseille aussi cher qu'un billet pour New-York ! Dieu merci, la concurrence est arrivée, et l'on peut faire des allers-retours entre Toulouse et Paris pour 50 à 70 euros, soit un tarif moins cher que le train...
Je salue la force combative de Mme Didier, même si je ne suis pas d'accord avec elle sur tout. Je salue également l'abstention complaisante et galante du groupe socialiste...
sur un texte qui ne va pourtant pas vraiment dans le sens de la loi Macron, qui a reçu son soutien.
Comme le disait mon collègue à l'instant, on ne peut pas sans cesse faire payer les entreprises. Quant à baisser le taux de TVA à 5,5 %, une mesure qui bénéficierait tant à ceux qui ont les moyens qu'aux plus modestes, ce serait un manque à gagner que l'on ne peut se permettre par les temps qui courent.
Merci à notre rapporteure. Pour le dire nettement, je suis favorable au car en complément du ferroviaire, ainsi que M. Macron l'a fait valoir hier, mais cela ne doit pas devenir une solution de substitution aux lignes existantes, qui méritent d'être améliorées tant pour ce qui concerne les infrastructures que les dessertes et les matériels roulants. Sous cette limite, je suis assez favorable à l'expérimentation de la concurrence.
Nous avons cherché, avec cette proposition de loi, à trouver des ressources dédiées pour financer le transport ferroviaire sur les territoires.
Jean-Jacques Filleul a mal interprété mon propos. Je n'ai pas dit que le rapport TET préconisait l'abandon de lignes, mais que les politiques menées auront cette conséquence. Je vous invite à comparer ce qu'étaient les lignes ouvertes dans vos régions ou vos départements dans les années 1960 à ce qu'elles sont devenues aujourd'hui. Nous avons perdu beaucoup de petites lignes, ce que l'on appelle le capillaire (M. Rémy Pointereau le confirme). Il en va d'un territoire où le maillage du réseau n'est pas complet comme d'un organisme sans vaisseaux capillaires, où le sang ne circulerait que par les artères et les veines : il est mal irrigué. Et c'est un risque qui vaut pour tous les réseaux. Jean-Jacques Filleul a rappelé la position passée de son groupe sur le versement transport : le Gouvernement n'a pas suivi, et le groupe socialiste s'est rangé à ses positions. Quant à être rassurés par l'engagement du Gouvernement d'assurer une compensation intégrale du relèvement du seuil de neuf à onze salariés, vous êtes suffisamment aguerris en politique pour savoir que ces compensations ont toujours vocation à disparaître. On voit ce qu'il en est, à chaque loi de finances, des compensations qui ont accompagné la suppression de la taxe professionnelle.
Louis Nègre a rappelé le monopole établi, en 1948, sur le réseau Freycinet. La loi Macron a supprimé ce monopole : c'est un virage historique de grande ampleur, et qui ne restera sans doute pas dans les annales comme ce que nous aurons fait de mieux. M. Macron a certes suscité beaucoup d'enthousiasme lors de son audition d'hier, car il sait argumenter, mais chacun peut comprendre, quand on voit proposer des Paris-Lille à un euro, que cela ne va pas durer.
Allons ! Vous êtes suffisamment compétent en matière économique pour le comprendre.
Non, mais je ne suis pas macrolâtre.
Il est vrai que les cars représentent une nouvelle offre de transport collectif, susceptible de remplacer en partie les transports en voitures individuelles, mais ils seront aussi une concurrence forte pour le rail. Encore une fois, comme chacun a pu l'entendre ce matin à la radio, les régions demandent à la SNCF de revoir ses tarifs sous menace de se tourner vers le transport routier. Vu l'état des finances des collectivités, elles vont à un moment se trouver devant un choix difficile. Même si, comme l'a rappelé Odette Herviaux, la plupart des vice-présidents de région chargés des transports étaient de même sensibilité que la mienne, il est réaliste de penser que cela ne durera pas. Les régionales sont pour demain.
Quoi qu'il en soit, malgré la volonté des régions de travailler pour le rail, elles seront tentées de se tourner vers le car au détriment du train. D'autant plus que les routes sont restées aux départements, et que les régions ne subiront donc pas les conséquences de la charge supplémentaire que vont représenter ces cars pour l'entretien du réseau routier.
J'observe que nous ne sommes pas seuls à soutenir la TVA à 5,5 %.
L'ouverture à la concurrence ? En dépit des élans lyriques de Louis Nègre, je n'y vois pas la solution pour apporter un meilleur service et faire baisser les prix. On sait bien ce qu'il en est : dès lors que l'on a tué ce qui faisait concurrence, le monopole se reconstitue. Et dès que l'on est en situation de monopole, on est tenté d'en profiter. Je préfère, quant à moi, le monopole public au monopole privé.
Je ne démentirai pas les propos d'Odette Herviaux. Nous avons volontiers reconnu que les régions ont été efficaces sur la compétence transports, comme l'ont été les départements quand ils ont pris en charge les collèges. Les autorités publiques de proximité sont souvent plus attentives aux besoins et aux attentes des habitants. Pour autant, il faut préserver une politique nationale pour assurer l'égalité des citoyens. On ne saurait imaginer des régions totalement déconnectées de l'échelon national, qui agiraient chacune en fonction de leurs moyens et des idées de leur majorité ou de leur président. Dans le contexte politique actuel, c'est une question que l'on ne peut pas ne pas avoir à l'esprit.
Quand on est élu de terrain et que l'on gère une AOT, il faut certes, comme l'a souligné Claude Bérit-Débat, trouver des équilibres. Mais à l'intérieur du périmètre de transport urbain, tout le monde est concerné : il n'est pas choquant qu'un même versement transport s'applique. Et au-delà du PTU, il faut faire en sorte que tous les territoires soient concernés. L'objectif serait donc que les AOT se développent jusqu'à couvrir l'ensemble du territoire.
La complémentarité ? Entre transport routier et transport ferroviaire, elle existe déjà. Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à mettre en péril le réseau ferroviaire, qui est, je le répète, en danger - et je ne suis pas la seule à le dire. Si l'on ne trouve pas le moyen d'aider les régions à conserver les capillaires, on n'y arrivera pas. D'où notre idée de leur trouver un revenu dédié.
Il est vrai, comme l'a rappelé Charles Revet, que nous avons le meilleur maillage d'Europe. Nous avions d'ailleurs les meilleures sociétés publiques dans tous les domaines. Devenues sociétés privées sur lesquelles l'État gardait la main, on y a peu à peu laissé entrer des capitaux privés. Le résultat ? La France perd des parts de marché. L'Europe n'a de cesse de faire disparaître nos monopoles, et ce sont généralement des groupes étrangers qui, in fine, récupèrent la mise.
Qu'est-ce que le service public ? Vous avez raison d'appeler à creuser la réflexion, pour redéfinir ce qu'il est et ce que l'on attend de lui, pour définir ses missions d'aujourd'hui. Nous nous soucions, et ce texte en témoigne, non seulement de la politique sociale mais aussi de la politique d'aménagement du territoire.
A notre collègue Mayet, qui argue que les entreprises ne sont pas des vaches à lait, je réplique que les entreprises ne sont pas hors-sol : elles ont besoin de salariés formés et en bonne santé, de routes, de tous les services qu'offre la société dans laquelle elles se trouvent, et dont elles sont demandeuses, pour la formation de leurs salariés, le transport de leurs marchandises, etc. Que l'on ne vienne pas nous faire croire que l'entreprise est en dehors de la nation et que dans le même temps, toute la nation doit la servir.
Notre collègue Fouché fait valoir que la période est mal choisie. Mais la situation va être durablement difficile. Il faut pourtant bien mener des politiques, mais le moment, nous oppose-t-on toujours, n'est jamais le bon.
Merci à Annick Billon d'avoir insisté sur le fait que la complémentarité ne doit pas conduire à tuer le rail. Je vous invite, encore une fois, à mesurer l'écart entre ce qu'était le réseau il y a cinquante ans et ce qu'il est aujourd'hui. Certaines lignes ont été déferrées. Certains ont été plus prudents et ont conservé l'emprise. Mais dans le secteur des trois frontières que je connais bien, en Lorraine, tout a disparu : on a déferré et vendu l'emprise, avant de s'apercevoir, quelque temps plus tard, que pour le fret avec le Luxembourg, ces lignes étaient nécessaires. Mais il était devenu impossible de recréer ces lignes dans un tissu urbain dense. Une fois que la ligne a disparu, impossible de rattraper les choses : soyons-y attentif.
Aucun amendement n'ayant été déposé, je vous propose de voter d'emblée sur l'ensemble de la proposition de loi. (Assentiment).
La commission n'adopte pas la proposition de loi.
La Conférence des présidents qui se réunira la semaine prochaine devrait inscrire à l'ordre du jour de la séance du 13 janvier, dans la niche réservées au groupe UDI, la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire déposée par Mme Nathalie Goulet, qui reprend des mesure que nous avions votées dans le cadre du projet de loi de transition énergétique, annulées par le Conseil constitutionnel parce qu'ayant été introduites en nouvelle lecture, elles étaient contraires à la règle de l'entonnoir.
La tradition au sein de notre commission veut que nous choisissions un rapporteur appartenant au même groupe que l'auteur de la proposition de loi.
Mme Chantal Jouanno est nommée rapporteure de la proposition de loi n° 663 (2014-2015) visant à lutter contre le gaspillage alimentaire.
La réunion est levée à 10 h 35.