Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er décembre 2015 à 14h30
Contrat d'objectifs et de moyens 2015-2019 entre l'état et radio france — Communication

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel :

La situation de Radio France m'inquiète. Le déficit devient structurel et le besoin de financement jusqu'en 2019 est estimé à 170 millions d'euros. Le conflit social du printemps a révélé le désarroi et les craintes du personnel, mis en cause le rôle de l'actionnaire et sa vision de l'entreprise à moyen et long termes et montré les limites des procédures de décision et de nomination de l'audiovisuel public.

Le COM nous est transmis dix-huit mois après la prise de fonction du président de Radio France ; compte tenu des délais nécessaires à son adoption, il ne s'appliquera qu'aux deux tiers restants de son mandat. Or un COM sert à mettre en oeuvre le projet du président ! Dans ces conditions, quel sens lui donner ? Les auditions que j'ai menées avec André Gattolin ont répondu à cette question. Pour la direction du budget - qui intervient dans la négociation - il définit les conditions de mise en oeuvre du projet du nouveau président compte tenu des priorités de l'actionnaire. Or Mathieu Gallet nous a expliqué avoir préparé son projet sans pouvoir prendre la mesure de la situation exacte de l'entreprise puisque, lorsqu'il a été désigné par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en 2014, ni lui, ni le régulateur n'avaient accès aux dernières données financières de Radio France. Dans toute entreprise, le choix du nouveau président aurait été fait sur un projet de redressement. Rien de tel pour Radio France, et plusieurs mois ont été perdus jusqu'au conseil d'administration de septembre 2014 où le personnel a appris la situation très inquiétante.

Au-delà du contenu du COM, nous devons aussi nous prononcer sur ses modalités d'élaboration. Quoique le président de Radio France n'ait pas été élu sur un projet de redressement, ce COM engage-t-il un redressement ? L'actionnaire a-t-il pesé de tout son poids pour définir les priorités et les objectifs ? Ce document est-il susceptible d'emporter l'adhésion du personnel et de lui faire accepter des réformes ? À ces questions, je suis au regret de répondre : non. Radio France a été placée dans un état stationnaire, sous perfusion budgétaire intensive, mais sans la moindre intervention de nature à la soigner à long terme. Faute de réformes, les problèmes semblent renvoyés à plus tard, à tout le moins après 2017.

Dans cette situation, le président de Radio France a les mains liées. Son actionnaire lui compte son soutien pour conduire les réformes nécessaires et il n'a de liberté que pour travailler à l'offre de programmes. Aspect non négligeable, car il est indispensable de renouveler les programmes pour rajeunir l'audience. C'est d'ailleurs l'aspect du COM qui pose le moins de difficultés. Nous partageons les valeurs du service public qui y sont réaffirmées. J'ai dit souvent notre attachement à ce formidable outil au service de la culture et de l'intelligence, mais il n'en reste pas moins que Radio France doit « se transformer tout en restant elle-même », comme le dit à juste titre le COM. C'est la nature et le rythme de cette transformation qu'il convient de discuter.

Le diagnostic sur la situation de Radio France a été réalisé par la Cour des comptes dans son rapport d'avril 2015. Les causes de la crise ont été identifiées : dérive des coûts et trop longue absence de réformes. Les solutions préconisées par la Cour passent par des remises en cause, des restructurations, un pilotage plus serré des dépenses, un renforcement de la gouvernance... Or, rarement un rapport de la Cour des comptes aura reçu aussi peu d'écho de la part d'un gouvernement. Certaines solutions ont été par principe écartées, ce qui ferme toute perspective d'évolution.

Loin de résoudre les difficultés structurelles de la société, ce COM met le couvercle sur la marmite. Deux questions importantes, l'avenir de Mouv et celui des formations musicales, sont renvoyées à 2017.

Dédiée aux musiques urbaines, Mouv coûte 25 millions d'euros par an mais n'a jamais trouvé son public : 0,4 % de part de marché. La relance organisée en février 2015 tarde à donner des résultats. Au lieu d'arrêter la diffusion hertzienne, le COM prévoit une évaluation fin 2016. La décision d'arrêt de la chaîne, si elle doit être prise, le sera en 2017...

Alors que la Cour des comptes proposait de fusionner les deux orchestres de Radio France, Mathieu Gallet suggérait, pour sa part, qu'un des deux quitte le giron de Radio France. Faute d'accord sur ces scénarios radicaux, un rapport a été demandé à M. Stephan Gehmacher, professionnel respecté, qui a proposé de redimensionner les formations. Le choeur, avec ses 115 membres, constitue selon M. Gehmacher « une exception absolue parmi les choeurs professionnels », généralement d'une cinquantaine de membres. Les effectifs de l'Orchestre philharmonique de Radio France seraient supérieurs à ceux d'ensembles comparables à l'étranger. M. Gehmacher évoque des synergies - mais le COM ne prévoit de réforme qu'à l'issue de la première année d'exécution du COM, c'est-à-dire en 2017. Aucune raison n'est donnée à ce report, même si l'on sent bien la volonté de ne pas heurter les personnels. Là encore, le Gouvernement ne donne aucune orientation et laisse la direction gérer la situation, avec pour consigne de ne pas faire de vagues.

Au-delà du report à 2017 de ces deux réformes structurelles, le renoncement à faire baisser le poids de la masse salariale est inquiétant. Si « tout plan d'économies passe par un questionnement sur la masse salariale », comme le dit M. Gallet, encore faut-il qu'il débouche sur les bonnes réponses, ce qui n'est pas le cas. Le COM prévoit que la masse salariale, qui était de 399 millions d'euros en 2014, « devra être stabilisée en fin de période à 394,3 millions d'euros ». La Cour des comptes, après avoir remarqué que celle-ci avait augmenté de 29,6 % entre 2004 et 2013, a jugé « nécessaire d'introduire dans le COM un objectif contraignant d'évolution de la masse salariale, assorti d'un objectif d'évolution à la baisse, sur les cinq années à venir, de la proportion des charges salariales dans les charges d'exploitation de Radio France ». Or, selon le plan d'affaires, la part des charges salariales dans les charges d'exploitation, qui représentait 62,3 % en 2014, atteindra 62,9 % en 2019 : il y aura donc bien un accroissement. La recommandation de la Cour n'a pas été suivie et la contrainte sur l'équilibre financier de l'entreprise sera encore plus forte.

Cela s'explique notamment par l'abandon du plan de départs volontaires, jugé trop coûteux. Le COM prévoit une réduction des effectifs de 230 contrats à durée indéterminée (CDI) grâce au non-renouvellement d'un départ sur deux en 2016 et 2017 et d'un départ sur trois en 2018. Le plan de départs volontaires, qui prévoyait le départ de 300 à 380 personnes, aurait sans doute eu un coût important en 2016 et 2017, mais aurait dégagé de substantielles économies dans la durée. Ainsi, le plan de départs volontaires de France Télévisions sera remboursé sur deux exercices et permettra de dégager ensuite 40 millions d'euros d'économies par an. En renonçant à son plan de départs volontaires, Radio France apparaît comme une coûteuse exception. Les départs naturels risquent d'être insuffisants compte tenu des gains de productivité possibles - et rien n'assure qu'ils concerneront les métiers où des réorganisations sont les plus urgentes.

Autre sujet de préoccupation, la place trop limitée accordée aux mutualisations et, plus généralement, l'absence de volonté de mettre en commun les moyens de l'audiovisuel public. La recherche des synergies constitue pourtant le seul vrai levier d'économies afin de financer de nouveaux projets susceptibles de mobiliser les personnels derrière une ambition nouvelle. « Radio France s'efforcera de rechercher toutes les synergies possibles dans tous les domaines, en particulier dans le domaine du numérique mais également dans le domaine de l'information, du développement de contenus destinés aux jeunes adultes ou de la distribution d'offres à l'international », lit-on. Simple déclaration d'intention, sans projets concrets, calendrier précis ni objectifs d'économies chiffrés, ce qui laisse penser que l'entreprise serait exemptée de toute exigence en ce domaine.

La Cour des comptes proposait de fusionner les rédactions de France Info, France culture, France Inter et France Bleu, sur le modèle du rapprochement des rédactions de France 2 et France 3 dans le cadre du projet « Info 2015 ». L'idée a été écartée, au nom de la préservation de l'identité des rédactions. Compte tenu de la diversité de l'offre existante dans le privé et des difficultés budgétaires que nous connaissons, avons-nous vraiment les moyens de conserver quatre rédactions au sein de Radio France ? Je ne le crois pas.

Côté mutualisations, le projet de chaîne d'information en continu, à peine évoqué dans le COM alors qu'il est sur le point d'être arrêté, illustre les résistances des équipes de direction à abandonner la moindre parcelle de pouvoir. Chacun des partenaires revendique la direction du projet et la localisation du studio dans ses locaux mais exclut tout rapprochement des moyens afin de créer une équipe transversale. Au final, on ne sait qui décide et quelle est la vision de l'actionnaire, qui se tient prudemment en retrait. Le personnel de Radio France est laissé à ses inquiétudes et risque de vivre les décisions à venir comme des défaites si le centre de gravité devait trop pencher du côté de France Télévisions, au lieu d'être associé à un grand projet fédérateur, comme André Gattolin et moi-même l'aurions souhaité.

Il est temps de donner bien plus d'importance aux mutualisations, ce qui nécessite une coordination - voire une synchronisation - entre les COM des différentes sociétés de l'audiovisuel public. Il est regrettable, à cet égard, que le Gouvernement ait perdu l'occasion de mieux articuler les COM, qui étaient tous renouvelables entre novembre 2015, pour Radio France et l'INA, et le printemps 2016, pour France Médias Monde et France Télévisions. Après dix-huit mois de retard, chacun aurait compris que l'on reporte l'échéance du COM de Radio France de quelques semaines afin de penser le projet stratégique dans sa globalité et de prévoir un calendrier des mutualisations envisagées avec France Télévisions. Or le Gouvernement a préféré se limiter à une trajectoire financière de retour à l'équilibre. En l'absence de réforme structurelle, on ne peut qu'être prudent, pour ne pas dire sceptique, sur les perspectives de retour à meilleure fortune.

Ainsi, le retour à l'équilibre, initialement prévu en 2017, a été reporté à 2018 du fait de l'abandon du plan de départs volontaires. Le déficit devrait atteindre 10 à 12 millions d'euros en 2015, 16,56 millions d'euros en 2016 et représentera encore 6,46 millions d'euros en 2017, compte tenu d'une dotation de 25 millions d'euros de contribution à l'audiovisuel public supplémentaires sur trois ans. Un emprunt de 70 millions d'euros sur sept ans doit être souscrit, qui risque de se traduire par un fort accroissement des charges financières. L'État s'est engagé à apporter une dotation de 55 millions d'euros mais le calendrier reste peu précis. On ne peut donc considérer la trajectoire financière du COM comme vertueuse. La hausse des ressources publiques, de 576 millions d'euros en 2014 à 596 millions d'euros en 2019, couplée à un endettement de 70 millions d'euros, permettra de combler les trous, mais aucune réforme structurelle n'est engagée. Les ressources propres n'augmenteront que de 2 millions d'euros pour atteindre 71,6 millions d'euros en 2019. Cette hausse, très faible, risque de se traduire, néanmoins, par une augmentation de la publicité non régulée sur les sites Internet de la radio publique, alors que la politique de location des locaux contraint déjà la production interne en restreignant la disponibilité des équipements. Seule la politique des achats semble constituer un levier puisqu'une économie d'une dizaine de millions d'euros par an est prévue.

Autre source d'inquiétude, le chantier de rénovation de la Maison de la Radio. Si l'achèvement des travaux est prévu en 2018, c'est sans compter les studios moyens ni les façades, qui doivent encore faire l'objet d'un plan de financement. Il n'est pas sûr, dans ces conditions, que le dérapage des coûts, dû à une mauvaise gestion et de nombreuses erreurs dans la conception et le pilotage des travaux, soit sous contrôle.

Bref, le COM confirme la situation de grande fragilité financière de Radio France. Son scénario de retour à l'équilibre se fonde, pour l'essentiel, sur une hausse des ressources publiques et un recours à l'endettement. En l'absence de véritables réformes et faute de vision pour le groupe public, la probabilité de retour à meilleure fortune est faible. Loin de prévoir la situation de l'entreprise jusqu'en 2019, ce COM se contente de repousser les échéances jusqu'à 2017. Bref, il n'est conforme ni à l'intérêt de l'entreprise ni à celui du contribuable. C'est pourquoi je vous propose d'émettre un avis défavorable.

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