Intervention de Jean-Claude Carle

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 2 décembre 2015 à 9h00
Garantir le droit d'accès à la restauration scolaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur :

Cette proposition de loi, déposée par M. Roger-Gérard Schwartzenberg et adoptée par l'Assemblée nationale en mars dernier, a été inscrite par nos collègues socialistes dans leur niche du 9 décembre prochain. Un certain nombre de communes, de droite comme de gauche, refusent l'accès au service de restauration de leurs écoles à des enfants au seul motif que leurs parents sont chômeurs : le texte vise à mettre fin à ces discriminations, au demeurant déjà illégales, et va plus loin en créant au profit de chaque élève un droit à l'accès au service de restauration scolaire.

La restauration scolaire à l'école primaire publique est une compétence facultative des communes, qui sont libres de créer ou non un tel service et d'en fixer l'organisation. Comme le précisait Mme Marie-Arlette Carlotti, alors ministre déléguée en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion : « en l'état actuel du droit, les communes ne sont pas tenues de créer autant de places qu'il existe d'élèves potentiels ». Dans les faits, c'est un service public très répandu. S'il est difficile d'obtenir des chiffres précis, on estime que 80 % des 20 000 communes possédant une école le proposent et que la cantine serait fréquentée régulièrement ou occasionnellement par la moitié environ des 6,8 millions d'élèves du primaire.

Si nous partageons tous l'ambition de permettre l'accès de tous les enfants qui le souhaitent à la restauration scolaire, dont nous connaissons l'importance pour la concentration des élèves, ainsi que pour leur éducation au goût et leur socialisation, sans parler des enjeux de santé publique, nous vous proposerons toutefois de rejeter cette proposition de loi.

D'abord, elle légifère dans le vide. Au cours de nos travaux, pas un seul de nos interlocuteurs n'a été en mesure de nous fournir des informations précises sur la situation de la restauration scolaire dans le premier degré. L'ampleur des discriminations dans l'accès à la cantine reste inconnue, même si l'on peut estimer qu'elle ne touche qu'une poignée de communes. Faute d'étude d'impact, nous ignorons aussi les conséquences financières du dispositif proposé.

Sa rédaction est en outre hautement perfectible. L'article premier interdit ainsi toute discrimination « selon la situation des élèves ou celle de leur famille ». Comment s'y opposer ? Mais ces refus d'accès sont d'ores et déjà interdits par la loi et sanctionnés par le juge administratif : quoique facultatif, le service public de la restauration scolaire est soumis au principe d'égal accès au service public, qui a valeur constitutionnelle, et à celui d'interdiction des discriminations, inscrit dans le code pénal. Selon une jurisprudence constante, le juge administratif annule tous les règlements qui établissent une distinction entre les élèves dans l'accès à la cantine selon la situation professionnelle de leurs parents, mais également selon leur âge, leur lieu de résidence ou encore l'existence d'une intolérance alimentaire. Pour les élèves handicapés, le Conseil d'État a jugé qu'il revient à l'État de leur en permettre l'accès, si la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) considère qu'un accompagnement est nécessaire. L'accès à la cantine ne peut leur être refusé. Les moyens d'une sanction rapide existent, puisque le juge administratif admet le recours au référé-suspension. Les défenseurs de ce texte répondent que les familles visées par ces discriminations sont les moins aptes à formuler des recours et qu'inscrire dans la loi des principes permettrait au préfet de déférer les actes présentant un doute sérieux de légalité. Cet argument ne tient pas, puisque les préfets peuvent d'ores et déjà le faire. Peut-être ne le font-ils pas suffisamment ; dans ce cas, une circulaire serait sans doute plus efficace. Pensons-nous vraiment que c'est en adoptant une nouvelle loi que nous ferons appliquer celles qui existent ? Ce n'est pas en transcrivant de grandes déclarations de principe dans le code de l'éducation que nous résoudrons ce problème.

Troisièmement, cette proposition de loi ne se borne pas à interdire les discriminations à l'accès à la restauration scolaire, mais crée en outre un droit d'accès pour tous les élèves, pourvu que ce service existe. D'intention louable, cette disposition méconnaît les réalités de l'organisation de la restauration scolaire. La plupart des communes contraintes de rationner l'accès à la cantine sont des grandes agglomérations, dans lesquelles les capacités sont saturées malgré la mise en place de selfs ou de doubles services, et pour lesquelles les travaux d'extension sont extrêmement difficiles et coûteux, particulièrement en centre-ville. D'autres sont des villes connaissant une croissance démographique forte et continue. De plus, la demande des familles est très élastique, car beaucoup de cantines permettent une fréquentation ponctuelle. Certaines communes sont confrontées à des pics de fréquentation certains jours, associés à une consommation de confort : à Thonon-les-Bains, par exemple, c'est le jeudi, jour de marché.

Créer un droit d'accès des élèves à la restauration scolaire obligerait les communes à accueillir l'ensemble des élèves, même ceux qui souhaiteraient utiliser ponctuellement ce service. Cela contraindrait celles dont les capacités sont saturées, ou en voie de l'être, à surdimensionner leurs équipements afin d'être en mesure d'accueillir l'ensemble de leurs élèves. Enfin, ce droit resterait lettre morte pour les enfants scolarisés dans une commune qui ne propose pas ce service, ce qui créerait une rupture d'égalité. Est-il pertinent d'imposer une contrainte supplémentaire aux communes qui offrent ce service ? Elles sont libres d'en déterminer les tarifs ou même d'y mettre fin...

Enfin, la compensation financière prévue relève de la fiction. Certes, le Gouvernement n'a pas remis en cause l'article 2 et son gage. S'agit-il d'un engagement à majorer la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour les communes réalisant les investissements nécessaires ? Rien n'est moins sûr. L'extension d'une compétence facultative ne donne lieu à aucun droit à compensation par l'État. À l'heure où les dotations aux collectivités territoriales fondent, une majoration de la DGF paraît illusoire. Sans compter que les services de l'État ne sont pas en mesure d'isoler les dépenses effectuées par les communes ou les EPCI en faveur de la restauration scolaire. Enfin, il serait extrêmement difficile, dans le cas d'aménagements et d'opérations d'investissement, d'identifier précisément le surcoût résultant de l'application de la proposition de loi.

Dans l'enseignement privé, la restauration scolaire relève des organismes de gestion des établissements. Si l'obligation d'accueil s'y appliquait, les établissements privés se verraient imposer une nouvelle contrainte qui ne serait pas compensée, puisque la loi interdit toute subvention publique à l'investissement pour les établissements d'enseignement privés du premier degré. Il leur faudrait donc renoncer à offrir ce service ! Si cette obligation ne s'appliquait pas à eux, cette proposition de loi pourrait être interprétée comme ouvrant un droit à l'accès de la cantine publique au profit des élèves inscrits dans une école privée, puisque ce droit concerne tous les élèves. Une telle solution serait source de difficultés et de contentieux inextricables.

Bref, quoique d'intention généreuse, ce texte apparaît comme un pis-aller qui n'aurait aucune conséquence sur les discriminations auxquelles il vise à mettre fin. Il crée un nouveau droit qui s'appliquerait de manière inégale sur le territoire et dont la mise en oeuvre, faute de moyens et d'une réelle compensation, serait souvent impossible. En revanche, cette proposition de loi engendrerait des coûts certains pour les communes comme pour les établissements privés, et les exposerait à d'importants risques de contentieux. S'il part d'une volonté louable, ce texte est à la fois inopportun et inopérant, et soulève plus de difficultés qu'il n'en résout. En conséquence, j'émets un avis défavorable à son adoption.

1 commentaire :

Le 09/12/2015 à 18:12, DIDELOT Paul a dit :

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Le 2 décembre, la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat examinait la proposition de loi garantissant l’égal accès à la restauration scolaire votée en mars à l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi n’aurait dû être qu’une formalité puisqu’elle prévoit l’inscription dans la loi d’une jurisprudence solide et l’affirmation d’une notion constitutionnelle : l’égalité devant le service public.

Pourtant, ce mercredi, les sénateurs de la commission éducation ont émis un avis défavorable sur ce texte, avant le vote définitif en séance le mercredi 9 décembre.​ Dans son communiqué de presse, la commission affirme être attachée à l’égalité entre les élèves, juge que le nombre de commune qui ne respectent pas le principe d’égalité est minime et ajoute qu’il ne s’agirait pas d’ajouter une charge supplémentaire aux communes.

Face à de tels arguments e »n qualité de président départemental de la FCPE 65 je m'interroge. Comment un nombre minime de communes pourrait engendrer une montée des dépenses nécessitant pour les sénateurs de s’opposer à ce texte ?

Je m’indigne que des élus de la République puissent s’opposer à un texte visant à garantir l’égalité entre les élèves, sur des principes uniquement comptables et gestionnaires, puisqu’il s’agit bien de cela.

Pour de nombreuses familles fragilisées socialement, la restauration scolaire est le seul repas équilibré quantitativement et qualitativement de la journée notamment au Nord de notre beau département. A l'heure de la refondation de l'école, la qualité de l'apprentissage ne peut être compromise par une absence de repas.

Dois-je vous rappeler que d’après l'UNICEF, en France un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. J'appelle les sénateurs à reconsidérer les implications de ce texte dans le quotidien des familles avant le vote en séance prévu mercredi 9 décembre. La FCPE demande à tous ses militants d'interpeller leurs sénateurs au plus vite sur cette question cruciale.

Il s’agit d’un combat mené par la FCPE depuis de nombreuses années. Cette proposition de loi répond à une grande attente​ parmi les parents d’élèves, car enfin, ils n’auraient plus à se battre pour inscrire leur enfant à la cantine scolaire.

Paul DIDELOT président départemental de la FCPE des Hautes Pyrénées

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