Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de deux ans, voilà le temps que la communauté scientifique aura attendu pour voir aboutir l'élaboration d'un projet de loi promis par le Président de la République ; plus de deux ans d'attente et, finalement, une occasion manquée.
Vous aviez à votre disposition tous les ingrédients nécessaires, monsieur le ministre, pour construire, en concertation avec la communauté scientifique et grâce au travail de fond mené jusqu'aux états généraux de Grenoble, un véritable projet de loi d'orientation et de programmation refondateur, porteur d'une ambition nouvelle pour notre recherche.
Au terme de la discussion parlementaire, abrégée par la déclaration d'urgence, le texte permet-il de donner une nouvelle ambition à notre recherche, de lui apporter un nouveau souffle afin de répondre aux défis actuels ? Nous considérons que non.
Certes, un certain nombre d'améliorations ont pu être apportées, notamment les suivantes : la possibilité, pour le Haut conseil de la science et de la technologie, de s'autosaisir, et la publication d'un rapport annuel sur ses travaux ; la faculté, pour des associations, d'être associées à des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, comme nous l'avions proposé ; l'inscription dans la loi, sur notre initiative, de l'Agence nationale de la recherche en tant qu'établissement public ; la garantie qu'une part significative des crédits de l'ANR sera consacrée à des projets blancs, sans toutefois qu'elle soit déterminée, alors que nous avions suggéré de la fixer à hauteur de la moitié des crédits alloués ; le bénéfice d'une partie du financement accordé par l'ANR pour l'établissement qui héberge le projet élu, principe que nous avions également proposé de retenir lors de la première lecture, mais en fixant le pourcentage à 20 % du montant total du financement ; l'évaluation de l'ANR par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ; l'indexation de l'allocation de recherche sur l'évolution des rémunérations de la fonction publique, ce qui constitue un minimum au regard de son montant ; l'engagement de démarches pour la reconnaissance du titre de docteur dans les branches professionnelles ; la prise en compte du développement de la culture scientifique comme l'un des critères d'évaluation de la recherche, dès lors qu'elle est financée en partie par des fonds publics ; enfin, l'instauration d'un rapport annuel sur la parité entre hommes et femmes dans le secteur de la recherche.
Néanmoins, ces avancées sont limitées. La philosophie générale du projet de loi demeure, et nous n'en approuvons ni les orientations financières, ni les orientations stratégiques.
En ce qui concerne tout d'abord le financement, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, les parlementaires socialistes n'ont pas manqué de démontrer que la programmation des moyens affichée par le Gouvernement était un leurre. Déjà pour partie rétroactive, elle ne valait initialement que pour 2006 et 2007. C'était littéralement se moquer du monde ! Le Sénat a restauré un semblant de programmation en faisant porter les projections financières jusqu'à 2010, mais passer à 24 milliards d'euros de crédits en 2010 ne représente qu'une hausse de 4 %, soit 2 % de croissance du PIB et 2 % d'inflation, puisque le Gouvernement se refuse à inscrire dans la loi que la programmation s'effectue en euros constants.
Au bout du compte, l'évolution est nulle ou, au mieux, de 2 %, quand le respect de l'engagement présidentiel de porter la part de PIB consacrée à la recherche à 3 % en 2010 exigerait une hausse annuelle du budget de 10 %.
Effort financier virtuel, programmation de l'emploi scientifique inexistante : tout ce que la navette parlementaire a permis, sur ce sujet, c'est l'élaboration d'un état prévisionnel annuel du recrutement de personnels dans la recherche publique sur cinq ans, alors même que le manque de perspectives de débouchés et de carrières pour les jeunes chercheurs a été le point de cristallisation de la mobilisation, et que nous sommes confrontés à une désaffection des jeunes pour certaines filières scientifiques.
En ce qui concerne maintenant les orientations stratégiques, nous n'avons eu de cesse de dire que réformer la recherche en laissant de côté l'enseignement supérieur était contre-productif, puisque l'université assure, seule ou en coopération, 80 % de notre recherche. Je reconnais volontiers qu'il s'agit là d'un sujet sensible. Mais, si l'objectif était de faire l'économie d'une mobilisation des étudiants contre le gouvernement auquel vous appartenez, mal vous en a pris, monsieur le ministre, car cette mobilisation est tout de même survenue... à cause du contrat première embauche ! Or, ne serait-ce qu'en raison de la mise en place des PRES, l'impasse ne peut être faite sur la question de la gouvernance des universités.
Pour assurer un continuum entre recherche, enseignement supérieur et développement économique, il ne faut pas fragiliser la recherche fondamentale, mais c'est précisément ce que vous faites. Votre stratégie se focalise sur les appels à projets de l'ANR et aboutit à un financement disproportionné de celle-ci par rapport aux moyens récurrents des organismes, malgré l'adoption du principe du préciput.
Or les organismes ont pour mission de demander à leurs chercheurs de défricher des domaines dans lesquels on sait que les découvertes ne seront pas immédiates, ni rentables à terme prévisible. Une planification sectorielle en fonction d'objectifs prédéterminés ne peut être une réponse appropriée que pour les phases finales du processus de recherche et de développement.
De plus, la recherche sur projets favorise les laboratoires et les universités déjà bien dotés, parce que ce sont eux qui ont les moyens techniques et administratifs d'instruire les dossiers d'appels d'offres. En sciences humaines et sociales, on ne dispose d'aucun personnel administratif pour effectuer ces tâches ; il revient aux enseignants eux-mêmes de monter les projets de A à Z, y compris sur le plan financier.
Par ailleurs, le Haut conseil de la science et de la technologie va s'apparenter à un cabinet de conseillers scientifiques du Président de la République. Ni ses missions, ni sa composition, ni le mode de nomination de ses membres ne sont déterminés par la loi.
De même, le flou demeure pour ce qui concerne les rôles respectifs de ce haut conseil, du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie et de l'ANR. Les débats n'ont pas permis de dégager d'articulation claire. Il en va de même pour les PRES, les réseaux thématiques, les fondations et les pôles de compétitivité, qui eux ne relèvent pas de ce texte.
Au lieu de simplifier le système, vous établissez une architecture complètement enchevêtrée, dans laquelle les acteurs auront bien du mal à se retrouver. Pire encore, plutôt que les regroupements opérationnels et les coopérations constructives, c'est la concurrence entre les différents modes de collaboration et entre les structures qui est encouragée.
C'est le cas dans le sud de l'Île-de-France, où l'on assiste à une multiplication des projets : se concurrencent ainsi projets relevant d'un PRES, d'une fondation et d'un appel d'offres européen lancé dans le cadre des instituts européens de technologie, le tout marginalisant certaines disciplines ou certains sites appartenant pourtant aux établissements concernés. C'était l'un des risques de dérives que nous souhaitions éviter, en proposant notamment qu'un représentant des universités concernées puisse avoir un droit de regard sur la création des fondations, afin de s'assurer que leur objet ne faisait pas double emploi avec tel ou tel projet de recherche mené par une université. Mais, là encore, nous n'avons pas été entendus.
À l'heure où le Gouvernement souhaite renforcer son rôle en matière de pilotage de la recherche publique, il me semble tout à fait opportun de revenir sur le cas du CNRS, qui, à bien des égards, est caractéristique, précisément, de l'incapacité du Gouvernement à remplir, au bon échelon, sa mission de pilotage des organismes placés sous sa responsabilité.
En ce début d'année, concomitamment à la mise en oeuvre de la réforme du CNRS qu'il avait lui-même portée et qui était soutenue par les représentants du Gouvernement au conseil d'administration, le directeur général du CNRS s'est vu démis de ses fonctions.
Il faut tout de même préciser que c'est la deuxième fois depuis 2002 qu'un directeur général est remercié avant d'arriver au terme de son mandat. A croire que le Gouvernement confond sciemment orientation stratégique et interventionnisme dans le fonctionnement interne des établissements.
Cette décision a été vécue comme un véritable coup de force par les personnels et partenaires universitaires du CNRS, d'autant qu'elle intervient dans un contexte d'incertitude puisque le Gouvernement n'a jamais été en mesure d'exposer sa conception de l'avenir et de la stratégie du CNRS. Je me fais donc le porte-parole de leurs interrogations : s'agit-il de donner un coup d'arrêt à la réforme du CNRS ? Pourquoi placer le CNRS dans une situation qui le fragilise, et avec lui tout le système de recherche ? Quel rôle et quelle place sont réservés au CNRS dans le dispositif national rénové de la recherche ?
Ces questions ne pourront rester sans réponse de votre part, sauf à accréditer le postulat de mort programmée du CNRS par désorganisation et asphyxie.
Ce texte se veut la traduction législative d'un nouveau pacte entre la société française et sa recherche, rien de moins. Mais la conclusion d'un pacte implique la reconnaissance d'une confiance mutuelle. Or ce texte est marqué par la défiance du Gouvernement envers les chercheurs et les institutions de la recherche. Quant à la confiance des chercheurs, le Gouvernement l'a perdue avec un projet de loi bien en deçà de leur attente et des propositions des états généraux.
Pour ce qui est de la société française, nous savons tous que sa vision de la recherche, et plus généralement de la science, est ambiguë et participe souvent d'une confusion entre progrès scientifique et usage que l'on en fait. Il ne me semble pas que l'instrumentalisation de la science par certains membres du Gouvernement au profit de leur positionnement politique aille dans le sens d'une vision plus positive de la part de nos concitoyens.
Ainsi, monsieur le ministre, légitimer un pseudo-retour à la méthode syllabique en présentant cette décision comme la conséquence logique de vérités scientifiques émanant des neuro-sciences me paraît périlleux.
Cela n'est assurément pas anodin, surtout quand le détournement de la science en fonction d'objectifs partisans s'érige en stratégie de politique gouvernementale.
Ce gouvernement a, en effet, franchi un nouveau palier avec l'utilisation, par le ministre de l'intérieur, du rapport de l'INSERM de septembre 2005 sur les « troubles des conduites chez l'enfant et l'adolescent » pour légitimer par avance son futur plan de prévention de la délinquance.
Ce dernier se fonde sur une « pathologisation » de la délinquance. Selon un déterminisme implacable, on pourrait dépister les futurs délinquants dès la crèche. S'opère ainsi un glissement dangereux du préventif au prédictif. Ce glissement était déjà à l'oeuvre dans le rapport sur la prévention de la délinquance du député Jacques Alain Bénisti, avec sa « courbe évolutive d'un jeune qui, au fur et à mesure des années, s'écarte du droit cheminpour s'enfoncer dans la délinquance ».
Pour notre part, nous réfutons catégoriquement ce « néo-scientisme gouvernemental », comme l'appelle notre collègue Jean-Pierre Sueur, ainsi que ce déterminisme, cette médicalisation à la fois de la délinquance et de la santé mentale de nos enfants.
Pour conclure, avec l'ensemble des sénateurs socialistes, je regrette que la France ne soit pas le moteur de l'Europe en matière de recherche et que la politique du Gouvernement ne permette pas de stopper la perte de vitesse de notre pays sur la scène internationale, en particulier au regard des pays asiatiques tels que le Japon, l'Inde ou la Chine. Puissent les prochaines échéances électorales replacer la recherche au coeur du débat politique !