Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous indique d'emblée que le groupe de l'UC-UDF votera ce projet de loi de programme pour la recherche. Vous aurez ainsi l'esprit libéré pour que nous puissions ensemble aller plus loin sur les questions de fond.
Notre collègue Ivan Renar disait à l'instant que ce texte mettait en péril la recherche française et la France, je ne le pense pas. Nous considérons, au sein du groupe de l'UC-UDF, que le projet de loi va dans le bon sens, mais nous restons sur notre faim. Nous regrettons qu'il n'aille pas plus loin, qu'il ne nous donne pas plus d'arguments dans une compétition mondiale difficile. Il ne faudra pas, monsieur le ministre, que vous en restiez à cette loi. Elle n'est à la hauteur ni des enjeux que nous devons relever, ni des espérances qui étaient les nôtres.
Lorsque la commission spéciale présidée par Jacques Valade a été mise en place, nous pensions que le Parlement, fort de ses travaux préliminaires, allait pouvoir faire son travail de législateur en allant le plus loin et le plus complètement possible sur le fond. Si nous nous sommes félicités que le Sénat soit saisi en premier de cette loi de programme, ce qui a permis de valoriser les travaux de la commission spéciale, nous avons regretté que les débats aient eu lieu à la sauvette entre l'examen de la loi de finances initiale et celui de la loi de finances rectificative, ce qui n'est pas la meilleure période pour mobiliser les membres de la commission des finances.
Nous avons surtout déploré que ce texte soit déclaré d'urgence, ce qui nous a privés d'un dialogue avec l'Assemblée nationale, laquelle aurait certainement fait son miel des réflexions de notre commission spéciale et, plus généralement, du Sénat. Cela n'a pas été possible, et c'est bien dommage. À force de déposer tous les textes en urgence, il n'y a plus d'urgence. Nous avons de plus en plus tendance à confondre l'urgence et l'importance. Or, selon moi, plus un texte est important, moins il doit être traité dans l'urgence, plus il convient de se donner les moyens d'une vraie réflexion sur le fond pour aboutir à de solides conclusions.
Bref, nous n'avons pas travaillé dans les meilleures conditions, et je le regrette.
Nous aurions pu aller plus loin sur plusieurs sujets, probablement sur le statut et la carrière des chercheurs et certainement sur l'autonomie des universités et des centres de recherche.
À cet égard, la contrepartie de l'autonomie, et donc de la liberté, c'est l'exigence, notamment l'exigence de résultats. Nous devons développer une vraie réflexion sur ce point.
Nous devons également considérer que la mobilité est une contrepartie de l'autonomie. Elle est la condition d'une confrontation des idées, du développement de la curiosité de chacun, de l'échange, de la stimulation. Elle est, par ailleurs, le cadre d'un bon usage de la liberté.
Qu'elle soit publique ou privée, universitaire ou relevant de centres spécifiques, la recherche est excessivement cloisonnée, comme l'est, plus généralement, notre société. Cette caractéristique constitue un problème fondamental pour notre recherche nationale. Notre pays compte autant de chapelles que de secteurs, et l'université plus encore que n'importe quel autre secteur du pays. Or la recherche doit montrer l'exemple de l'ouverture sur la société et sur le monde. Si la recherche ne le fait pas, qui le fera ?
C'est aujourd'hui un objectif fondamental pour notre société. S'il faut décloisonner l'université, il faut plus encore décloisonner les mentalités. Les esprits ne sont pas suffisamment ouverts dans notre pays. À cet égard, je voudrais citer deux exemples qui m'ont particulièrement frappé lorsque je présidais la mission d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises.
Aux États-Unis, un chercheur entrepreneur que nous avons rencontré nous a expliqué le processus. À partir du moment où le chercheur valorise les résultats de sa recherche, il est le mieux placé pour le faire, parce qu'il connaît le mieux son sujet et qu'il est motivé. Ainsi il va réussir dans son entreprise de recherche. Comme il reste profondément chercheur avant d'être entrepreneur, il va réinvestir les résultats de son entreprise dans la recherche, et l'effet « boule de neige » est engagé ! C'est ce que nous ne savons pas suffisamment faire en France.
Nous avons également rencontré des Français ayant fondé une entreprise aux États-Unis - et ils sont nombreux. L'un d'entre eux nous a expliqué que son entreprise, qui n'avait pas de chiffre d'affaires ni de capital, avait néanmoins une grande valeur. Cette entreprise de recherche sur le génome de la jeunesse faisait travailler une dizaine de chercheurs, rétribués grâce aux dotations de fondations américaines. Le chercheur entrepreneur n'avait pas de capital parce qu'il voulait rester indépendant et ne générait pas de chiffre d'affaires parce qu'il attendait de pouvoir vendre ses produits dans les meilleures conditions. Et cela faisait dix ans que ses recherches étaient financées et que son entreprise fonctionnait !
En France, nous n'imaginerions pas un seul instant un chef d'entreprise sans chiffre d'affaires ni capital aller demander de l'argent à son banquier. Il ne pourrait pas développer son entreprise et serait immédiatement obligé de mette la clé sous la porte !
Il faut donc modifier les mentalités dans notre pays pour arriver à cette nouvelle conception de l'insertion de l'entreprise de recherche dans notre société ; sinon, nous n'irons pas loin.
Si nous plaidons pour l'autonomie, il convient également de favoriser la diversité des situations.
Alors que je montais à la tribune, le président Jacques Valade m'a demandé en aparté si j'allais parler des grandes écoles. Je vais le faire, mais indirectement. Nous avons plusieurs modèles dans notre pays et nous devons envisager cette diversité comme une richesse. Il ne faut pas sans arrêt opposer le lobby des grandes écoles à celui des universités.