Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lire un livre ou la presse, écouter la radio, regarder la télévision, voilà les gestes, au cœur de notre quotidien le plus simple, que recouvre la présente mission.
Je consacrerai mon intervention au défi du passage à l’ère numérique, qui irrigue tout le secteur culturel. L’évolution de ce secteur, qui continue de justifier un régime dérogatoire de subvention à la création artistique, doit se faire dans le respect du principe de diversité culturelle.
La question de la diversité de l’offre culturelle est particulièrement prégnante dans le domaine du livre ; le rôle des pouvoirs publics n’en est que plus important.
Des institutions telles que la bibliothèque nationale de France ont su aller au-devant du défi numérique ; le travail de numérisation en cours permettait ainsi à la bibliothèque numérique Gallica de posséder en juin 2014 plus de 3 millions de documents de toutes sortes. En outre, Gallica intra muros, disponible seulement dans les salles de lecture de recherche de la BNF, compte 3, 3 millions de documents. Ce travail précieux s’inscrit par ailleurs dans un cadre européen, en coordination avec Europeana, qui recense plus de 26 millions d’objets numériques.
Nous saluons ainsi l’effort supplémentaire au profit des seules industries culturelles, qui s’élève à 1, 4 % du budget pour 2015. Le programme 334 « Livre et industries culturelles » se voit allouer par le projet de loi de finances pour 2016 près de 266 millions d’euros en autorisations d’engagement et 276 millions d’euros en crédits de paiement. Ainsi, cette augmentation des crédits participe pleinement à la préservation de l’exception culturelle française, parfois mise à mal par la modernité et par sa temporalité particulière.
La préservation de la diversité de la création et de la diffusion fut au fondement de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre destinée à préserver un réseau dense et diversifié de détaillants, dont l’existence paraissait menacée par les pratiques de bradage ou de discount. Ce refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé est toujours d’actualité. Contrairement au secteur de la musique, où l’absence de régulation a contribué à l’étiolement du réseau des disquaires indépendants avant même l’apparition des nouvelles technologies, force est de constater que la loi votée en France en 1981 a permis de garantir un réseau dense et diversifié de librairies. Grandes et petites structures continuent de constituer le circuit de vente d’œuvres littéraires.
Toutefois, nous le savons, avec plus de 400 000 références en langue française et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le seul livre, Amazon est désormais le premier libraire de France. La loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres, dite « loi anti-Amazon », visait à interdire aux libraires en ligne de cumuler à la fois une remise de 5 % sur le prix des livres et la gratuité de la livraison ; elle a vite été contournée. Les plateformes y ont en effet répondu en fixant les frais de livraison à 1 centime par commande contenant des livres.
Il faut ajouter que les géants du web ont continué de renforcer leur stratégie d’évitement de l’impôt en France. Par exemple, Google est parvenu à faire baisser de 35 % l’impôt sur les bénéfices payé en France : en 2014, cette entreprise a ainsi versé un peu plus de 5 millions d’euros, contre 7, 7 millions d’euros en 2013 et 6, 5 millions d’euros en 2012. Or, l’an dernier, cette entreprise a enregistré un bénéfice net annuel de 14, 4 milliards de dollars dans le monde, et son chiffre d’affaires mondial a bondi de 16 %.
L’ambition des pouvoirs publics doit donc être plus grande, et non pas simplement symbolique et pédagogique, afin que la culture ne cesse jamais d’être au cœur de notre identité et de notre pacte républicain.
La presse est également au centre de cette mutation importante. Le numérique a modifié les habitudes de consommation mais n’a pas encore révolutionné le modèle économique de ce secteur. Des mesures ont déjà été prises pour moderniser le secteur et pour développer ses diffusions numérique et physique. Je pense notamment à l’application du taux réduit de 2, 1 % de la TVA aux services de presse en ligne, au ciblage accru sur la presse en ligne du Fonds stratégique pour le développement de la presse, mais également à l’extension et au renforcement de la réduction d’impôt pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d’information, mesures que nous avons adoptées en début d’année.
Le budget pour 2016 prévoit une mesure nouvelle de 4 millions d’euros en faveur des aides au pluralisme de la presse écrite, ce que nous saluons. L’effort doit être poursuivi. Michel Françaix, rapporteur pour avis de la commission de la culture de l’Assemblée nationale, l’a souligné, il s’agit aujourd’hui de mieux accompagner les acteurs émergents et les initiatives innovantes.
Plusieurs limites existent en ce qui concerne les médias émergents : la faiblesse des capacités d’investissement propres à ces sociétés, le caractère mixte de plusieurs sites qui relèvent de la presse écrite, du blog, de la musique et de la vidéo – cela les fait sortir des critères de définition de la presse en ligne –, et les modalités de fonctionnement du fonds stratégique, qui consiste en un versement de l’aide sur présentation d’une facture.
Plusieurs pistes ont été envisagées : la réintroduction de la réduction d’impôt pour souscription des entreprises au capital des sociétés de presse ou encore la majoration de l’avantage fiscal jusqu’à 50 % des sommes investies dans une entreprise solidaire de presse d’information. Le modèle français de la presse doit évoluer et nous attendons à ce sujet une initiative forte du Gouvernement.
En outre, la Commission européenne a lancé, le jeudi 10 juillet 2014, une procédure contre la France, pour que celle-ci cesse d’appliquer un taux de TVA réduit à la presse en ligne. Madame la ministre, où en est cette procédure aujourd’hui ?
Par ailleurs, il est à noter qu’une entreprise comme Google utilise des contenus produits par la presse sans les rémunérer.