Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 3 décembre 2015 à 15h00
Loi de finances pour 2016 — Compte d'affectation spéciale : gestion du patrimoine immobilier de l'état

Photo de Michel BouvardMichel Bouvard :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la politique immobilière de l’État repose sur deux outils, au-delà des budgets ministériels.

Le premier est le programme 309, « Entretien des bâtiments de l’État », qui est rattaché à la mission que vient de présenter Thierry Carcenac. Il finance les travaux d’entretien lourd de l’État propriétaire. Il est doté de 145 millions d'euros en 2016, en légère baisse. Dans le détail, les crédits alloués à la « maintenance corrective » baissent au profit de la « maintenance préventive », ce qui est de bonne politique.

Le second, le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », finance les travaux structurants de reconversion.

Ce compte est financé par les produits de cession des immeubles de l’État, évalués à 500 millions d'euros pour 2016. L’objectif paraît réaliste, mais, à moyen terme, monsieur le secrétaire d’État, les choses sont plus inquiétantes : la raréfaction progressive des biens cessibles de qualité pourrait bientôt remettre en cause l’équilibre économique du CAS. La liste des cessions à venir et les délais pour les réaliser témoignent de ce tarissement, sans parler du caractère incongru de certaines ventes prévues en 2016, comme le terrain de Palmyre, qui, pour être anecdotique, n’en est pas moins le reflet du peu d’attention portée aux documents remis au Parlement.

Il est donc urgent de trouver un moyen de valoriser au mieux ce qui reste à céder – pourquoi toujours céder des bâtiments, souvent en mauvais état, quand une rénovation pourrait en augmenter la valeur ? Faut-il d’ailleurs toujours vendre ? France Domaine devrait étudier les multiples possibilités de valorisation locative, quitte à déléguer la gestion à un tiers.

L’épuisement du « réservoir » des cessions est d’autant plus alarmant que le CAS finance aujourd’hui des politiques qui se font concurrence.

Il contribue d’abord au désendettement de l’État – programme 721 –, au taux théorique de 30 % des produits de cessions. En pratique, celui-ci ne sera que de 16 % en 2016, soit 80 millions d’euros. Le taux de 30 % n’a d’ailleurs jamais été atteint en raison de multiples exonérations. Ces dérogations nuisent à la lisibilité et à la soutenabilité du CAS. Pour preuve, cette année, l’équilibre est porté à bout de bras par une « contribution exceptionnelle » de 75 millions d’euros du ministère des affaires étrangères, alors même que celui-ci bénéficie théoriquement d’une exonération…

Il finance ensuite la modernisation du parc immobilier de l’État – programme 723. Aujourd’hui, les recettes sont clairement insuffisantes pour faire face aux dépenses nécessaires, d’autant que l’État doit honorer ses engagements en matière de mise en accessibilité.

Le CAS finance aussi, indirectement, la loi de programmation militaire, au travers du régime d’exonération dont bénéficie le ministère de la défense.

Enfin, depuis 2013, il finance la politique du logement social au moyen des décotes « Duflot ». Celles-ci permettent de céder un immeuble en dessous de sa valeur vénale, jusqu’à la gratuité. Cette décote a même remis en cause le droit de retour du ministère de la défense, créant une exception à l’exception.

Nous avons obtenu le bilan de ces cessions : depuis 2013, les décotes représentent 75 millions d’euros, soit 61 % de la valeur des biens. Sans préjuger le bien-fondé de cette politique, qui a permis de construire 2 889 logements sociaux, celle-ci ne correspond pas à la vocation du CAS, qui est de contribuer au désendettement et à la modernisation du parc immobilier de l’État. La commission des finances a adopté deux amendements de clarification, qui tendent, d’une part, à imputer les décotes « Duflot » sur le budget général et, d’autre part, à inscrire celles-ci en annexe de la loi de finances, au même titre que les dépenses fiscales.

Monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons financer avec une seule recette quatre politiques. La politique immobilière de l’État a donc besoin d’une opération vérité. En effet, outre que les cessions vont diminuer, elles se voient assigner des objectifs de plus en plus contradictoires, aucun d’entre eux n’étant véritablement atteint. C’est à cette clarification que le Sénat est prêt à travailler, dans un esprit constructif.

La bonne diffusion des principes de la politique immobilière de l’État est par ailleurs freinée par la faiblesse de France Domaine. En pratique, les ministères gardent la main sur l’essentiel des dépenses et des décisions, par exemple le choix du régime d’occupation des immeubles – achat, location, etc. L’autorité hiérarchique appartient aux préfets dans les régions, et non aux responsables régionaux de la politique immobilière de l’État. En Île-de-France, la coordination des administrations centrales et déconcentrées reste insuffisante et entrave les projets de mutualisation, malgré la volonté de l’exécutif.

Si l’estimation du patrimoine immobilier de l’État ne fait plus l’objet de réserves de la part de la Cour des comptes à l’occasion de la certification des comptes 2014, le travail n’est pas pour autant achevé : les incertitudes concernent encore près de 12 % du parc !

Enfin, les opérateurs constituent le véritable « angle mort » de cette politique immobilière. Leurs dépenses sont mal estimées et mal pilotées. Sept ans après les circulaires du Premier ministre, leur patrimoine n’est toujours pas connu ! Selon le rapport de la Cour des comptes précité, 52 opérateurs n’ont toujours pas achevé leur processus de fiabilisation et, parmi ceux qui sont censés l’avoir terminé, 49 ne l’auraient en réalité pas finalisé, si l’on en croit les contrôles opérés.

Cette situation est regrettable, car les possibilités de cession ou de valorisation sont réelles pour les opérateurs. Il reste donc un travail considérable à réaliser.

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