Intervention de Jacques-Bernard Magner

Réunion du 9 décembre 2015 à 14h30
Accès à la restauration scolaire — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jacques-Bernard MagnerJacques-Bernard Magner :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, adoptée par l’Assemblée nationale et présentée au Sénat par Yannick Vaugrenard, a pour objet de compléter le code de l’éducation en vue d’instaurer un droit d’accès à la restauration scolaire, afin que tous les enfants scolarisés, sans distinction, puissent bénéficier de ce service lorsqu’il existe.

C’est une cause juste, puisqu’elle concerne une égalité de traitement. J’insiste sur le mot « égalité », qui fait partie de la devise républicaine figurant au fronton de nos écoles publiques.

Il apparaît que des communes établissent des critères discriminants en vue d’établir des sélections illicites. Ainsi, certaines refusent l’accès à la restauration scolaire aux élèves dont au moins l’un des parents n’exerce pas d’activité professionnelle, ou dont la mère est en congé de maternité, ou parce que l’un des deux parents est au foyer pour une raison ou pour une autre.

Dans ces divers cas, les parents seraient prétendument « disponibles » pour fournir un déjeuner à la maison, ce qui n’est pas conciliable avec les démarches nombreuses nécessitées, notamment, par la recherche d’emploi – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, et ce qui est parfois aussi compliqué par l’éloignement du domicile.

Toutes les familles ne résident pas à proximité de l’école : comment pourrait-on adapter le règlement de l’accès à la cantine pour ceux qui viennent le matin pour ne repartir que le soir ? Les parents disponibles devraient-ils venir chercher leurs enfants pour le repas ? Ou bien créerait-on une nouvelle discrimination entre ceux qui vivent dans les bourgs et ceux des villages ?

D’autres critères discriminatoires sont parfois retenus, tels que l’origine, la situation de la famille, l’état de santé ou le handicap, ou bien encore l’appartenance à une religion. Beaucoup se sont émus de cette situation.

Tout d’abord, une importante association de parents d’élèves a porté le problème devant le juge administratif, considérant que l’accès à la cantine est un droit et qu’en exclure certains enfants représente une discrimination. Cela a été rappelé, il convient de remarquer que le juge administratif leur a donné raison chaque fois qu’un recours a été intenté. Toutefois, cela n’a pas empêché certains maires de continuer à ignorer ce principe d’égalité devant le service public.

Par ailleurs, en mars 2013, Dominique Baudis, Défenseur des droits, recommandait dans un rapport sur les cantines que ce service public, « dès lors qu’il a été mis en place, soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent ». Alerté par des cas de refus d’accès à ce service, le Défenseur des droits a beaucoup travaillé sur cette question.

Enfin, dans un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de mars 2015, intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire », Jean-Paul Delahaye préconisait que la restauration scolaire devienne un droit sans aucune condition restrictive.

En effet, malheureusement, un enfant sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Pour ces enfants, qui arrivent trop souvent à l’école le matin le ventre vide, le repas servi à la cantine est la plupart du temps le seul repas équilibré de la journée. Par ailleurs, ils sont privés d’un droit dont bénéficient leurs camarades, ce qui met en évidence leur situation sociale ou familiale et les stigmatise.

De plus, les enseignants savent bien que l’attention d’un enfant qui a pris un repas équilibré, assis tranquillement avec ses camarades à la cantine, sera bien meilleure pour la suite de la journée et pour les apprentissages. Ce repas a un impact sur la santé, mais aussi sur la scolarité de l’enfant. Je rappelle également l’importance de la pause méridienne en termes de socialisation, de mixité sociale, d’échange et d’apprentissage du vivre ensemble.

La cantine occupe une place majeure dans la vie des enfants et leur quotidien à l’école. Lorsque les parents se trouvent confrontés à un refus d’accès, ils sont généralement désemparés, démunis et, finalement, renoncent à engager une procédure, car c'est trop compliqué.

Heureusement, les associations de parents d’élèves interviennent et sont un relais essentiel pour former un recours. D’où l’importance de la proposition de loi qui fait l’objet de notre débat pour contribuer à protéger les familles, mettre fin aux dérives constatées et éviter certains dérapages.

La loi évitera de longues et fastidieuses démarches. Elle empêchera surtout de traumatiser des enfants, en donnant aux familles la possibilité de se fonder sur un dispositif clairement établi par le législateur, et non par les juges.

Dans le rapport du Défenseur des droits, il est rappelé que le service de restauration scolaire est un service public administratif facultatif local, soumis au principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, bien qu’il soit facultatif, dès lors qu’il est créé, il doit respecter les grands principes du service public que sont, notamment, l’égalité d’accès au service, la continuité et la neutralité religieuse.

Ainsi, les communes disposent du droit de créer ou non un service de restauration scolaire. Néanmoins, une fois le service créé, elles ne devraient pas disposer d’un pouvoir souverain d’appréciation quant au droit d’y accéder. Si le service existe, il existe pour tous !

Dans le texte, la libre administration des communes et de leurs finances n’est absolument pas remise en cause, tout comme n’est pas remis en cause le droit de la commune à appliquer un règlement intérieur pouvant éventuellement comporter des motifs d’exclusion, à condition de se placer dans les limites fixées par la loi.

Nous devons nous placer sur le plan des valeurs républicaines de justice et d’égalité. Dans le prolongement de la loi de refondation de l’école sur laquelle nous avons beaucoup travaillé en juillet 2013 et dans laquelle nous avons tenu à affirmer que l’école doit être inclusive et bienveillante, il faut aujourd’hui permettre l’égalité d’accès à la restauration scolaire de tous les enfants qui le souhaitent, sans discrimination relative à la situation familiale.

Accepter qu’il en soit autrement reviendrait à donner un mauvais signal et à encourager les règlements qui limitent le droit, voire qui excluent certains enfants de la cantine dont ils ont tant besoin.

C’est pourquoi, à l’instar des députés, les sénateurs socialistes soutiennent cette proposition de loi, qui ne crée ni droit nouveau ni contrainte nouvelle pour les collectivités, mais qui rappelle simplement le droit existant en affirmant le principe d’égalité.

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