Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 9 décembre 2015 à 14h30
Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Stéphane Le Foll, ministre :

Vous suivez et donc je le note.

Toutefois, je me rappelle de la demande consistant à dire que, pour régler cette crise, il fallait simplement un prix de 40 centimes le litre sur l’ensemble de l’Europe. J’avais toujours affirmé clairement que c’était impossible.

Nous pourrons tous être confrontés à une crise de marché.

Cette crise de marché, c’est le problème de la baisse des prix, qui remet en cause des structures agricoles dans certaines filières ; c’est le problème de la manière dont on aborde le marché pour être positionné sur des segments permettant de valoriser les activités et de créer de la valeur ajoutée afin d’éviter au maximum ce qui s’est déjà produit, c’est-à-dire que nous soyons concurrencés directement par d’autres productions ou d’autres producteurs à l’échelle mondiale.

Les trois filières de l’élevage qui sont aujourd’hui touchées – la viande bovine, le porc et le lait – ont d’ailleurs toutes des causes structurelles différentes.

La production porcine a été confrontée à une accumulation de choix et de situations qui remontent à dix ans au moins.

La filière bovine est aussi victime de manière collatérale de la situation de la filière laitière, avec des abattages de vaches de réforme et – cela vaut également pour la filière porcine – une consommation qui ne tire pas la production. Gardons bien cela à l’esprit : en cas d’augmentation de la production, la consommation est plus faible, avec des répercussions immédiates sur le prix du marché.

S’agissant du lait, comme l’a dit M. Lenoir, nous nous retrouvons sur un marché de dimension mondiale. Nos grandes entreprises laitières – je pense à celles de l’Ouest, mais aussi à celles qui sont implantées dans d’autres régions – sont exportatrices, elles contribuent à la force de l’industrie agroalimentaire française. Je parle en toute franchise : il faut prendre en compte le fait que l’impact de la mondialisation peut être plus ou moins important selon le « mix » pratiqué par chacune des entreprises, selon l’arbitrage fait entre les produits transformés et à haute valeur ajoutée, lesquels sont beaucoup moins dépendants des prix, et les produits dont les prix sont liés à la poudre et au beurre, et ont un impact direct sur les prix payés aux producteurs.

Vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs, des propositions sur un deuxième élément fondamental, qui concerne l’organisation des filières. Le sujet est essentiel, car une telle organisation n’existe pas en France. Je rappelle qu’il n’y a plus d’interprofession laitière, que l’interprofession bovine fonctionne avec des difficultés énormes, qu’il n’existe pas d’interprofession dans la filière de la volaille – secteur dans lequel je souhaite que commence à se construire une interprofession, je pousse dans ce sens ! De même, aujourd'hui, avec la fin des quotas, dans la filière du sucre, qui est solide et forte, il n’existe pas d’interprofession.

Sur tous ces sujets, les acteurs ont l’obligation de s’organiser afin de pouvoir discuter, arbitrer un certain nombre de choix, créer de la valeur ajoutée et développer des stratégies de contractualisation. Nous sommes d’accord, mais encore faut-il parvenir à convaincre les acteurs du terrain, qui ne sont pas tous toujours aussi enclins que nous à avancer vers ces organisations de filières, qui sont pourtant indispensables à la compétitivité de l’agriculture française.

Je l’ai déjà dit, il est également nécessaire de réfléchir à ce qui va faire la compétitivité pour l’agriculture française de demain, dans l’élevage en particulier. Je répète que notre capacité à mieux utiliser le potentiel de production fourragère de la France en vue de renforcer son autonomie sera à l’avenir un atout majeur. Il nous faut mettre en place des groupements d’intérêt économique et environnemental, il nous faut développer des stratégies de production qui vont associer différentes filières. Cet axe doit être essentiel dans la définition de notre stratégie pour l’avenir de l’agriculture française. Oui, elle a un avenir, car nous avons plus de potentiel que d’autres !

Je vais vous relater un épisode révélateur. Je me suis rendu début octobre en Russie pour y négocier la fin de l’embargo sanitaire de l’Europe. Il neigeait, les récoltes étaient terminées, il n’y avait plus rien à faire.

De retour chez moi, dans la Sarthe, je suis allé visiter une exploitation que je connais bien. Il y avait de l’avoine, du sorgho et de la féverole. Les couvertures de sol avaient une hauteur de plus d’un mètre !

J’en ai tiré une leçon : quand en Russie, tout est terminé et qu’on ne peut plus rien faire, chez nous, on peut encore faire beaucoup. Forts de cette certitude, nous pourrons développer des stratégies qui vont nous permettre d’être compétitifs.

Cela vient d’être dit, la crise a nécessité la mobilisation de l’État. Cette intervention, qui était conjoncturelle – je reviendrai sur les aspects structurels –, était nécessaire. L’aide a représenté 700 millions d'euros, auxquels s’ajoutent les 63 millions d'euros débloqués à l’échelon européen. Je rappelle que ces 63 millions d'euros n’auront absolument rien coûté à la France puisqu’il s’agit d’une recette exceptionnelle. Produit d’une sanction, cette somme provient des pénalités payées par les pays qui avaient dépassé leurs engagements en termes de production laitière.

Sur les 500 millions d'euros qui ont ainsi été débloqués à l’échelle européenne, nous avons bénéficié de 63 millions d'euros. Ils viendront s’ajouter aux 700 millions d'euros dégagés à l’échelon national, sur lesquels 100 millions d'euros sont destinés aux allégements de charges. Des crédits seront également utilisés pour la restructuration des dettes dans le cadre de « l’année blanche ».

Je l’ai dit clairement après voir eu une discussion avec le Crédit Agricole et le Premier ministre, il va falloir adapter notre système. Nous avions envisagé une « année blanche » sur tous les prêts, nous allons mettre en place une année blanche intermédiaire : le remboursement d’annuités de prêts spécifiques structurants sera reporté, mais il sera difficile d’étendre la pratique à la totalité des prêts et des emprunts.

Aujourd'hui, « l’année blanche » concerne quelque 400 dossiers. Il faut que nous allions au-delà pour permettre, en faveur des éleveurs, un aménagement de la dette qui soit adapté à chaque situation et qui prenne en compte les prêts de manière différenciée. Sur les allégements de charges sociales, la Mutualité sociale agricole, la MSA, je le dis encore une fois, fait un travail formidable. Elle est un atout précieux pour tous les agriculteurs !

Nous avons eu des débats récemment encore à l’Assemblée nationale sur la situation du Régime social des indépendants, ou RSI. Il faut le dire de concert, la MSA fonctionne, et elle fonctionne bien ! C’est grâce à elle que les agriculteurs peuvent, cette fois encore, bénéficier de 180 millions d'euros d’allégements de charges, dont 50 millions d’euros sur les cotisations MSA, 90 millions d'euros sur le calcul de l’assiette sur les cotisations de l’année n-1 – j’ai cru entendre parler de ce sujet –, 45 millions d'euros au travers de la baisse de l’assiette minimale des cotisations, ajustée pour l’agriculture au niveau de celui qui est pratiqué pour les artisans. C’était le minimum. C’est fait et cela coûte 45 millions d'euros !

Des crédits d’urgence ont été mobilisés sur la promotion, pour 10 millions d'euros. Nous avons renforcé à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires le soutien à l’investissement avec le plan de compétitivité et d’adaptation pour les exploitations agricoles, ou PCAE. Ils viennent s’ajouter aux 56 millions d'euros initialement prévus, soit au total 86 millions d'euros, afin d’aider l’élevage à investir, en particulier dans les bâtiments d’élevage. Ce renforcement des aides de l’État permettra, avec le PCAE, c'est-à-dire les régions et les fonds du deuxième pilier, d’atteindre 350 millions d'euros d’argent public pour l’investissement dans l’agriculture. Cela peut permettre de lever le fameux milliard d'euros par an qui avait été souhaité par le syndicalisme agricole pour favoriser l’investissement. Et il y a, en effet, besoin de soutenir l’investissement pour améliorer la compétitivité.

Ce sont également 30 millions d'euros supplémentaires qui iront aussi aux abattoirs, au travers du programme d’investissements d’avenir, le PIA. Le plan de soutien permet également un abondement de 30 millions d’euros en 2015 pour ce que l’on appelle les mesures agroenvironnementales et climatiques, qui sont nécessaires en particulier en Normandie. Lorsque je m’y étais rendu, la demande était très forte pour favoriser l’adaptation notamment dans les zones où le handicap n’est pas compensé et dans les zones d’herbage qui bénéficiaient auparavant de la prime herbagère agro-environnementale, ou PHAE, et dans un certain nombre de départements. Cet effort a, d’ailleurs, été salué par les communiqués d’un certain nombre de chambres d’agriculture, je pense notamment à celle de Poitou-Charentes.

Nous avons revu la fiscalité incitative sur la méthanisation. Nous avons modifié la déduction pour aléas, ou DPA : le débat vient d’avoir lieu ; il s’agit de modifications très importantes, que nous avions annoncées avec le Premier ministre et que nous mettons en œuvre dans le cadre de la loi de finances rectificative.

J’ai bien compris les propositions que vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous sommes d’accord, tant il est besoin d’assurer aux agriculteurs, lorsque leurs revenus et les prix sont rémunérateurs, une épargne utilisable de manière souple, au moment où les prix sont moins rémunérateurs – c’est tout l’enjeu – et où l’on peut aussi enclencher des processus contracycliques en fonction des situations de marchés, voire en fonction des aléas climatiques.

C’est ce qui nous a fait retenir des propositions, que je souhaite voir adopter ici au Sénat lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, sur l’accélération des investissements et sur les installations d’élevage et de stockage, des effluents d’élevage, en particulier, pour les adaptations sur les zones vulnérables.

La réforme fiscale sur le forfait agricole est un vrai et très important sujet. Longtemps reporté, il figure dans le projet de loi de finances rectificative. Nous pouvons ensemble faire le constat que cela va dans le bon sens. Vous l’avez dit, monsieur Lenoir. Sur le sujet, il y a donc unanimité. Nous allons pouvoir avancer au cours du prochain débat sur le projet de loi de finances rectificative.

Tous ces éléments ont nécessité la mise en place des fameuses cellules d’urgence dans tous les départements. Je tiens à saluer le travail de tous : l’administration, les chambres d’agriculture, les centres de gestion, tous ont été mobilisés pour assurer le traitement de tous ces dossiers.

La crise est profonde puisque près de 40 000 dossiers ont été déposés. Le constat que vous faisiez, monsieur Gremillet, sur la profondeur de la crise a trouvé sa traduction concrète dans le nombre de dossiers déposés. Plus de 20 000 sont d’ores et déjà traités par les cellules d’urgence et 10 000 dossiers feront l’objet d’un paiement d’ici à la fin du mois de décembre.

L’enjeu était très important, en particulier dans un certain nombre de filières extrêmement touchées, dont la filière porcine, qui vit aujourd'hui des difficultés. Les 10 000 dossiers prioritaires qui seront payés relèvent de la filière porcine et de la filière bovine. Nous aurons ensuite à traiter les dossiers liés au lait, qui sont aussi importants.

Tout cela nécessitera aussi un travail plus structurel, de moyen terme et de long terme : sur la contractualisation, sur l’organisation des filières, sur la segmentation, sur la remise à plat des cotations dans la viande bovine comme dans la viande porcine, sur les signaux, que l’on va mettre à disposition des acteurs, sur le prix.

Vous avez parlé, monsieur Gremillet, de Plérin, ce marché de 10 000 porcs par semaine. Il devient compliqué de fixer un prix pour le porc. Je le dis au Sénat pour la première fois, d’ici à la semaine prochaine, nous ferons sur ce sujet des propositions spécifiques prenant en compte l’ensemble des éléments qui doivent être travaillés. Nous traiterons de la contractualisation, de la segmentation, de la cotation, en particulier pour la viande bovine, ainsi que de la fixation et de l’émission d’indicateurs de prix, pour la filière porcine, notamment ; c’est absolument indispensable aujourd’hui.

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