Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 décembre 2015 à 9h20
Suivi de l'état d'urgence — Audition de M. François Molins procureur de la république près le tribunal de grande instance de paris et Mme Camille Hennetier vice-procureur au parquet anti-terroriste du tribunal de grande instance de paris

François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris :

La législation antiterroriste a connu ces dernières années des évolutions qui nous permettent de mieux travailler, même si quelques améliorations peuvent encore être apportées.

Un système qui repose sur un seul homme est mauvais par définition. Entre le parquet, l'instruction, le siège, plusieurs dizaines de magistrats sont spécialisées sur l'antiterrorisme. Personne n'est irremplaçable, heureusement - ce serait dramatique pour nos institutions.

Faut-il donner plus de pouvoirs aux parquetiers spécialisés ? Pour qu'ils puissent les exercer sans contestation, cela suppose au préalable de clarifier enfin le statut du parquet en engageant la révision constitutionnelle que beaucoup appellent de leurs voeux.

Pouvoir mutualiser nos moyens est l'une de nos forces face au risque d'attentats simultanés sur différentes sites de province. Lors de la tentative d'attentat du Thalys, l'un de nos collègues s'est rendu à Arras dans les deux heures.

Il est prévu de porter de neuf à onze le nombre de magistrats du parquet antiterroriste, et de trente-cinq à cinquante ou soixante le nombre de magistrats inscrits sur la liste pour la cellule de crise, afin de pouvoir projeter des binômes sur place en cas d'attentats commis de façon coordonnée sur plusieurs points du territoire national - en coordination avec les parquets locaux, avec lesquels nous travaillons toujours dans ces affaires.

Pourquoi avoir travaillé si longtemps en flagrance ? Cela nous a donné une réelle efficacité : nous avons fait ce qu'aucune autre institution judiciaire n'aurait pu faire à notre place, en mobilisant trente-cinq magistrats du parquet jour et nuit... Impossible pour le siège de mettre en place un tel dispositif : l'instruction fonctionne autrement, le nombre de juges spécialisés est beaucoup plus restreint. Le parquet, lui, recrute en fonction de la spécialisation et de la capacité à se fondre dans une équipe. Ces synergies accroissent notre force de frappe.

Nous n'avons pas essayé de prolonger la flagrance outre mesure, de confisquer le dossier au juge d'instruction... Dès qu'il a fallu ouvrir une information, nous l'avons fait, comme nous l'avions fait en janvier.

Je ne partage pas l'opinion de mon ancien collègue : renseignement et judiciaire doivent être séparés. J'étais personnellement partisan de la loi du 24 juillet 2015. Il faut toutefois en tirer les conséquences : certains services de renseignement, sous le contrôle du juge administratif, peuvent être amenés à décliner des outils et instruments dont le parquet - sous le contrôle du juge judiciaire - ne dispose pas. Il y a là un problème de cohérence.

Pourquoi n'avons-nous pas vu venir ces attentats ? D'abord parce qu'ils ne viennent pas de chez nous, mais de Belgique. Il y a sans doute un problème d'échange d'informations entre les services de renseignement - si tant est que les services belges aient vu venir ces attentats, ce qui ne semble pas avoir été le cas. La téléphonie a ses limites, car tous les téléphones utilisés sont cryptés. Les téléphones Apple ou Samsung ont désormais des clés de chiffrement, des codes à six chiffres, voire à empreinte digitale. On n'a toujours pas réussi à entrer dans un téléphone utilisé dans l'affaire Ghlam ; idem pour un téléphone de l'équipe du 13 novembre... Certains téléphones comportent des systèmes de messagerie cryptés, comme le logiciel Telegram, indécodable. Faites donc une surveillance physique, disent les opérateurs !

La législation française ne définit pas assez précisément la notion d'opérateur téléphonique. Notre approche devrait être plus mondialisée, sachant que la plupart de ces sociétés ont leur siège aux États-Unis. L'article qui impose aux opérateurs de fournir les clés de chiffrement n'est pas applicable, car, ayant érigé la protection de la vie privée en principe absolu, ils garantissent ne pas pouvoir eux-mêmes entrer dans les téléphones de leurs usagers... En outre, cette mesure n'est applicable qu'aux interceptions de sécurité. C'est pourtant un problème quotidien dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Une réunion technique aura prochainement lieu avec le Conseil de sécurité des Nations unies (direction exécutive du contre-terrorisme). Une réflexion est nécessaire. Nous avons commencé un travail sur ce sujet avec des magistrats et policiers espagnols, américains et britanniques. On ne peut garantir à la fois un droit absolu à la vie privée et un droit à la sécurité : il faut accepter que ces revendications cèdent le pas quand la décision est prise par le juge judiciaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion