Les évènements de janvier puis du 13 novembre ont mis en lumière la souplesse, la réactivité du parquet. Là où juges d'instruction ont l'habitude de travailler en cabinet, de façon plus isolée, les procureurs sont habitués au travail d'équipe et aux contraintes de permanence. S'il parait nécessaire de renforcer encore les moyens du parquet dans la lutte antiterroriste, il faut lui apporter les garanties d'indépendance nécessaires afin d'ôter toute ambiguïté sur son statut.
S'agissant du droit pénal de fond, je soutiens une répression accrue de l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT), délit qui peut être requalifié en crime dans certains cas, mais reste sinon plafonné à dix ans d'emprisonnement. Les personnes visées sont majoritairement en Syrie, or il est difficile d'apporter la preuve des exactions commises sur zone qui permettraient de basculer sur une infraction criminelle. Ces personnes sont donc jugées devant le tribunal correctionnel - le plus souvent par défaut. Avec l'écrasement des peines, on condamne à sept ans ceux qui ont passé un mois sur zone, à dix ans ceux qui y sont depuis des années... Même si cela remet en cause l'échelle des peines, il faudrait alourdir les peines en matière d'AMT, car nous n'avons pas toujours la chance d'être face à des gens en état de récidive légale. Il faudrait également pouvoir prononcer des obligations de suivi socio-éducatif, que l'article 132-45 du code pénal réserve aux auteurs de violences conjugales. Cela serait utile à la déradicalisation.
En matière de procédure pénale, le régime de la flagrance, limité à quinze jours, est subordonné à la commission d'un crime ou délit. Il permet au parquet de procéder à des perquisitions sans assentiment, y compris la nuit, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD), et aux officiers de police judiciaire (OPJ) de procéder à des interpellations sans autorisation formalisée du parquet, formalités inadaptées à l'action publique dans l'urgence dans le cadre d'une enquête préliminaire.
L'assaut du logement conspiratif de Saint-Denis est un bon exemple : les occupants sont armés, porteurs d'un gilet d'explosifs, hors de question d'attendre 6 heures du matin pour intervenir ! A l'inverse, dans l'affaire Torcy-Sarcelles de 2012, l'interpellation de Jérémie Louis-Sidney à Strasbourg a été plus difficile car nous étions en enquête préliminaire et il a fallu attendre 6 heures du matin : entretemps, il s'était réveillé pour la prière et a accueilli les policiers avec une arme de poing. La flagrance devrait ainsi être le régime de droit commun en matière de terrorisme.
Les rapports avec les services de renseignement sont consubstantiels à la justice antiterroriste. C'est pourquoi nous avons toujours soutenu la légalisation des pratiques existantes par la loi sur le renseignement. Elles ne peuvent être judiciarisées, car le renseignement nourrit ce qui sera ensuite porté à la connaissance de la justice. Néanmoins, il faudrait accorder au parquet ce qui a été accordé au renseignement, comme la possibilité d'utiliser les IMSI-catcher et de sonoriser certains lieux, cette dernière pratique n'étant possible qu'à l'instruction.
Les mineurs sont nombreux dans les organisations terroristes, qu'ils aient accompagné leurs parents ou soient partis de leur propre chef. Quinze sont actuellement sous contrôle judiciaire, quatre en détention provisoire. Si la durée de la détention provisoire peut être portée à quatre ans pour les crimes terroristes, et trois ans pour les délits terroristes, la loi ne prévoit rien pour les mineurs, pour lesquels la durée de droit commun s'applique. Il faudrait adapter cette situation, qui bénéficie à ces jeunes partis à 17 ans pour la Syrie...
La question de la preuve électronique est un défi pour les services de renseignement comme pour la justice. En l'état, ils sont aveugles, soit à cause du cryptage, soit parce que, à l'instar des frères Kouachi, les terroristes utilisent des méthodes de communication anciennes et indétectables.
L'impératif est de sécuriser l'utilisation de certaines techniques. Le régime de perquisition fragilise l'exploitation de supports informatiques. Il est ainsi possible de capter le flux des boîtes mails sous le régime des interceptions de sécurité, mais depuis l'arrêt du 8 juillet 2015 de la Cour de Cassation, le stock ou le contenu des ordinateurs obéit au régime de la perquisition, ce qui suppose l'assentiment et la présence de la personne : c'est inadapté, lorsque les copies de travail demandent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Les chevaux de Troie - les keyloggers - ont été autorisés, mais en attendant la publication du décret et vu la lourdeur du régime administratif, qui suppose l'autorisation des logiciels par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), la mesure n'est pas mise en oeuvre. Bref, nous avons trois trains de retard...
Peut-on se contenter du régime de droit commun en matière d'application des peines ? Le juge de l'application des peines (JAP) spécialisé en matière de terrorisme est confronté à des dossiers de demande d'aménagement des peines très bien construits, or il ne peut les refuser en invoquant la nécessité de protéger l'ordre public. Il est aberrant que la libération conditionnelle soit automatique à mi-peine, ce qui est le cas en pratique, s'agissant de gens qui pratiquent la taqîya, la théorie de la dissimulation, et savent se présenter sous un jour très favorable au JAP ou aux travailleurs sociaux. Attention à ne pas remettre en liberté des personnes qui n'ont pas fait oeuvre d'amendement sincère...