Une justice antiterroriste sert-elle à entraver des attentats ou à compter les morts en offrant à leurs auteurs une tribune, et à leur payer un avocat ? Nous préférons prévenir les attentats. Pour cela, il nous faut des moyens opérationnels, performants et actualisés. Or le code de procédure pénale a été conçu à une époque où les usages des technologies de l'information étaient inexistants, alors qu'ils sont aujourd'hui massifs. D'où les problèmes que nous rencontrons en matière de technique d'enquête et de gestion des dossiers.
À titre liminaire je souhaiterais évoquer une question de fond. C'est celle de l'échelle des peines, donc du régime juridique des poursuites. L'habitude a été prise de poursuivre les djihadistes du chef d'une AMT délictuelle, ce qui plafonne la peine à dix ans. Pour être qualifiée d'AMT criminelle, il faut que le projet ait pour but de porter atteinte à la vie humaine ou mette en oeuvre des explosifs. Ainsi, un indépendantiste breton qui a jeté un cocktail Molotov sur une gendarmerie vide encourt vingt ans, tandis qu'un djihadiste qu'on arrête avec une kalachnikov n'encourt que dix ans. Or le djihadisme a toujours eu pour but d'attenter à la vie humaine ! Je sais bien qu'on ne peut pas tout faire juger par la cour d'assises spéciale, mais avec le tribunal correctionnel, en encourant dix ans maximum, un certain nombre de terroristes seront dehors au bout de six ans... D'où un problème de gestion à long terme de la dangerosité. Pour protéger la population de ces terroristes, il faut de très longues peines, qui les neutralisent durablement.
Pour être en cohérence avec les objectifs poursuivis par les djihadistes, qui sont toujours de porter atteinte à la vie humaine, il faudrait les poursuivre du chef d'AMT criminelle - mais cela suppose des moyens considérables. À tout le moins, nous pourrions prévoir des peines de plus de dix ans pour certains délits. Sans compter que les terroristes bénéficient des mêmes aménagements de peines que les délinquants ordinaires - c'est même une obligation pour le JAP. Or ce sont des détenus exemplaires, qui savent monter des dossiers et ont pour but de sortir au plus vite - parfois pour recommencer.
Je vais maintenant aborder des points de procédure, qui sont des outils indispensables au recueil des preuves, et donc au succès des enquêtes.
À l'automne 2014, j'avais déjà évoqué devant vous la nécessité d'un régime juridique permettant la saisie de la correspondance électronique passée, présente dans la boîte de messagerie électronique. Actuellement, en autorisant une interception de correspondances électroniques on ne peut saisir que le flux futur, pour une durée de quatre mois renouvelables. Et c'est normal: on n'intercepte pas le passé. Or, le code de procédure pénale ne connaît que deux régimes pour saisir des correspondances : l'interception et la perquisition. Par sa décision du 8 juillet 2015, la Cour de cassation a considéré que ces correspondances antérieures à une décision d'interception, c'est-à-dire les courriers électroniques déjà présents, ne pouvaient être appréhendées que dans le cadre de la perquisition. Cela suppose de prévenir l'intéressé et de réaliser la saisie des données en sa présence !