Intervention de Stéphanie Rière

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 3 décembre 2015 : 1ère réunion
Étude sur la problématique du titre de propriété de l'indivision et de la combinaison des régimes juridiques coutumiers avec le droit civil dans les outre-mer — Audition de M. Ismaël Kordjee directeur des affaires foncières et du patrimoine dafp du conseil départemental de mayotte et de Mme Stéphanie Rière géomètre-expert de mayotte topo sur la problématique du foncier à mayotte

Stéphanie Rière, géomètre-expert de Mayotte Topo :

Je suis membre du Conseil de l'ordre des experts-géomètres de La Réunion et Mayotte. Notre organisme n'existe que depuis 2014, ce qui explique que la profession n'ait jamais entretenu de relations formalisées avec les pouvoirs publics et n'ait pas pu intervenir dans le débat en amont de la prise de décisions sur le foncier. Pourtant, le géomètre-expert est directement au contact de la population et accueille chaque jour dans son cabinet des personnes qui souffrent de leur situation. Ils occupent un terrain et aimeraient pouvoir en devenir propriétaires pour le transmettre à leurs enfants, pour obtenir un prêt bancaire, etc. Bien souvent, le propriétaire légal est le grand-père ou l'arrière-grand-père, décédé. Il faut alors expliquer à nos clients qu'il faut d'abord liquider la succession pour pouvoir devenir propriétaire. Mais on se heurte alors au moins à deux problèmes : l'indivision et le règlement des droits de succession. Il me semble que la cote des droits de mutation applicable à Mayotte pourrait être revue car les montants à débourser sont très élevés du fait de l'antériorité accumulée.

Les indivisions successorales constituent les plus sérieux obstacles. Dans certains villages, l'intégralité du foncier est titré au nom de personnes ayant acquis leur titre dans les années 1920 ou 1930. Je vous propose un exemple dans la commune de Chiconi. Une très grosse partie du village sur 81 hectares est la propriété de 69 personnes, d'après le Livre foncier, mais toutes ces personnes sont décédées. Il ne s'agit pas de successions vacantes car les héritiers sont présents mais de successions encore ouvertes. Jusqu'en 2008, la prescription acquisitive était interdite par le régime foncier. Aujourd'hui, elle s'applique mais peut-elle avoir des effets rétroactifs ou bien faudra-t-il attendre 2038 pour que les premiers terrains soient prescrits ? Ne pourrait-on pas mettre en place à Mayotte une prescription spéciale pour les héritiers ?

Il convient de noter que le cadastre est terminé et complet. Il offre l'image de la propriété existante. Pour prendre l'exemple de la commune de Sada, le cadastre indique pour chaque parcelle l'identité du propriétaire, en l'occurrence le Département. En revanche, c'est le chantier de la régularisation foncière qui n'est pas achevé, car le cadastre par construction ne tient pas compte des occupants sans titre mais qui ont vocation à en obtenir un pour devenir légalement propriétaire. C'est là que le bât blesse et, qu'en un sens, le cadastre ne donne pas d'indication pertinente. Lorsque la commune porte un projet d'aménagement ou d'équipement, elle doit négocier avec les propriétaires et les occupants qui n'ont pas d'actes et qui ne paient pas de taxes foncières. Même si les occupants étaient prêts à vendre ou à échanger leur terrain, ils ne pourraient pas le faire sans acte publié établissant leur droit de propriété.

On rencontre également le cas d'occupations sur le domaine privé du Département. À Mamoudzou par exemple, sur une section cadastrale de 36 hectares, 15 hectares correspondent à des maisons construites sur le foncier privé du Département et habitées par des occupants sans droit, ni titre. Ces occupants ne peuvent ni vendre, ni hypothéquer ; toutes les transactions sont gelées et tout potentiel de développement est bloqué.

Sur les 59 villages de Mayotte, 42 sont situés dans la ZPG. Dans la commune de Bouéni, 18 % de la zone urbaine y sont inscrits, soit 7 hectares construits et occupés sans titre sur les 39 hectares. Depuis le décret de 2009, les occupants sans titre peuvent acheter le terrain à l'État, mais ils n'en voient en règle générale pas le besoin, puisque, pour l'instant, ils ne font pas l'objet de recours et ne paient pas de taxes foncières. À moins d'un problème avec les voisins, ils ne font pas de démarche pour régulariser.

En tant que professionnels, les géomètres-experts sont confrontés à des difficultés concrètes. Comment convoquer les riverains avec fiabilité en l'absence d'adresses précises et lorsque les rues de la plupart des villages n'ont pas de nom ? Comment traiter le cas des coopératives agricoles « fantômes » ? En effet, de très grandes parcelles ont été immatriculées par le passé via la constitution de coopératives agricoles, mais celles-ci sont des coquilles sans statut, sans assemblée générale. Ce sont dans les faits des particuliers qui occupent et cultivent individuellement ces parcelles.

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