Ce n'est pas la première fois que notre commission examine le partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement (PTCI) entre l'Europe et les États-Unis et se penche sur le volet agricole des discussions.
Avant le lancement des négociations en juin 2015, une proposition de résolution avait été adoptée, pour demander, non pas l'exclusion de l'agriculture du champ des discussions, mais un traitement spécifique.
En février dernier, nous avons débattu en séance du PTCI (en anglais : TTIP) et adopté une résolution européenne réclamant davantage de transparence dans les négociations ainsi que la révision du volet relatif au règlement des différends entre investisseurs et États par la voie d'arbitrages privés. Depuis, l'Europe et les États-Unis ont avancé sur un nouveau dispositif de règlement des différends, permettant la poursuite des discussions.
Le mois dernier, la commission des affaires européennes a adopté une nouvelle proposition de résolution européenne centrée exclusivement sur les enjeux agricoles, sur la base d'une proposition de notre collègue Michel Billout.
L'enjeu agricole n'est certainement pas le plus lourd sur le plan économique : les exportations de produits agricoles des États-Unis vers l'Europe représentent 13 milliards de dollars sur les 140 milliards d'exportations américaines. Les exportations européennes vers les États-Unis pèsent presque 20 milliards de dollars sur les 117 milliards d'importations américaines.
La question agricole n'en reste pas moins sensible des deux côtés de l'Atlantique, avec le souci d'une part de développer les exportations mais d'autre part de ne pas déstabiliser l'économie agricole des deux zones.
Mon intervention sera divisée en trois parties : la première sur les risques pour l'élevage qu'entraîne le TTIP ; la deuxième sur les attentes (ou intérêts offensifs) de la France et de l'Europe ; la dernière sur les interrogations sur la méthode de négociation.
La libéralisation des échanges entre Europe et États-Unis constitue une menace directe et forte pour notre élevage allaitant.
La France détient un tiers du cheptel allaitant européen (4 millions de bêtes) et assure 20 % des abattages totaux dans le secteur de la viande bovine (y compris réforme laitière).
Le modèle européen est constitué de petites exploitations, avec des animaux essentiellement nourris à l'herbe alors que le maïs génétiquement modifié constitue la ration de base des gros bovins aux États-Unis. Le modèle européen est à la fois plus vertueux sur le plan environnemental, davantage pourvoyeur d'emplois et il contribue à l'occupation des territoires ruraux, en particulier dans les zones où les terres sont peu riches.
L'Europe est presque autosuffisante en viande bovine : elle consomme 7,6 millions de tonnes équivalent carcasse et n'importe que 330 000 tonnes (tout en exportant 240 000 tonnes).
De leur côté, les États-Unis produisent 11 millions de tonnes équivalent carcasse de viande bovine, ce qui correspond à peu près à leur consommation.
Ils n'exportent vers l'Union européenne que 23 000 tonnes, dans le cadre d'une filière spécifique de boeuf sans hormone qui peut accéder au marché européen sans droit de douane, dans le cadre d'un accord conclu en 2009 pour solder le contentieux ouvert sur le sujet à l'OMC.
Si la conjoncture est tout à fait particulière aujourd'hui aux États-Unis, avec des prix plus élevés qu'en Europe et des conditions de change défavorables, la filière de production de viande de boeuf américaine dispose d'avantages importants sur la filière européenne :
- une taille des élevages et des abattoirs beaucoup plus importante, qui permet de disposer d'économies d'échelle ;
- un système garantissant la sécurité sanitaire en fin de chaîne à travers l'application d'acide lactique sur les carcasses, alors que le système européen impose des exigences sanitaires tout au long de la chaîne d'abattage, plus contraignantes ;
- la possibilité d'utiliser des accélérateurs de croissance : hormones, antibiotiques ;
- une moindre attention au bien-être animal.
Au final, la production de viande bovine est beaucoup plus compétitive aux États-Unis qu'en Europe, le différentiel calculé par l'Institut de l'élevage entre France et États-Unis étant estimé dans une étude récente à 1,83 € par kilo de carcasse.
Il va donc de soi qu'une ouverture totale des marchés constituerait une menace majeure pour les producteurs européens.
Par ailleurs, les américains consommant davantage de morceaux issus des avants des bêtes et délaissant l'aloyau, ce seraient ces pièces nobles, surnuméraires pour le marché intérieur américain, qui arriveraient en premier sur le marché européen et feraient baisser les prix considérablement.
Outre l'élevage, d'autres productions comme les céréales ou l'amidon pourraient être menacées par une ouverture totale des marchés, à travers la suppression des droits de douane. La protection offerte aux sucres spéciaux venant d'outre-mer pourrait aussi être victime des négociations du TTIP.
Si la conclusion du TTIP est porteuse de risques, elle peut aussi créer des opportunités. L'Europe et la France ont en effet des « intérêts offensifs » dans le secteur agricole mais aussi en dehors :
On peut d'abord rappeler que l'Europe et la France exportent d'ores et déjà des vins et spiritueux, ce qui contribue positivement à notre commerce extérieur. Mais sur ce point, nos attentes consistent plutôt à mieux protéger non indications géographiques. L'intérêt offensif de l'Europe consiste donc à faire reconnaître notre système de protection collective des indications géographiques, là où les américains ne reconnaissent que les marques.
Il existe des attentes également en matière de produits laitiers, en particulier de fromages, qui sont aujourd'hui taxés ou qui font l'objet d'obstacles non tarifaires.
Enfin, l'Europe et la France peuvent attendre du TTIP une ouverture accrue du marché américain aux autres produits et services : les marchés publics ou encore les services bancaires ou d'assurance sont aujourd'hui difficiles d'accès pour des opérateurs économiques non américains.
J'en viens maintenant à nos interrogations sur la méthode de négociation.
Un accord a été trouvé pour supprimer les droits de douane sur 97 % des lignes tarifaires existantes. Les États-Unis souhaitaient une ouverture moindre des lignes tarifaires en début de négociation. Mais leurs droits sont en moyenne plus faibles que les nôtres (6,6 % contre 12,2 %). Cette ouverture de leur part constitue donc en apparence une concession importante.
Or, toute concession suppose des contreparties : les États-Unis souhaitent pouvoir exporter des produits agricoles génétiquement modifiés sans devoir le mentionner, ce qui se heurte aux « préférences collectives » de l'Europe.
Il paraît au final assez difficile de faire aboutir toutes nos revendications offensives comme défensives (reconnaissance des indications géographiques, obligation d'étiquetage des produits génétiquement modifiés, interdiction d'importation de boeuf aux hormones, maintien de contingents ou de droits de douanes sur les produits sensibles, levée des obstacles non tarifaires).
Une des inquiétudes de l'Europe pourrait résider dans le déséquilibre des engagements : la suppression de droits de douane en Europe faciliterait l'accès des américains à notre marché, mais en contrepartie, quelles garanties auraient les européens que les barrières non tarifaires seraient levées aux États-Unis ? Il est inutile de faire baisser les droits de douane si, au final, des raisons sanitaires empêchent d'exporter.
Le calendrier de la négociation constitue un autre facteur d'inquiétude : en juin dernier, le Congrès américain a décidé qu'il se prononcerait par un vote bloqué sur les traités transatlantique et transpacifique (fast track).
Les négociations sur le traité transpacifique ont abouti le 5 octobre dernier. Les négociations sur le TTIP devraient s'accélérer en vue d'aboutir avant la fin de l'administration Obama. Le Conseil des ministres de l'Union européenne de la fin 2014 avait appuyé l'idée d'une conclusion rapide du TTIP, si bien qu'il existe désormais une volonté d'aboutir des deux côtés, qui devrait se concrétiser à partir de mars 2016 avec le douzième « round » de négociation. 2016 sera une année décisive.
Or, les questions agricoles constituant un point de blocage, elles sont mises de côté dans la négociation, qui avance sur les autres points. Il existe donc un risque en fin de négociation de sacrifier l'agriculture s'il s'agit du seul point encore en débat.
La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui rappelle que le sacrifice de l'agriculture ne constitue pas une perspective acceptable.
Si la proposition de résolution ne demande plus le retrait du volet agricole des négociations : elle indique que tout accord doit être subordonné au maintien d'un haut niveau de sécurité sanitaire pour les consommateurs, et à la préservation du secteur de l'élevage en France.
La proposition de résolution comporte également des exigences en matière de transparence des négociations et d'information des parlementaires. À cet égard, la demande d'étude d'impact du TTIP est de nouveau formulée, car il n'est pas acceptable de prendre des engagements dont les conséquences ne seraient pas ou mal évaluées.
En outre, le texte indique qu'il ne faut pas faire de concessions sur le contenu de l'accord, sous prétexte de le conclure plus rapidement.
Les positions exprimées dans cette proposition de résolution rejoignent celles toujours exprimées par notre commission des affaires économiques, tous groupes confondus.
À l'issue des rounds de négociation déjà achevés, le TTIP continue à susciter de nombreux doutes, de nombreuses interrogations. À l'évidence, il est indispensable de classer la viande dans la liste des secteurs sensibles protégés par des droits et douane et/ou des contingents, afin de conserver des garde-fous sans lesquels l'avenir de l'élevage allaitant français risquerait d'être fortement compromis.
À l'évidence aussi, les contreparties américaines à un accord transatlantique devraient être substantielles, et passer par la levée de barrières non tarifaires qui font aujourd'hui obstacle aux exportations européennes, en particulier dans le secteur laitier.
L'équilibre des engagements réciproques constitue en effet la condition d'une acceptation possible de l'accord. Il est toujours préférable qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord au détriment des intérêts européens et plus particulièrement français.
Cette proposition de résolution rappelle à juste titre ce principe fondamental. C'est la raison pour laquelle je vous propose de l'adopter sans modification, dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires européennes.