Merci beaucoup. C'est toujours une joie pour moi de vous retrouver, je le dis sincèrement.
Vous avez mentionné dans vos propos liminaires l'évolution plutôt positive de nos relations bilatérales durant cette année. Le mérite en revient en partie au Sénat, et notamment au groupe d'amitié France-Russie, qui est très actif et qui est l'un de ceux qui comptent le plus grand nombre de sénateurs, ainsi qu'à vous-même et à votre commission.
Nous sommes aujourd'hui à la fin de l'année ; c'est le moment de dresser le bilan de l'année écoulée. Par rapport au début de l'année, l'évolution a été plutôt positive sur le plan de nos relations avec la France, mais aussi sur le plan du règlement des conflits en Syrie et en Ukraine, où l'on enregistre une progression.
En même temps, de façon assez paradoxale, lorsqu'on a commencé à prendre les choses en main, une fois la phase active du règlement des conflits en Syrie passée, on s'est retrouvé dans le cas de figure d'il y a trente ou quarante ans. Ce sont toujours la Russie et les États-Unis qui occupent le rôle de coordinateurs de ce processus, la France jouant un rôle sans doute majeur en Europe, tandis que les autres pays européens se sont effacés. Autant le rôle de l'Allemagne dans les affaires de l'Union européenne est prépondérant, autant ce pays est absent des questions géostratégiques. Ce sont toujours les mêmes - les membres permanents du Conseil de sécurité, notamment la France - qui reviennent au premier plan.
Je crois que la France a très bien joué le jeu, les événements autour de la Syrie ayant selon moi contribué à renforcer son rôle dans les affaires mondiales.
Je ferai ici une parenthèse pour vous féliciter du succès de la COP21, qui a été une grande réussite. Le résultat n'était pas garanti. On sait qu'à Copenhague, la même conférence s'est achevée par un échec il y a quelques années. La France, sur le plan diplomatique, a montré toute sa maîtrise. L'accord qu'on a signé dimanche dernier constitue une vraie avancée vers la solution des problèmes climatiques même si, d'ici la fin du siècle, aucun des signataires ne sera alors encore en fonction.
Néanmoins, on a mobilisé la communauté internationale autour des vrais problèmes.
Pour en revenir à la Syrie, qui constitue notre sujet de préoccupation numéro un, il faut voir ce qui s'y passe dans un contexte plus large. On est face à une montée d'une branche de l'islam, l'islam radical, dont l'objectif est de créer un califat là où il pourra le faire.
Nous avons connu cela dans notre pays il y a dix ans, lors des guerres de Tchétchénie, le but proclamé de ceux qui se battaient alors contre nous, dont beaucoup venaient de l'étranger, et qui se battent aujourd'hui contre la Syrie, étant également de créer un califat.
Nous les avons vaincus, mais l'idée n'est pas morte. C'est une idée fixe, qu'ils poursuivent aujourd'hui en Syrie. Si on les bat - ce que j'espère bien - ils se déplaceront ailleurs. Le président Raffarin a évoqué la Libye. C'est une vraie menace, car ce foyer de tensions se rapproche de plus en plus des frontières de la France. Ce que cherchent les islamistes, ce sont des endroits où ils peuvent établir leur califat. Si ce n'est pas la Syrie, ce sera peut-être l'Afghanistan. Si la coalition quitte l'Afghanistan, le gouvernement de ce pays tombera et les Talibans reviendront. C'est une possibilité qui nous préoccupe énormément, l'Afghanistan étant à nos frontières.
Une autre possibilité reste la Libye, mais aussi le nord du Mali. Or, le nord du Mali, c'est le sud de l'Algérie, et l'Algérie, c'est le sud de la France ! Je m'arrête là pour ne pas vous faire peur, mais ce sont des scénarios qui sont tout à fait possibles.
J'ai discuté hier avec le recteur de la mosquée de Paris. Nous avons eu une longue et intéressante conversation ; il m'a dit, de façon fort juste, qu'il fallait régler le problème des Touaregs au nord du Mali. Tant que ce ne sera pas fait, le Mali peut exploser. On est donc devant une menace qui risque hélas de durer.
Vous avez évoqué la coalition et la coordination. Plusieurs initiatives diplomatiques ont été prises à ce sujet. Les États-Unis ont, les premiers, créé une coalition il y a un an de cela ; elle se bat contre l'État islamique en Syrie et en Irak. C'est une coalition qui, sur le papier, compte beaucoup de pays, mais peu d'entre eux participent en réalité activement à cette lutte. La France est notamment un des pays les plus actifs.
Le 28 septembre de cette année, le président Poutine, lorsqu'il est intervenu devant l'Assemblée générale des Nations unies, a proposé de créer une coalition plus large encore avec la Russie et les autres pays de la région. Cette proposition a été suivie par le président François Hollande lui-même, quelques jours après la tragédie de Paris, le 13 novembre, qui s'est prononcé en faveur de la constitution d'une large coalition. On peut dire que les bons esprits se sont retrouvés et que la France et la Russie sont très proches sur ce sujet.
Un autre élément nous préoccupe vraiment. Hier, on a appris que l'Arabie saoudite a décidé de créer sa propre coalition de pays musulmans. Son objectif n'est pas clair. L'Arabie saoudite dit vouloir se battre contre les terroristes, mais on sait que c'est elle qui finance Daech. Selon moi, il s'agit pour eux de se battre contre Bachar al-Assad
Ils ne cachent d'ailleurs pas leurs intentions. Lors de la dernière rencontre de Vienne, le 14 novembre, quand les vingt pays participants ont enfin pu établir une feuille de route pour aller vers une solution politique en Syrie, le représentant de l'Arabie saoudite a précisé que, si cela ne correspondait pas à leurs objectifs, ils se réservaient la possibilité de régler le problème militairement. Ils nous ont donc prévenus.
La création de cette coalition constitue selon moi une vraie menace pour le processus de Vienne et peut réanimer la guerre en Syrie.
Je pense que vous devez suivre de très près, tout comme nous, l'évolution de cette coalition, qui est une coalition de trop.
Pour ce qui concerne la coopération entre la Russie et la France au sujet de la Syrie, j'ai assisté aux entretiens du président Hollande à Moscou le 26 novembre dernier. Ceux-ci ont été très productifs, très francs, et ont permis de beaucoup progresser.
Ces entretiens ont eu des suites, puisque des contacts ont été pris entre chefs d'état-major. La semaine prochaine, le ministre de la défense français sera à Moscou pour rencontrer son homologue russe. Il s'agit donc d'une véritable coordination franco-russe, qu'on qualifie de différentes façons. On peut parler de coalition ; le président Poutine a employé quant à lui le mot d' « alliance ».
Il a donné des ordres aux forces armées russes en Syrie, en leur demandant de coordonner leurs actions avec les Français comme avec des « alliés ». C'est lui qui a employé ce mot très fort ; cela me rappelle certaines traditions puisque, tout au long du XXe siècle, durant les deux guerres mondiales, nous avons été des pays alliés.
Je répondrai avec beaucoup de plaisir à toutes vos questions.