Intervention de Alexandre Orlov

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 décembre 2015 à 9h03
Crise irako-syrienne et lutte contre daech — Audition de M. Alexandre Orlov ambassadeur de russie en france

Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France :

Tout d'abord, personne ne sait le pourcentage des cibles bombardées - 30 %, 40 %. Vous affirmez qu'il s'agit de 30 % : je serai moins catégorique.

Dans une guerre, il y a un ennemi principal et des alliés. J'utiliserai là volontiers une phrase de Manuel Valls qui a très bien dit que, lorsqu'on frappe les terroristes, on ne leur demande pas leur passeport. Nous sommes en Syrie à l'invitation du gouvernement et du président syriens. Nous y sommes pour appuyer l'armée syrienne contre Daech, et contre d'autres groupes qui se battent avec Daech contre l'État syrien. Nous frappons tous ceux qui se battent contre l'État syrien, y compris les alliés de Daech.

Le terme d'opposition modérée est très relatif. Les gens qui ont pris les armes pour se battre contre leur propre pays ne constituent pas, selon nous, une opposition modérée. Il faut en finir avec les ambiguïtés ! Nous avons dit que nous sommes prêts à soutenir non seulement l'armée régulière syrienne, mais aussi tous ceux qui se battent contre Daech, comme l'armée syrienne libre. Celle-ci n'est guère homogène et comporte plusieurs groupes. Certains de ces groupes sont soutenus par notre aviation.

Ceci montre que nous soutenons tous ceux qui se battent contre Daech et ses alliés. Nous soutenons également les Kurdes contre Daech. Dans une guerre, il faut choisir son camp.

Le problème de pays comme l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie vient du fait qu'ils n'ont pas choisi leur camp. La Turquie, membre de l'OTAN, est membre de la coalition, mais nous savons fort bien que c'est un complice de Daech ! Les djihadistes qui viennent d'Europe transitent essentiellement par la Turquie, de même que les armes.

Nous savons par ailleurs que la source principale du financement de l'État islamique est le pétrole, qui est volé dans les territoires occupés, et qui transite par les ports turcs. La Turquie doit choisir son camp. La Russie n'est pas la seule à le dire : même les Américains le reconnaissent !

Ces derniers ont appelé les Turcs à fermer leur frontière avec la Syrie. Il existe une bande de 100 kilomètres totalement poreuse, par laquelle on peut passer d'un côté et de l'autre.

Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'on n'arrivera peut-être pas à battre Daech avec les seules frappes aériennes, car on constate que c'est une force assez considérable et bien armée. Sans doute faudrait-il une opération au sol. Pour la Russie, comme pour la France et les États-Unis, il est inconcevable d'envoyer des troupes au sol. On a tiré d'amères leçons de l'Afghanistan. Par ailleurs, tout envoi de troupes au sol demande une autorisation spéciale du Parlement russe.

Je ne pense pas que le Parlement, tout en étant derrière Vladimir Poutine, votera l'envoi de troupes. C'est une hypothèse totalement exclue.

Il faut néanmoins que quelqu'un se batte au sol. Pour nous, c'est d'abord du ressort de l'armée syrienne, l'armée syrienne libre, des Kurdes et d'autres contingents, si l'Arabie saoudite joue le jeu, ce sera très bien.

La seule différence entre l'Arabie saoudite et l'État islamique est que l'Arabie saoudite a des frontières, contrairement à l'État islamique. Toutefois, le contenu est le même. Il s'agit du même État, de la même idéologie, des mêmes lois. C'est pourquoi j'ai quelques doutes sur la sincérité de nos amis saoudiens. On verra bien sur le terrain.

Pour ce qui est de la feuille de route adoptée à Vienne le 14 novembre, tous les participants ont décidé que, pour avancer vers un règlement politique, il faut d'abord faire la liste de ceux qui sont prêts à participer au processus politique, à négocier avec le régime de Bachar al-Assad pour préparer l'avenir de la Syrie. Cette tâche a été confiée à l'Arabie saoudite. Différents groupes de l'opposition se sont réunis à Ryad le 8 et le 10 de ce mois pour constituer une sorte de délégation.

La tâche a été confiée à la Jordanie de préparer la liste des organisations terroristes à combattre. Quand cette liste sera entérinée par le groupe de Vienne, on continuera à se battre contre les groupements terroristes pour ne pas bombarder les bons. Il y aura deux listes, celle des bons et celle des méchants. On en est à ce stade.

Les États-Unis, qui président le Conseil de sécurité en décembre, ont proposé que la prochaine réunion du groupe de Vienne se tienne à New-York le 18 décembre prochain. Cette proposition a été acceptée. Hier, John Kerry était à Moscou et a longuement parlé avec Sergueï Lavrov, et plus de trois heures avec le président Poutine. Nous allons donc à New-York pour progresser dans le processus politique.

Quel en est l'objectif ? Il s'agit de préparer l'après Bachar al-Assad et l'avenir de la Syrie. Il existait, jusqu'à maintenant, une différence assez importante entre nous et certains pays occidentaux. Nous disons que c'est au peuple syrien, et à lui seul, de choisir ses dirigeants. Ce n'est ni aux États-Unis, ni à la France, ni aux autres pays de le faire, mais au peuple syrien...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion