Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous recevoir sur un sujet qui nous passionne depuis le début de ce quinquennat. En effet, dès sa nomination, Mme Aurélie Filippetti nous avait annoncé qu'elle souhaitait, cent ans après la loi de 1913 sur les monuments historiques, faire adopter une grande loi sur le patrimoine. Je ne suis d'ailleurs pas certain que nous y soyons parvenus.
Les associations de défense du patrimoine, que ce soit le G8 Patrimoine, l'Association des pays et villes d'art et d'histoire et la Coordination des fédérations et associations de culture et de communication (COFAC), sont très unies dans cette affaire. La plupart des amendements que nous proposons ont fait l'objet d'une délibération commune. Cette unité est assez rare pour être signalée dans ce domaine.
À titre liminaire, je souhaiterais aborder cinq points relatifs aux dispositions du projet de loi. Premièrement, je suis particulièrement attaché aux dispositions relatives au patrimoine mondial. Je salue le fait que ces dispositions trouvent leur origine dans une proposition de loi sénatoriale déposée par Mme Françoise Férat et M. Jacques Legendre et avaient été votées par les deux assemblées. La LCAP les a reprises, en y apportant des améliorations substantielles, notamment grâce au travail du Conseil d'État à l'occasion de son avis juridique, qui a, par exemple, défini la zone tampon. L'Assemblée nationale a d'ailleurs encore amélioré la rédaction en rendant obligatoire la délimitation de cette zone tampon, jusqu'ici seulement facultative. Cette nouvelle formulation nous paraît totalement idoine et pourrait, à ce titre, être reprise par votre Haute assemblée. Les disparités entre les différentes zones tampons exigent une délimitation au cas par cas. Ce texte est, du reste, fort important car il concerne les zones emblématiques que sont les biens inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Aussi soutenons-nous cette démarche.
Deuxièmement, il n'y avait pas jusqu'à présent de texte sur les domaines nationaux. Le texte du projet de loi sur ce sujet est court, mais il a le mérite d'ouvrir une tête de chapitre pour l'avenir. Des amendements restent possibles pour en enrichir le contenu. Globalement, ces dispositions concernent les anciens domaines de la Couronne qui étaient très bizarrement traités. L'imprescriptibilité et l'inaliénabilité, qui sont proposées, nous paraissent une bonne mesure.
Troisièmement, la question des abords est un sujet particulièrement important. Lors d'un colloque universitaire qui s'est tenu hier à Angers, tous les intervenants se sont interrogés sur la pertinence de modifier les textes existants en la matière. Je me souviens que le Professeur Pierre-Laurent Frier reconnaissait le caractère « bête et méchant » du périmètre de 500 mètres qui s'avérait, somme toute, optimal. Un intervenant a également souligné qu'en un siècle, les abords n'avaient fait l'objet que d'un seul arrêt de Cour administrative, ce qui démontre qu'ils ne posent pas vraiment de problème !
Il nous est aujourd'hui proposé de nouvelles dispositions qui suscitent un accueil plutôt mitigé. Parmi les points positifs, demander l'avis du propriétaire, qu'il soit une personne privée ou une collectivité décentralisée, nous paraît aller de soi. Par contre, la possibilité que le périmètre adapté des abords soit égal à zéro, comme il est mentionné dans le texte de loi, suscite notre opposition. Une telle diminution mentionnée dans la loi ne sert à rien, puisqu'elle est déjà prévue par la loi. Pourquoi écrire une telle disposition ? Il est stupide, lorsqu'un texte existe en ce sens, de souligner à nouveau cette mesure dans un nouveau texte. En outre, certaines interrogations portent également sur la notion de co-visibilité, à l'origine de nombreux contentieux. Actuellement, dans le périmètre de 500 mètres, la co-visibilité est prise en compte, tandis qu'elle ne l'est pas dans le périmètre adapté. Nous serions plutôt partisans du contraire, à savoir que cette notion ne soit plus appliquée dans les périmètres de 500 mètres, mais qu'elle constitue l'un des critères pour délimiter un périmètre adapté. Il faut, en effet, définir des critères objectifs, et celui de la co-visibilité en serait un. Cette question des abords est considérée comme très importante dans le monde du patrimoine.
Quatrièmement, je souhaiterais aborder les notions de cité historique et de plan local d'urbanisme (PLU). Pour être synthétique, il y a en France deux ministères : le ministère en charge de l'écologie et du logement, et le ministère en charge de la culture. Pour diverses raisons, le ministère de l'écologie règne sur le droit de l'urbanisme, tandis que le ministère de la culture règne sur le droit du patrimoine. Au cours des dernières années, c'est toujours le ministère de l'écologie qui a fait prévaloir l'urbanisme et la préparation de ce projet de loi n'a pas dérogé à cette règle. Il en est résulté que dans la cité historique, les règles de protection patrimoniales devront être inscrites soit dans les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) qui ressemblent à ce qui existait auparavant, avec toutefois un certain nombre de modifications sur lesquelles nous reviendrons, soit dans le PLU patrimonial.
À cet égard, vous avez observé qu'en 2010, il avait été prévu de remplacer progressivement les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) par les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP). Et maintenant, nous remplacerions ces dernières par les cités historiques qui ne s'appuient plus sur un règlement distinct, pour sa mise en oeuvre, mais sur le PLU, dit patrimonial. Chacune de ces étapes entraîne le retrait croissant de l'État et toutes sortes de difficultés se font jour, car le PLU patrimonial n'a pas de contenu. Nous vous demandons, voire vous supplions, soit de revenir au régime des AVAP, soit de donner un contenu au PLU patrimonial, en conférant une certaine place à l'État. Une telle démarche ferait progresser le droit du patrimoine, tandis que nous avons tous le sentiment d'une terrible régression. Les conflits que nous avons connus entre certains éléments de l'administration de l'État, en particulier les Architectes des bâtiments de France (ABF), et les responsables des collectivités décentralisées, sont derrière nous. Aujourd'hui, les parlementaires, qui sont en même temps des élus locaux, considèrent que le dialogue avec l'administration de l'État, et en particulier avec les ABF, n'est pas du tout une mauvaise chose et que ceux-ci peuvent leur assurer une protection.
Cinquièmement, une question demeure, faute d'avoir été résolue par l'Assemblée nationale, et devrait trouver au Sénat toute sa place dans la discussion. Il s'agit des difficultés que pourraient poser les établissements public de coopération intercommunale (EPCI) et de l'incidence de la réforme territoriale, dans le domaine du patrimoine en général et des PLU patrimoniaux en particulier. La solution qui vous est soumise aujourd'hui et qui concerne le droit de retrait du maire en cas de conflit avec l'EPCI nous paraît, en pratique, irréaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? Que le maire peut repartir avec son argent ? Que la gestion du patrimoine doit être interprétée comme une compétence communale ? Il est manifeste que l'équilibre du texte sur ce point n'est pas satisfaisant. Il faudra résoudre cette question qui nous paraît importante pour l'avenir du patrimoine dans ce pays.